Introduction générale

Ce travail a pour ambition de relever deux défis, clinique et technologique. Le défi clinique s’inscrit dans un contexte de réhabilitation psychosociale de patients présentant une schizophrénie. Quant au défi technologique, il a pour toile de fond le développement des nouveaux outils de télécommunication.

La schizophrénie

Tout d’abord, l’insertion sociale est un défi de la schizophrénie. En effet, cette psychose, qui touche 1% de la population mondiale, apparaît le plus souvent entre la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte, c'est-à-dire dans des années critiques du point de vue des exigences sociales. Avant cela, ce sont les parents qui prennent les décisions et organisent le quotidien. Avec plus ou moins de tolérance, on accepte plus volontiers qu’un enfant ait un comportement « bizarre », des amis imaginaires, des périodes d’agitation… De même, on mettra sur le compte de la crise d’adolescence un comportement hostile, un repli sur soi, un manque d’initiatives… Tant qu’aucun acte explicitement dévient n’est commis, un individu peut arriver à l’âge adulte sans que sa détresse psychique ne soit prise en charge. Or, pour se faire une place dans la société, la plupart des jeunes adultes du monde occidental se trouvent confrontés à un ensemble de responsabilités : trouver une orientation professionnelle, prendre soin de soi et de son propre domicile, se charger de démarches administratives, trouver un(e) conjoint(e), avoir des enfants… S’ils ne sont pas autonomes dans la plupart de ces domaines, les individus sont mal vus par les autres, et se dévalorisent eux-mêmes. Malheureusement, la schizophrénie entrave cette autonomie à cause de ses symptômes, mais aussi à cause des déficits cognitifs qu’elle implique.

Les symptômes se répartissent en deux catégories : « positifs » (idées délirantes, hallucinations, idée de grandeur, sentiment de persécution...) et « négatifs » (émoussement affectif, alogie, perte de volonté…). De plus, la désorganisation schizophrénique peut se manifester par un discours incohérent, un comportement incompréhensible, et principalement une coupure avec le monde.

Ces manifestations dérangent l’entourage et isolent le patient. En effet, une personne qui parle avec des esprits, qui pense être sur écoute de la CIA, ou qui assure être capable de télépathie, a de grand risque d’être désocialisée. De même, une personne qui ne s’intéresse pas à autrui, vit reclus, ou tient des discours incohérents peut être rejetée. Les traitements habituels permettent généralement de diminuer ces symptômes et de les stabiliser. Cependant, les troubles cognitifs perdurent la plupart du temps, constituant un obstacle à la récupération des capacités fonctionnelles1. Afin de pallier à ces déficits cognitifs, de nouvelles stratégies sont mises en place. Certaines impliquent l’utilisation des nouvelles technologies.

Les nouvelles technologies

Depuis le début du XXème siècle, nous assistons au développement accéléré et à la démocratisation de ces technologies, et, dans leur sillage, des télécommunications. Depuis une cinquantaine d’années, le téléphone puis l’ordinateur se sont installés dans la plupart des foyers. Puis le monde moderne a vu se miniaturiser ces outils pour devenir transportables et offrir leurs services à l’extérieur. Les dimensions pratiques et esthétiques, mises en avant dans de grandes campagnes de communications, ont transformé ces objets en véritable phénomène de mode, leur conférant une image valorisante. D’ailleurs, depuis une dizaine d’année, les téléphones et les ordinateurs sont devenus « intelligents et élégants » (« smart ») !

De plus, le prix des instruments et des services a considérablement diminué, ce qui les a rendus plus accessibles. Depuis l’an 2000, le nombre d’utilisateurs de téléphones cellulaire a plus que triplé dans le monde. En 2009, l’Union Internationale des Télécommunications évaluait le nombre d’utilisateurs de téléphones cellulaires à 4.6 milliards, et comptait 1.9 milliards de détenteurs d’ordinateurs. Par ailleurs, plus d’un quart de la population mondiale est désormais connectée et utilise le réseau Internet. Des services en lignes accessibles à distance, à toute heure, depuis n’importe où, se sont alors développés, et des réseaux sociaux se sont mis en place. En plus de rapprocher et de valoriser les individus, l’électronique et l’informatique permettent d’automatiser des tâches et de stocker des masses d’informations, compensant ainsi les limites du corps et de l’esprit. Cependant, le fonctionnement de ces outils si pratiques peut parfois se révéler obscur, d’autant plus si l’on présente des troubles cognitifs et/ou une maladie mentale. Pourtant, ces personnes en situation de handicap psychique pourraient particulièrement tirer profits de tels outils et de tels services. Il est donc temps d’adapter ces instruments aux capacités et aux besoins de ces personnes, et de les faire participer à cette évolution du monde moderne.

Néanmoins, la crainte d’un manque de contrôle du développement des machines fait entrevoir une destruction de l’homme et de la nature, et la numérisation ambiante peut autant nous rapprocher qu’elle peut nous isoler. C’est conscient de ces risques que nous proposons d’exploiter les opportunités qu’offrent les nouvelles technologies pour aider des personnes qui présentent une maladie mentale grave telle que la schizophrénie à sortir de leur isolement et/ou de leur dépendance aux autres. D’envergure internationale, ce projet franco-québécois rassemble les visions de différentes disciplines cliniques, technologiques, académiques, éthiques et commerciales. Du Québec à la France, un réseau s’est formé entre les villes de Montréal, Sherbrooke, Québec et Lyon, incluant psychiatres, neuropsychologues, ergothérapeutes, pharmaciens, infirmières, aides médico-psychologiques, travailleurs sociaux, ingénieurs en informatique, chercheurs en neurosciences et sciences de la cognition, éthiciens, commerciaux, et les acteurs clés : les utilisateurs eux-mêmes, c'est-à-dire les patients. L’ambition commune de tous ces collaborateurs est de développer un ensemble d’outils destinés à guider la réalisation de tâches quotidiennes, tout en offrant des possibilités de communication et de mobilité. Ce doctorat fait partie d’un projet plus large de développement d’un Module d’Evaluation et de Remédiation Cognitive Implantable dans la Société ( www.mercis.org ) destiné « à rendre service à des patients atteints de psychose chronique, comme la schizophrénie, ou à des personnes âgées en perte d’autonomie intellectuelle ».

Nous proposons de développer des assistants technologiques qui amélioreront l’autonomie des patients, en les assistant de manière écologique, c'est-à-dire dans leur environnement quotidien, dans l’organisation de leurs activités et dans la gestion de leur prescription médicale.

Notes
1.

Les capacités fonctionnelles sont les aptitudes à organiser les activités clés de la vie quotidienne (Green et al., 2000)