22 Les principaux leviers de la stratégie des entreprises de transport

La difficulté de mise en œuvre engendrée par l’immatérialité du service et la forte implication du client dans le processus d’élaboration du service seront au cœur de toutes les particularités qui peuvent exister au niveau des stratégies des entreprises de services. Deux éléments sont à notre avis fondamentaux pour le processus stratégique des entreprises de services et particulièrement des activités de transports: le client et l’offre (prix et support physique). Il s’agit ici des éléments sur lesquels l’entreprise de transport devrait pouvoir se focaliser pour l’élaboration de sa stratégie.

  • Le client

L’une des particularités des services est la forte relation qui réside entre le client et le prestataire. Cette implication est en générale réelle et directe et témoigne de l’importance du statut du client aux yeux du prestataire. Ceci n’implique pas qu’elle est forcement naturelle et évidente. En effet, le client n’est pas dans tous les cas présent, il peut se dissimiler derrière par exemple un numéro de compte, un contrat d’assurance… Par ailleurs, certains prestataires ont plusieurs clients. C’est le cas par exemple des intermédiaires comme l’agent immobilier qui se trouve en général entre le vendeur et l’acheteur. C’est le cas aussi des transports collectifs qui offrent à un moment précis et sur une distance donnée, la même prestation à plusieurs clients.

Toutefois, en règle générale, le prestataire du service considère le client comme le point focal car pour accroître sa production de service, il doit chercher le maximum de clients. Le client est donc un élément fondamental du processus stratégique dans les entreprises de services. Selon Didier CHAMBARETAUD (2003, p 94) «c’est en réalisant que le client est vraiment le point focal que l’homme ou l’entreprise de services peuvent espérer trouver des sources pertinentes d’amélioration, de productivité voire d’évolution de leur formule de service ».

Néanmoins, pour développer leurs activités, les entreprises de services se doivent de multiplier les points de contact avec leurs clients. Cette déduction provient de la simultanéité de la production et de la consommation du service. Cela permettra au client d’éviter des coûts supplémentaires de déplacements pour rejoindre un point de contact très éloigné de son lieu de résidence par exemple. En constituant le réseau permettant de couvrir sa zone d’intervention, l’entreprise de service multiplie ses chances de contact avec les clients et donc le développement de son offre. C’est le cas plus particulièrement des services qui s’inscrivent dans l’espace comme le transport qui sert à relier une origine à une destination. Pour les entreprises de transport des voyageurs par exemple, cela leur permettra de diminuer ou même d’éviter complètement les retours à vide. Cet élément est devenu aujourd’hui une évidence par exemple pour les sociétés de transport au Niger. En effet, chacune d’entre elles se prêtent au jeu en multipliant ses guichets de billetterie à Niamey et des agences dans toutes les villes desservies. Il reste tout de même à noter qu’au niveau de Niamey, seuls les points de vente de billets sont multipliés ce qui n’est pas de nature à réduire les coûts supplémentaires de déplacement pour le voyageurs le jour du voyage. La difficulté d’accessibilité est un handicap considérable auquel les compagnies de transport ne prêtent guère attention. La SNTV peut être citée en exemple en raison de sa localisation en zone périphérique (plus proche de l’aéroport que du centre ville). Plusieurs voyageurs renoncent à choisir la SNTV en raison de l’éloignement de la gare de l’entreprise par rapport à leur résidence mais aussi des horaires de départ très tôt le matin (avant 6 heures).

La problématique d’accessibilité à la gare reste encore une question à élucider. Aussi, certaines sociétés comme EHGM ont instauré un système de ramassage de leurs clients dans les zones très éloignées de leur siège et se déclarent satisfaites de cette initiative.

Toutefois, l’importance de la multiplication et du choix des points de contact dépend de la nature des prestations qui seront fournies (informations, achats des billets, ramassage des voyageurs…).

Mais la recherche d’un maximum de clients suppose aussi une politique d’offre plus adaptée.

  • L’offre

Comme nous l’avons déjà dit, la recherche d’un nombre plus important des clients est l’objectif de toute entreprise de service. L’immatérialité du service pose le problème de sa valeur perçue par le client. Il revient donc au prestataire de rendre son service attractif pour le client. Il faudrait peut être des attributs pour différencier le service et le rendre plus visible. L’intérêt du transporteur est d’offrir au client une représentation du service qui lui conférera une image plus séduisante. Le slogan publicitaire de la SNTV en est un bon: « Arriver en toute sécurité peu importe le temps mis », et les clients semblent y être sensibles. C’est notre cas, car pour le voyage Niamey-Maradi, la sécurité a été déterminante dans notre choix de cette compagnie de transport. A partir des informations recueillies lors de nos enquêtes auprès des voyageurs) nous avons choisi sans hésiter de voyager avec cette compagnie. Promesse tenue car le conducteur de l’autocar a respecté la vitesse réglementaire contrairement aux bus d’autres compagnies qui faisaient la course même sur des routes très détériorées.

