3.2. Alternance entre principes et objectifs, assouplissement de la forme scolaire (Projet Danse contemporaine et musique traditionnelles)

Le spectacle devient une fin

Il apparaît une préoccupation qui n’est pas prioritaire dans le premier entretien. Dans un premier temps, « prévoir le spectacle » est une préoccupation qui arrive à la fin de l’argumentation. Cela veut dire pour l’enseignant que le vocabulaire, la production, l’écoute etc. importe, et que le spectacle est un moyen, qui, par la suite va devenir progressivement une fin. D’après le dernier entretien et l’observation menée en classe, l’enseignant ne pense plus qu’à une chose : au spectacle. Il y a une sorte de montée en puissance de la recherche d’une efficacité à travers le spectacle.

À la question « pour quelles raisons », la démarche de l’enseignant est de poser un principe supérieur : la création, la créativité, mais aussitôt une préoccupation pédagogique « l’année dernière, je m’étais aperçu avec les CP au cycle 2, les garçons ne sont pas encore en rejet », puis une justification personnelle « Moi j’aime beaucoup la musique ».

L’enseignant interrogé sur son engagement dans un dispositif artistique fait une réponse d’emblée sur trois plans :

L’enseignant met en avant dans un premier temps un principe supérieur : la créativité renvoyant à la cité inspirée, mais aussitôt développe un argumentaire pédagogique et didactique extrêmement précis, très professionnel et méticuleux, puisqu’il inclut dans sa posture les observations qu’il avait déjà pu faire l’année dernière, les questions qu’il se pose en tant que maître de CP, son expérience de CP, sa volonté de voir les garçons et les filles en bonne harmonie au sein d’une même activité, et il conclu par ailleurs sur une raison liée à ses propres intérêts :

‘Enseignant : « Le thème est les danses traditionnelles comme point de départ pour une création plus contemporaine. Il y a plusieurs raisons à ce choix. La première raison c’est que j’en avais fait un cycle danse l’année dernière avec une intervenante de la ville de V. et je m’étais aperçue qu’avec des CP c’était une activité qui était très porteuse au niveau moteur et puis même au niveau après de ce que l’on peut produire par la suite avec les enfants. De plus, au cycle 2, je trouve que c’est bien parce ils rentrent tous très facilement dans la danse , il n’y a pas de… les garçons ne sont pas encore en rejet de tout ce qui est un peu « féminin », après pourquoi la danse plus qu’autre chose, bon on va dire je pense que j’ai répondu, mais pourquoi traditionnelles ? Moi j’aime beaucoup la musique traditionnelle, donc on s’est mis d’accord un peu avec la danseuse, donc, elle est danseuse contemporaine, et donc on s’est dit, on va partir du répertoire traditionnel en danse et en musique aussi pour nourrir une création plus contemporaine.
V.R. : 2) Quels travaux pour les enfants sont-ils prévus, à l’heure actuelle, dans ce projet ?
Enseignant : Alors quels travaux… donc, au niveau de la danse il y a toute une approche au niveau du
vocabulaire , au niveau du répertoire moteur en fait, donc on va travailler sur les actions, il va y avoir pas mal de phases aussi… On a prévu pas mal de mise au point , de bilan après les séances , donc là plus à l ’ora l. Au niveau de la production, on s’est dit que ce serait pas mal de produire quelque chos e, mais on en a pas encore trop évoqué avec la danseuse, sinon qu’est-ce qui est prévu… On a prévu, en rapport aussi on a prévu une écoute de musique traditionnelle, et puis repérer les caractéristiques un peu musicales de ces musiques. Bon alors après c’est vrai qu’on peut… Au niveau de la danse, on va travailler sur l’ espace , sur le temps aussi, elle va nous proposer un spectacle à voir , donc on va aussi travailler sur la reformulation de ce que l’on a vu et puis des émotion s que cela peut susciter chez certains. Je crois que j’ai fait un peu près le tour. Après c’est vrai que là pour l’instant on va aussi redéfinir un peu mieux ça quand je vais la revoir, et puis on s’est dit aussi qu’on se donnait pas mal de marge de liberté pour pouvoir après aussi moduler notre projet en fonction aussi des réponses des enfants . La finalité est de prévoir un spectacle , on a imaginé de le présenter dans le cadre scolaire, aux parents, en utilisant une salle à V. Donc un spectacle créé par les enfants et aidé par l’artiste. Après, l’artiste ne va pas intervenir chaque semaine, elle va intervenir une semaine et puis moi je vais prendre le relais aussi entre temps pour continuer l’avancée du projet. »

L’enseignant développe ici un jeu entre le principe supérieur de créativité et le pédagogique qui ne va pas complètement disparaître, qui va persister tout au long de l’entretien.

Ensuite, l’enseignant insiste à nouveau sur le pédagogique (le vocabulaire, répertoire moteur, travailler l’oral, la production, l’écoute, le travail sur l’espace, la reformulation), puis son discours bascule dans les émotions.

Lorsque l’enseignant parle de « marge de liberté », cela peut vouloir dire qu’il se crée un espace pédagogique dans lequel il est beaucoup plus libre de ce qu’il fait, il peut plus facilement poursuivre ses fins, non pas pour faire n’importe quoi, mais pour poursuivre les buts qui sont les siens. Il souhaite ainsi pouvoir moduler et adapter le projet en fonction des réactions, des réponses des enfants.

Si l’on n’est pas en dehors de la forme scolaire, on peut parler d’un assouplissement de celle-ci, du fait qu’il règne une certaine souplesse de fonctionnement, malgré des prévisions de travail très structurées en amont.

En milieu d’entretien, lorsque l’enseignant pose ses préoccupations sur l’apprentissage, à nouveau l’enseignant bascule dans la didactique, dans l’enrôlement pédagogique et puis dans le domaine du sensible « moi ce qui m’intéresse c’est le domaine du sensible , de l’expression, ça peut être un bon moteur pour certains enfants, apprendre à parler, à écrire », « qu’ils puissent être acteur de leur création » : on revient sur un principe de créativité, d’expression. »

« On a regardé aussi le contenu des I.O. » est une forme d’allégeance à la forme scolaire, de fonctionnement propre à un enseignant.

Un autre passage reflète le côté personnel : « on est parti déjà de nos envies » il le dit à deux reprises, cela ne fait que corroborer l’alternance entre les principes supérieurs et le fonctionnement pédagogique et didactique.

Dans le second entretien, l’enseignant revient sur les attentes envers les enfants sous la forme d’un principe : « je veux qu’ils soient acteurs, leur donner envie », mais aussitôt il y a le déplacement, l’accentuation des fonctions disciplinaires, au début des effets comportementaux « je dirai qu’ils ne sont pas très positifs, donc j’ai retravaillé en classe le cadre de la danse, les règles de vie, ça ne se déroule pas comme moi je l’ai projeté, c’est assez difficile chaque semaine, je trouve qu’ils manquent de concentration. » La fonction disciplinante du maître et en même temps ses doutes par rapport à ce que ça apporte est assez visible. Par ailleurs, on voit monter de plus en plus fortement le rôle du spectateur, la finalité du spectacle.