Section 1 le concept de stratégie/ Analyse théorique

1 Historique

11 Concept et outils de l’analyse stratégique

De son sens étymologique, la stratégie est l’art de conduire une armée et de disposer judicieusement ses troupes afin de remporter la victoire. Elle trouve son origine dans les textes militaires célèbres (SunTzu33 ou Von Clausewitz34). Mais ce n’est qu’aux alentours des années 60 que ce concept fait son apparition dans le champ de la gestion d’entreprise.

Les premiers auteurs commencent alors à mettre en lumière les liens entre stratégie, structure d’organisation et performance.

Par ailleurs, pour transposer la définition de la stratégie d’origine militaire au monde de l’entreprise, Frédéric LEROY (2004, p 7) la définit ainsi: « La stratégie d’entreprise consiste, en effet à se fixer des objectifs en fonction de la configuration de l’environnement et des ressources disponibles dans l’organisation puis à allouer les ressources afin d’obtenir un avantage concurrentiel durable et défendable ».

L’essence de la stratégie vise donc à modifier les règles du jeu concurrentiel et à créer des nouveaux facteurs de succès. Plusieurs approches ont été développées. C’est ainsi qu’en 1965, l’Ecole de Harvard produisait le modèle LCAG35, en développant le concept de « Business Policy ». Ce modèle LCAG affiné plus tard en 1971 par Andrews fut à l’origine d’un courant des travaux qui prône la démarche de diagnostic stratégique systématique afin d’identifier les compétences distinctives de l’organisation. C’est démarche vise à confronter les caractéristiques de l’environnement concurrentiel évaluées en termes d’opportunités et menaces et de facteurs critiques du succès aux forces et faiblesses de l’entreprise. Le but est d’évaluer les options et les mouvements stratégiques et de réaliser un choix compte tenu des caractéristiques de l’environnement socio-économique global de l’entreprise.

Selon les concepteurs de ce modèle, la stratégie relève du domaine des grands choix fondamentaux, des grandes orientations, des options de base. Elle concerne l’entreprise dans son ensemble et s’inscrit dans le long terme. La stratégie relève du dirigeant, c’est la fonction même de l’entrepreneur et la fonction essentielle de direction générale.

Pour Marc INGHAM (1995, p 5) : « Le concept de Harvard est plus orienté vers l’action que vers la conceptualisation. La stratégie est vue comme un processus social et historique et non principalement comme un processus intellectuel. La stratégie est un principe de cohérence interne et par rapport à l’environnement, une liaison historique entre le passé, le présent et l’avenir de l’entreprise ». Plus loin, il précise : « Le concept de stratégie dépasse largement la définition de l’activité et le choix des produits-marchés et des activités pour inclure les principaux acteurs de l’environnement concurrentiel et socio-économique».

Dans cette optique, la stratégie ne vient pas seulement de l’entreprise mais aussi de tous ses partenaires (concurrents, usagers ou clients, fournisseurs, Etat…). A travers donc des choix tactiques qu’elle juge opportuns pour son développement, l’entreprise cherche à réagir face aux changements de son environnement. La stratégie met donc l’entreprise devant toute compétition avec d’autres entreprises appartenant à son domaine d’activité. Pour y parvenir, elle doit non seulement identifier les caractéristiques de son marché, mais aussi bien les cerner pour les maîtriser mieux que ses concurrents. Dans un sens, ce modèle rejoint bien d’autres modèles de l’analyse stratégique (diagnostic des forces et faiblesses de l’entreprise, analyse des menaces et opportunités, détermination du champ du possible…) qualifiés de classiques. Cette approche classique qui consiste à considérer le cas de chaque entreprise comme totalement spécifique ne se prête à aucune généralisation (à l’aide d’un modèle ou d’un schéma d’analyse). C’est l’analyse que fait Pierre DUSSAUGE dans Marc INGHAM (1995, p 116) :«Force est d’ailleurs de constater que, de la même façon qu’il n’existent pas deux entreprises rigoureusement semblables, les stratégies mises en œuvre sont rarement identiques ; il peut donc sembler hasardeux de vouloir établir des généralités en matière de stratégies gagnantes ou perdantes ou même de chercher à classer les stratégies concurrentielles dans une typologie trop rigide».

En fait, ces modèles manquent d’opérationnalité et pour y remédier, certains chercheurs, consultants pour la plupart ont cherché à identifier certaines variables clés de l’analyse stratégique.