Aussi, dans la plupart des cas, la communication publicitaire est nécessaire pour développer l’offre de service et elle peut se faire de plusieurs manières comme à partir des simples symboles, des promesses sur les prix, des avantages financiers, la crédibilisation de la qualité du service en encourageant le «bouche à oreille». Ceci implique de bien spécifier l’offre pour rendre plus claire la promesse du service. En effet, comme le mentionne Didier CHAMBARETAUD (2003, p 168) : «La promesse liée à la représentation du service proposé est, pour le client, l’une des toutes premières expériences qu’il a de l’entreprise qui la vend». Plus loin, il écrit : «Elle est essentielle également parce qu’à elle seule, la promesse résume tout le positionnement de l’entreprise prestataire de services».

Par ailleurs, l’étude d’une offre suppose de définir les prix. En effet, le prix sert aussi à matérialiser un service en envoyant des signaux. A travers le prix sont indiqués la qualité et le positionnement réel du service. Cependant, les tactiques liées au prix dépendent non seulement de la nature de la prestation, mais aussi du contexte dans lequel l’offre du service est fournie. Il peut s’agir entre autres exemples de facturer le service sur la base d’une seule unité d’œuvre comme le paiement à l’heure, au kilométrage…. Mais cet élément, n’est pas une variable distinctive des sociétés de TRIV au Burkina Faso, au Mali et Niger qui affichent pratiquement les mêmes tarifs pour les mêmes dessertes. Cependant, entre les compagnies de transport et les artisans transporteurs, le prix devient la clé de voûte. Les artisans transporteurs misent sur les prix bas pour attirer leur clientèle mais les services offerts aux voyageurs ne sont pas identiques à ceux des sociétés de transport

Aussi, pour penser au prix, il faudrait au préalable songer au support.

En effet, pour miser sur l’image, l’entreprise de service peut, dans le souci de rendre tangible sa prestation, lui associer des éléments matériels ou supports physiques. Le plus souvent, cela renvoie au confort et à la sécurité pour les clients. Le support peut représenter un élément de différentiation avec les concurrents, il peut traduire le style, la marque et par conséquence le type de clients visés. De manière générale, les supports physiques matérialisent trois types de facteurs qui sont non moins importants aux yeux du client : le design (qui traduit l’esthétique), l’ambiance (minimum requis au bien être des clients telle la propreté, la température des lieux…) et les facteurs sociaux (le nombre d’individus participant, leurs caractéristiques, leurs comportements…). Pour certaines sociétés, au Niger comme au Burkina Faso et au Mali, seules les caractéristiques techniques des véhicules sont à considérer. Pour elles, ces caractéristiques sont des éléments de fiabilité beaucoup plus à cause de l’état des routes que pour le luxe des clients. Toutefois, certaines d’entre elles comme la société TCV au Burkina Faso font du confort et de la sécurité leurs slogans publicitaires en insistant sur le fait qu’elles exploitent la dernière génération de véhicules.

L’analyse des ces deux éléments, client et offre, nous permet d’affirmer que l’entreprise devrait saisir l’opportunité d’un face à face avec le client pour bâtir une relation de confiance car, comme le souligne Didier CHAMBARETAUD (2003, p 110) : « Chaque expérience de service est une expérience humaine que l’on raconte et que l’on transmet ».

Le prestataire cherchera alors à différencier son service non seulement pour attirer plus de clients, donc pour développer son offre, mais aussi pour fidéliser sa clientèle. Il peut aussi miser sur une politique de réduction des coûts tout en leur garantissant une bonne prestation.

En définitive, l’importance et la nature des caractéristiques des services n’altèrent pas complètement la pertinence des concepts de stratégie. Ces derniers peuvent être utilisés sous réserve de quelques amendements, enrichissements propres à l’analyse stratégique des entreprises de services dans le but de créer mais aussi d’entretenir la confiance du client. Pour atteindre son objectif, l’entreprise de services élabore ses stratégies à partir de deux types de politiques : la politique d’offre et la politique de réseau, autrement dit, la fidélisation de la clientèle et la couverture du marché. En croisant ces deux formes de politiques on obtient le tableau ci-dessous (Tableau 14).

