2 La position concurrentielle/ les groupes stratégiques : rappel théorique

Identifié depuis 1972 par M. S. HUNT puis repris et développée en 1980 par M. E. PORTER, le concept de groupe stratégique a été introduit pour caractériser le regroupement de systèmes d’offres identiques. Il permet d’expliquer les différences de performances observées à l’intérieur d’un même secteur, entre les différents concurrents et il renvoie à la notion d’intensité concurrentielle. En effet, une entreprise donnée n’est pas en concurrence de façon identique avec toutes les autres entreprises de son secteur.

Le groupe stratégique correspond en fait, au sein d’un secteur donné, à l’ensemble des entreprises aux comportements stratégiques similaires. Chaque groupe est formé d’entreprises qui disposent des ressources identifiables similaires (technologiques le plus souvent mais aussi commerciales notamment) ou qui ciblent les même clients (célibataires, couples ou familles par exemple dans l’industrie agroalimentaire). De nombreuses variables sont prises en compte pour constituer les groupes stratégiques, et il faut considérer les variables les plus discriminantes. On obtient, au terme de cette démarche, la carte stratégique du secteur considéré. Au sein d’un secteur, plusieurs groupes stratégiques peuvent donc cohabiter. L’analyse de la carte stratégique permettra de mieux caractériser les principaux groupes constitués et finalement de déterminer les stratégies possibles.

Cette segmentation est très importante : elle permet à l’entreprise de se positionner par rapport à ses concurrents  et d’identifier ceux qui ont la stratégie concurrentielle la plus proche, c'est-à-dire les concurrents directs.

Une autre approche consiste à regrouper les entreprises qui misent sur les mêmes activités et les mêmes ressources pour mettre en œuvre leurs stratégies. Il ne s’agit pas uniquement de réunir les entreprises ayant apparemment les mêmes stratégies ou ciblant les mêmes clients, mais plutôt les entreprises utilisant les mêmes ressources (humaines, technologiques, brevets, financières,…). En somme, il s’agit de mettre en perspective l’intensité de la concurrence au travers de la notion de distance entre les organisations et leurs stratégies. Au sein de chaque groupe, la question clé est : quelles ressources l’entreprise contrôle lui permettant de s’émanciper de la pression de concurrents possédant des ressources similaires ?

Le choix des variables les plus discriminantes est l’aspect central de cette approche en termes de groupes stratégiques.

En effet, pour construire les groupes stratégiques, un certain nombre d’indicateurs ont été proposés en 1982 par PORTER, puis en 1986 par J.MCGEE et H.THOMAS (Encadré 8). Ces indicateurs permettent de distinguer les entreprises suivant leur périmètre d’activité et leur positionnement. Dans certaines analyses, des variables objectives et quantifiables sont utilisées pour déterminer les groupes stratégiques. Dans d’autres par contre, l’approche développée est plus perceptuelle, les variables retenues sont subjectives.

Encadré 8: Indicateurs permettant de construire des groupes stratégiques
Encadré 8: Indicateurs permettant de construire des groupes stratégiques

Source : Gerry JOHNSON et al. Stratégique (2005, p 111).

Dans la première approche qui est statistique, on entre toutes les informations recueillies dans une base de données, puis on a recours à plusieurs techniques d’analyse de données possibles : analyse en composantes principales, analyse factorielle de correspondance…. . Dans la deuxième approche, du fait de la subjectivité du choix, on recueille l’avis de plusieurs experts.

Cependant on peut aussi construire une carte stratégique à partir de variables statistiques et de variables intuitives afin de constituer des groupes satisfaisant aux deux conditions suivantes : l’homogénéité au sein de chacun des groupes et la distance entre les différents groupes. Ainsi, le choix des variables servant à établir la carte stratégique se fera en fonction du contexte étudié36 (secteur, type d’activité, environnement…) mais aussi de la disponibilité des données.

En résumé, les questions relatives aux groupes stratégiques portent sur deux points :

  • Y a-t-il des groupes meilleurs que d’autres en terme de performance, et si oui, comment faire pour passer d’un groupe à un autre ? Cette question soulève le problème de barrières à la mobilité.
  • L’intensité de la concurrence est plus forte au sein des groupes stratégiques entre les entreprises qui les constituent ou bien entre les groupes stratégiques eux mêmes?

La carte des groupes stratégiques est donc une représentation de l’espace stratégique d’un secteur donné qui permet d’appréhender le jeu concurrentiel qui peut se jouer compte tenu de l’évolution du secteur.

Bien évidement, cet outil de l’analyse stratégique devrait permettre à l’entreprise de bien se positionner par rapport à ses concurrents et l’aider à réorienter sa propre stratégie. La détermination des groupes stratégiques ne permet pas à elle seule la formulation d’une stratégie par l’entreprise. En effet, chaque entreprise exploite différemment ses compétences internes, et comme soulignePhilippe BOSSIN (1994, p 139) : «Il convient en effet de constater qu’au delà des facteurs traditionnels, la puissance économique de l’entreprise et sa réflexion stratégique peuvent être puissamment infléchis par les objectifs personnels de ses dirigeants, la puissance financière mobilisée, son organisation interne…».

Cette réflexion amène à considérer d’autres aspects comme la structure de l’entreprise (petite et moyenne entreprise/ grande entreprise ; entreprise moderne/entreprise artisanale), éléments que nous avons développé en première partie.

Notes
36.

Eric VOGLER (2004, p 151) :« Chaque secteur a des variables permettant la création de cartes de groupes stratégiques qui lui sont propres ».