1.1.1.1.2. Troubles frontaux et déficits des fonctions exécutives

Selon la conception de Shallice, si le SAS correspond exactement aux fonctions frontales, alors toute atteinte frontale correspond à un mauvais fonctionnement du SAS. L’activité du GC n’est donc plus modulée, ce qui peut expliquer les erreurs de persévération, les défauts de flexibilité ou encore le comportement d’utilisation (M.F. Schwartz, 2006). Cette conception décrit donc le syndrome frontal comme une difficulté à superviser une activité dans le cas d’une situation nouvelle. Une considération alternative est proposée par M.F. Schwartz dès 1991 (M.F. Schwartz, 2006; Seron, et al., 1999).

Cette professeure en médecine de la réhabilitation a étudié les conséquences de lésions frontales sur les Activités de la Vie Quotidienne (AVQ), telles que « préparer un café » ou « allumer une cigarette ». L’aspect routinier de ces tâches est sensé ne pas faire intervenir le SAS puisque les schémas d’action sont activés automatiquement. Or, les patients frontaux étudiés par Schwartz et ses collaborateurs commettaient des erreurs spécifiques lors de la réalisation de leurs AVQ, comme des actes manqués, des omissions de séquences, etc. Ces observations suggèrent une intervention du SAS même pour le contrôle d’actions routinières (Seron, et al., 1999). Les auteurs ont alors repris le concept, proposé par Luria, d’apraxie frontale, qu’ils nomment aussi Syndrome de Désorganisation de l’Action(M.F. Schwartz, 2006; Seron, et al., 1999).

Dans leur ouvrage sur les formes cliniques et les modèles théoriques des apraxies, Le Gall et Peigneux (Le Gall & Peigneux, 2004) décrivent la méthode du système de codage des actions : « Action Coding System » (ACS). Cette méthode consiste en un enregistrement vidéo des manipulations des objets de la vie quotidienne du patient à l’hôpital. Elle permet de décrire les étapes des actions en les décomposant en unités A-1 et A-2 :

A-1 : unités comportementales de base de la séquence d’actions. Elles aboutissent à un résultat concret et fonctionnel. Cela peut être un déplacement d’objet ou une modification de son état (ouvert/fermé, branché/débranché...). La réalisation séquentielle de ces unités forme un script d’unités A-1s dans lequel se distingue l’unité A-1 centrale.

A-2 : groupe de plusieurs A-1s qui aboutissent à un sous-but.

Un exemple d’ACS est proposé dans le Tableau 2 suivant.

Tableau 2. Exemple de système de codage de l'action "Se brosser les dents"
Actions A-1 Action centrale Actions A-2
Prendre sa brosse à dent Mettre le dentifrice
Prendre le dentifrice  
Ouvrir le bouchon du dentifrice  
Mettre le dentifrice sur la brosse X  
Refermer le tube de dentifrice  
Ouvrir le robinet Humecter la brosse à dents
Passer la brosse à dent sous l’eau X  
Fermer le robinet  
Mettre la brosse à dent dans la bouche Brosser les dents
Brosser les dents X  
Cracher  
Ouvrir le robinet Rincer la bouche
Remplir la bouche d’eau  
Rincer la bouche X  
Cracher  
Passer la brosse à dent sous l’eau X Nettoyer la brosse à dent
Fermer le robinet  
Reposer la brosse à dent à sa place X Ranger

Les erreurs à ses diverses étapes sont ensuite analysées, permettant la description de trois types de désorganisations :

Erreurs d’action, correspondant à une substitution ou une omission d’un objet.

Présence excessive d’A-1s indépendantes. Par exemple, le patient prend un objet, le déplace et le repose sans but, et ceci plusieurs fois.

Désorganisation de l’ordre sériel des A-2s. Par exemple, le patient se brosse les dents sans être passé par l’étape « mettre du dentifrice ».

Qui ne s’est jamais trouvé avec un objet en se posant la question : « Mais qu’est ce que je fais avec ça dans la main ? », ou encore, qui ne s’est jamais retrouvé devant le frigo pour y ranger ses lunettes ? Ces erreurs peuvent être commises par tout un chacun, dans des moments d’inattention, lorsque le GC échappe au contrôle du SAS et laisse se déclencher une routine inadaptée. Schwartz et al. (M. F. Schwartz, 2006) suggèrent en effet l’existence d’un continuum partant de la population générale, en passant par des patients souffrant de troubles légers, pour aboutir, à l’extrême, aux patients souffrant d’apraxie frontale, sujets à de fréquentes omissions et à des actes manqués plus visibles. Ce continuum pourrait s’étendre aux désordres psychiatriques tels la schizophrénie ou le trouble bipolaire, dans lesquels les patients ont des difficultés à organiser leurs AVQ.