Tableau 14: Les différentes situations possibles pour une entreprise de service
POLITIQUE D’OFFRE
Peu Plus
POLITIQUE DE RESEAU
Peu
1 Réseau et offre
Limités
3 Offre étendue et
réseau limité
Plus 4 Offre restreinte et
Réseau étendu
2 Offre et réseau
étendus

On a ainsi quatre cas de figures avec deux situations extrêmes : une offre et un réseau restreints d’une part, une offre et un réseau plus étendus d’autre part.

Si le premier cas est plus simple et plus fréquent surtout chez les petites et moyennes entreprises, le second est plus complexe du fait de risque plus important que peut encourir l’entreprise : elle doit à la fois gérer une offre plus importante et intervenir sur plusieurs localisations avec des coûts qui peuvent être très difficiles à maitriser. Cette situation concerne en général les grandes entreprises qui se lanceraient dans une lutte concurrentielle en mettant en œuvre une politique d’offre et une politique de réseau sophistiquées. Ici on retrouve les grands groupes comme la SOMATRA et BITTARS TRANS au Mali qui font le transport marchandises et de personnes, urbains et interurbains, du commerce, de l’import-export….De même la société RIMBO au Niger qui, en dehors du TRIV au niveau national et international, fait l’import-export, la vente des hydrocarbures et de produits laitiers…

Le troisième cas, une offre est étendue et un réseau est limité, concerne les entreprises qui produisent des biens qui ne nécessitent pas de déplacements. Pour les entreprises de transport par exemple, la limitation du réseau à un seul point de contact serait pratiquement impossible.

Il ne concerne donc pas le transport de voyageurs

Enfin la quatrième situation où l’offre est limitée alors que l’entreprise dispose d’une forte expansion géographique, est idéale pour les entreprises qui veulent atteindre le marché potentiel à travers une forte politique de réseau. C’est le cas de la plupart des sociétés de TRIV comme la SNTV au Niger qui desservent pratiquement toutes les villes du pays mais aussi des capitales étrangères.

A partir de sa situation initiale, l’entreprise peut donc décider de mener l’une ou l’autre de ces stratégies :

  • différentiation (essayer de se distinguer de ses concurrents en apportant un plus à son offre sans pour autant la diversifier). C’est une orientation stratégique qui permettra à l’entreprise de rendre son service plus visible tout en cherchant à gagner la confiance du client et in fine le fidéliser.
  • volume (diversification de son offre ou extension de son réseau ou les deux à la fois). Pour atteindre le marché potentiel, l’entreprise de services peut s’orienter soit dans la croissance interne soit dans la croissance externe. Elle peut à cet effet diversifier son offre de service en élargissant sa gamme de services ou en essayant d’atteindre un réseau plus vaste. Ces deux situations sont possibles dans le secteur TRIV en Afrique où les entreprises peuvent développer l’offre interurbains et urbaine marchandises et voyageurs et avec plusieurs liaisons en perspective.
  • recentrage : se concentrer sur une seule offre avec un réseau restreint. L’entreprise devrait alors limiter son activité au seul TRIV en assurant une seule liaison ou alors cibler un seul type de clientèle, par exemple le transport routier des commerçants entre Niamey et Bamako.

L’analyse précédente montre que le choix d’une stratégie concurrentielle dépend non seulement du secteur mais aussi des moyens dont dispose l’entreprise. Chacune de ces trois options stratégiques analysées regroupe un certain nombre de choix qui prennent en compte non seulement les caractéristiques de l’entreprise mais aussi celle de son environnement.

Cela implique dans un secteur donné, une multitude de positionnements dans lesquels des ressemblances peuvent être identifiées. Ces proximités qui peuvent exister estompent les barrières entre les trois options stratégiques. C’est dans ce sens que Didier LECLERE (1996, p 89) écrit : «Par exemple, la distinction entre la différentiation et la focalisation est un peu artificielle : pour être concurrentiel sur un créneau particulier, il faut en général adapter le produit à ce créneau et différencier la stratégie marketing en fonction de la cible choisie. En outre, une politique de prix bas peut constituer…un excellent facteur de différentiation et servir de vecteur publicitaire (« On s’engage à vous rembourser la différence si vous trouvez moins cher ailleurs »…). Et plus loin, il poursuit : « En fait, de plus en plus, les règles de la concurrence font que le client exige à la fois une qualité parfaite, du sur mesure, et des pris bas. »

Si certaines stratégies, comme celle des coûts, nécessitent en général des investissements importants, d’autres par contre peuvent être adoptées même par les très petites entreprises. Il revient donc au final d’analyser la position de l’entreprise et les caractéristiques même du secteur auquel elle appartient.