1.1.1.3. Fonctions exécutives et non-adhésion au traitement

Les résultats des études concernant l’implication des déficits cognitifs dans l’adhésion aux antipsychotiques sont parfois contradictoires (Tableau 3). Comme le suggèrent Robinson et al. (Robinson et al., 2002), ces écarts de résultats pourraient être la conséquence des multiples variétés de mesures et de populations étudiées. Par exemple, Perkins et al. (Perkins et al., 2008) suggèrent que contrairement aux observations rapportées dans la schizophrénie chronique, les patients en premier épisode psychotique ayant de bonnes performances cognitives présenteraient une faible adhésion médicamenteuse, sans savoir en expliquer les raisons. Pourtant, dans leur étude prospective chez des patients en premier épisode psychotique, Robinson et al. (Robinson, et al., 2002) ont mis en évidence que de meilleures performances exécutives prédiraient une meilleure adhésion. D’un autre côté, dans l’étude de Cuffel et al. (Cuffel, Alford, Fischer, & Owen, 1996), les patients externes qui avaient les performances cognitives les plus déficitaires rapportaient une meilleure adhésion dans les trente jours précédant l’évaluation. Soit les patients avaient effectivement une bonne adhésion malgré leurs déficits cognitifs, soit ils ont surestimé, à posteriori, leur adhésion médicamenteuse. En effet, cette surestimation dans le cadre de rapports rétrospectifs auto-générés a souvent été observée (voir (Velligan et al., 2010)et paragraphe suivant traitant des outils d’évaluation de l’adhésion aux antipsychotiques). Quant à Jeste et al. (Jeste et al., 2003), leurs résultats suggèrent que le fonctionnement cognitif prédit l’adhésion de manière plus importante que les autres prédicteurs trouvés dans leur étude comme les caractéristiques démographiques, la sévérité de la pathologie ou les attitudes des patients face aux médicaments. Il semble donc que, à part l’étude de Perkins et al. (Perkins, et al., 2008) dans laquelle les auteurs ne savent pas expliquer leur résultats (« reason for this is unclear »), les études les plus récentes s’accordent à trouver une implication du fonctionnement cognitif dans l’adhésion, certainement grâce à l’apparition de plus en plus de tests cognitifs spécifiques des fonctions évaluées et validés pour la schizophrénie (voir notre premier chapitre sur l’évaluation du fonctionnement cognitif dans la schizophrénie). Les déficits du fonctionnement exécutif semblent particulièrement influencer l’observance médicamenteuse (Jeste, et al., 2003; Robinson, et al., 2002). Or, Comme nous l’avons déjà vu pour l’ensemble des AVQ, les patients auraient de la difficulté à organiser cette activité, à l’initier et à la mener jusqu’à son but, malgré leur intention d’y parvenir (Robinson, et al., 2002). Dans l’étude de Jeste et al. (Jeste, et al., 2003), les deux prédicteurs les plus significatifs de la non-adhésion étaient les items « conceptualisation » et « mémoire » de la Dementia Rating Scale (DRS). En effet, la mémoire est inévitablement impliquée dans l’adhésion qui implique de se souvenir de prendre ses médicaments. Cependant, Robinson et al. (Robinson, et al., 2002) suggèrent que les problèmes de non-adhésion ne se limitent pas à l’oubli de prendre le traitement. La mémoire serait davantage impliquée par son chevauchement avec le fonctionnement exécutif, dans ses composantes « mémoire de travail » et « mémoire prospective ». Rappelons que la mémoire de travail permet de stocker des informations pendant une période relativement courte, malgré la réalisation distractive d’autres tâches. Quant à la mémoire prospective, elle concerne le stockage d’informations qui serviront dans le futur. Il s’agit de se souvenir des tâches qui doivent être réalisées, et de les accomplir au bon moment (LoPresti, et al., 2004). Ces deux composantes sont essentielles à la réalisation d’un plan d’action, puisqu’il s’agit de mémoriser que l’on a une prescription médicale à suivre dans les jours futurs, et de conserver en mémoire quelle étape de la prescription a déjà été réalisée tout en l’effectuant, afin de ne pas faire d’erreur de dose, de quantité et de qualité de pilule au moment de la prise. Pour améliorer l’évaluation de l’adhésion, Robinson et al. (Robinson, et al., 2002) proposent alors de suivre les recommandations de Luria, qui, il y a trente ans, suggérait de d’intégrer l’évaluation de la mémoire des intentions aux évaluations neuropsychologiques, c'est-à-dire la capacité à maintenir un programme d’actions dirigées vers un but face à un distracteur.

Tableau 3. Présentation des facteurs de risques les plus significatifs pour prédire la non-adhésion aux antipsychotiques selon les 7 études sur revues. Présentation particulière de facteurs cognitifs mettant en évidence une difficulté de consensus.
Article Facteurs de risque de non-adhésion Influence des performances cognitives
1. Buchanan et al. (1992)   Pas de corrélation MMSE/Non-adhésion
2. Cuffel et al. (1996) Insight Performances neurocognitives faibles associées à meilleure adhésion selon les patients eux-mêmes (self report).
3. Smith et al. (1999)   Pas de corrélation entre performance neurocognitive/adhésion
4. Robinson et al. (2002) Effets parkinsoniens des médicaments - Pendant la première année de traitement : fonctionnement cognitif pré-morbide déficitaire associé à une probabilité plus élevée de non-adhésion médicamenteuse
- Après la première rechute, un bon fonctionnement exécutif réduit les risques de non-adhésion
5. Jeste et al. (2003) Score total au DRS, attitude/médication, sévérité des symptômes négatifs, caractéristiques démographiques Les deux prédicteurs les plus significatifs: conceptualisation et mémoire au DRS
6. Ascher-Svanum et al. (2006) Non-adhésion passée, utilisation récente de drogue et d'alcool, traitement aux antidépresseurs dans le passé, auto-rapports de déficits cognitifs liés à la médication Un nombre élevé de troubles cognitifs liés à la médication rapportés par le patient est associé à une non-adhésion
7. Perkins et al (2008) Abus de substance, dépression, échec de la réponse au traitement, origine ethnique ; insight 2 corrélé faiblement Meilleures performances cognitives à ligne de base associée à faible adhésion médicamenteuse

Cependant, les causes de non-adhésion ne se limitent pas aux déficits cognitifs. Peu de recherches se sont d’ailleurs intéressées exclusivement à ce domaine. En général, le fonctionnement cognitif est étudié à côté d’un ensemble d’autres facteurs, selon le modèle des facteurs de risque de l’adhésion au traitement. Dans le chapitre suivant, nous proposons une revue des différents modèles qui tentent d’expliquer ces difficultés d’adhésion.

Notes
2.

Le concept d’insight regroupe les processus de prise de conscience et d’attribution. La prise de conscience est la reconnaissance des signes ou des symptômes de la maladie, tandis que l’attribution fait référence aux explications que l’on se formule sur les causes de ces symptômes (Amador et al., 1993)