On voit alors apparaître une succession de nouveaux modèles. Dans le premier du genre développé par le Boston Consulting Group (BCG) à la fin des années 60, c’est un outil simple d’aide à la décision stratégique : la célèbre matrice BCG liant taux de croissance du secteur et part du marché de l’entreprise. Pour les auteurs du modèle, seule la stratégie de volume, stratégie de conquête de part de marché est pertinente. Mais ce modèle comporte des limites du fait que dans certaines situations, la taille de l’entreprise n’explique pas son avantage stratégique.

Différentes entreprises d’un secteur d’activité donné peuvent donc développer plusieurs stratégies gagnantes, qualifiées de génériques par Michael E. PORTER (1980) qui distingue deux catégories :

  • les stratégies de domination par les coûts
  • les stratégies de différentiation.

Pour Porter, les voies permettant à l’entreprise de se constituer un avantage concurrentiel sont plus nombreuses et dépendent surtout des caractéristiques du secteur d’activité de l’entreprise. C’est une analyse concurrentielle « élargie » qu’il propose avec plusieurs variables dont entre autres : une meilleure utilisation des capacités de production, une localisation plus appropriée, ou tout autre facteur permettant à l’entreprise d’avoir durablement un niveau de coût inférieur à celui de ses concurrents. Parallèlement à cette stratégie des coûts plus faibles, il développe la stratégie de différentiation ou de l’offre spécifique. Pour lui, ces deux stratégies peuvent coexister dans un même secteur mais ne peuvent être appliquées simultanément par une même entreprise au risque d’être dans une situation stratégiquement intenable. Toutefois, Michael E. PORTER mentionne un troisième type de stratégie générique qualifié de « concentration » ou de « focalisation ».

Dans son modèle Michael E. PORTER appréhende l’environnement comme une variable explicative de la stratégie d’entreprise. Les caractéristiques propres à chaque secteur peuvent faciliter ou empêcher la mise en œuvre de tel ou tel type de stratégie. Cette constatation pousse certains chercheurs à développer l’approche en termes d’environnement concurrentiels déterminants.

En 1982, le Boston Consulting Group (BCG) identifie quatre grands types d’environnements concurrentiels possibles (Tableau 13) en mettant en parallèle les sources de différentiation concurrentielle et l’avantage concurrentiel potentiel pour déterminer la nature de l’activité.

Tableau 13: Les systèmes concurrentiels selon le BCG

Source de différentiation concurrentielle
  Avantage concurrentiel potentiel
  Faible Elevé
Nombreuses Activités fragmentées Activités de spécialisation
Limités Activités en impasse Activités de volume

Source : Marc INGHAM. Management stratégique et compétitivité. 1995. Page 120.

A chaque « système concurrentiel » (nature d’activité), il fait correspondre une stratégie qu’il qualifie de naturelle. Il en ressort quatre catégories d’activités :

  • des activités de spécialisation (plusieurs concurrents réalisant simultanément des performances élevées). Dans ce cas, la stratégie naturelle correspondante est celle de la différentiation (produire une offre spécifique).
  • des activités en impasse (aucun concurrent ne jouit d’un avantage concurrentiel important). Les entreprises se trouvent alors dans une impasse stratégique. Les activités ne sont pas rentables ce qui peut entraîner l’abandon de l’activité. La stratégie adéquate est l’assainissement de l’activité soit par la régulation des pouvoirs publiques et/ou par l’entente entre concurrents.
  • des activités fragmentées (nombreux petits concurrents avec aucun avantage à la taille). Ces sont des entreprises de taille modeste entrant et sortant continuellement du marché. La stratégie qui peut correspondre à ce type d’activités est celle de repli. Les entreprises doivent alors chercher des niches stratégiques (un seul type de client, une seule liaison…).
  • des activités de volume (où les offres des divers concurrents sont très homogènes). Ce sont des entreprises qui jouissent d’un effet d’expérience très significatif. Le BCG préconise pour ce type d’activités, une stratégie de coût et de volume. Chaque entreprise cherchera à devenir un des concurrents dominants.

En définitive, les approches développées en termes de stratégie mettent en avant la recherche de l’avantage concurrentiel. Cependant, certaines entreprises arrivent à mieux se développer sans pour autant se préoccuper d’obtenir un avantage concurrentiel. Pour se protéger de la concurrence, elles établissent des relations privilégiées avec certains partenaires de leurs environnements (pouvoirs publics, certains concurrents, groupes de pression divers).

De manière générale, les stratégies d’entreprise se répartissent en deux groupes : stratégies de domination par les coûts et stratégies de différentiation. Pour atteindre sa finalité, l’entreprise doit prendre ses décisions dans une démarche stratégique.

Notes
33.

Général prussien 1780-1831

34.

Général chinois, Vè siècle avant JC

35.

Leaned, Christensen, Andrews et Guth