1.1 L’environnement socioprofessionnel des Parcelles Assainies et du Point-E

Les quartiers des P.A. et du P.-E offrent un tableau saisissant de l’hétérogénéité sociale, culturelle et linguistique que l’on retrouve dans la capitale sénégalaise. Ils cristallisent pour le premier, l’effet induit de la conjugaison de facteurs socioéconomiques communs aux agglomérations urbaines africaines, parmi lesquelles l’exode rural, la surpopulation et la pauvreté, et pour le second, les politiques de modernisation de la vie sociale initiées après l’indépendance avec l’émergence d’une classe moyenne locale.

Dakar s’étend sur les communes urbaines de Dakar, Pikine, Guédiawaye et Rufisque. La commune d’arrondissement des P.A., administrativement rattachée à la première nommée, a été créée autour des années mille neuf cent quatre vingt sous l’égide de la Banque Mondiale, pour traduire par les actes une volonté politique des autorités à trouver des solutions à l’engorgement et à la surpopulation la ville de Dakar, alors étouffée par une densité de plus en plus forte. Le système incitatif mis en place, qui devait encourager le déplacement de familles entières tout en le contrôlant, mais aussi et surtout favoriser l’accès à la propriété aux plus modestes, se traduit par une spéculation foncière de grande ampleur. A cela s’ajoute l’emplacement du quartier à proximité des principaux pôles d’activité. Le développement exponentiel qu’il connut dans un espace-temps très réduit est la manifestation d’une forte explosion démographique. L’effet conjugué de l’ensemble de ces paramètres explique qu’aujourd’hui, les P.A. constituent, avec les villes de Pikine, Guédiawaye et Rufisque, ce que les urbanistes appellent la Grande Banlieue de Dakar. Avec 400 000 habitants environ, il offre, à l’image de ces communes, un condensé des caractéristiques sociales de la capitale. Ici cohabitent toutes les couches sociales et professionnelles, toutes les communautés sociolinguistiques du pays avec tout de même une prédominance de familles pauvres ou à revenus intermédiaires. Les statistiques disponibles aux services de la commune d’arrondissement laissent voir que le nombre de familles classées dans la catégorie « grande pauvreté » car sans revenu déclaré, ou parce que les sources de revenu sont instables, se situent entre 20 et 25%, tandis que celles à revenu stable mais vivant au seuil de la pauvreté représentent 30%. Enfin, les familles à revenue intermédiaire se situent à hauteur de 18%. Au plan socioprofessionnel, la population active, représentant à peine 35% de la population totale, est partagée entre les professions libérales largement dominées par les activités commerciales (46%), les professions du tertiaire (artisans, ouvriers, tâcherons, employés de la fonction publique et du privé, etc.) représentant la deuxième vague la plus importante. On peut subodorer dans ces conditions un taux de chômage particulièrement élevé surtout du côté des plus jeunes.

En l’absence de statistiques fiables, on ne peut que spéculer sur le taux d’alphabétisation en langue française pour juste dire qu’il reste particulièrement élevé chez les personnes âgées de quarante ans et plus. Ceci se comprend quand on tient compte de la configuration, dans tout le pays, des âges et activités socioprofessionnelles dans leurs rapports à la langue française. En effet, jusqu’à une époque encore récente, l’école restait l’unique voie de promotion sociale par ses diplômes et les emplois auxquels ils permettaient d’accéder. C’est pourquoi l’activité professionnelle est encore aujourd’hui le baromètre du niveau de scolarisation. En clair, les activités commerciales, notamment le petit commerce, les activités artisanales sont réservées aux personnes non instruites à l’école française ou très faiblement. Par la suite, ces mêmes activités sont envahies par les exclus de l’école et du système de manière générale. L’analphabétisme, sachant que cette expression est malencontreusement confondue avec la non instruction en français, touche beaucoup moins les jeunes, le cas échéant, il s’agit très souvent de personnes issues de l’exode rural. C’est pour souligner le taux de scolarisation relativement élevé au niveau de cette couche, même s’il reste à améliorer. En revanche, on fera attention au taux de sortie du système scolaire sans diplôme, soit par abandon, soit par échec et renvoi, mais toujours est-il, sans qualification professionnelle. Le phénomène est aggravé par l’absence d’établissements ou de structures de formation préparant à l’accès à l’emploi. Même s’il n’existe pas de données permettant de juger de son étendue effective, on peut cependant retenir que ses effets contribuent à alourdir le taux du chômage auprès de cette tranche d’âge et dans le quartier.

Tout à l’inverse, la commune d’arrondissement du Point-E s’est constituée, en lien avec d’autres quartiers nés sous l’impulsion de l’Etat après les indépendances et dont le processus se poursuit encore, ce qu’il est convenu d’appeler les quartiers résidentiels de Dakar. Certes, depuis une cinquantaine d’années que dure cette politique, il faut convenir que ces quartiers ont tendance au vieillissement, cependant, ils gardent toujours leur vocation première qui était d’accueillir les cadres de l’administration et du privé. Si bien qu’aujourd’hui, la courbe de la structure sociale reste significative d’une élite nationale en ce qu’elle est dominée par les classes moyennes et la grande bourgeoisie sénégalaise et étrangère. Dans les faits, le P.-E, bien moins populaire que les P.A. comme on peut s’en douter, compte environ 1200 familles dont les chefs sont pour la plupart à la retraite. Les activités professionnelles les plus représentées sont celles liées au tertiaire. La population active, près de 80% de la population globale, est principalement constituée d’agents supérieurs de la fonction publique et du secteur privé, de fonctionnaires internationaux, de professeurs d’université. Avec un taux de chômage relativement faible, il se dégage du P.-E l’image d’un niveau de vie évidemment assez élevé. Concomitamment, on peut constater que le niveau d’instruction des populations en français est très élevé, avec un taux de scolarisation de 100% chez les jeunes, c’est à dire donc sans commune mesure avec la moyenne nationale.

En somme, on retiendra que les caractéristiques essentielles des P.A se conjuguent en termes de pauvreté, de faible niveau d’instruction des populations avec une majorité de pères et mères de famille non alphabétisés en français. Dans le même temps, le P.-E symbolise le type du quartier bourgeois « occidentalisé » où le français est presque la langue de la famille. Par delà l’image d’un tableau en noir et blanc, il faut voir dans cette première représentation du contexte, le souci de mettre en lumière un certain nombre de problèmes susceptibles d’expliquer la nature et l’ampleur des obstacles auxquels les élèves ressortissants de tel ou tel quartier peuvent être confrontés. Sans aller jusqu’à laisser entendre qu’environnement difficile veut dire échec scolaire, ni même l’inverse, on peut supposer qu’un élève issu d’une famille modeste, évoluant dans un entourage peu ou pas du tout au fait de l’école, quasiment incompétent à lui apporter l’accompagnement nécessaire, aura plus de peine à satisfaire aux exigences de son métier (Perrenoud, 1994) que celui qui a pu hériter de son milieu socio-familiale une culture éducative scolaire.