1.2.1. Le statut du français au Sénégal

Le statut particulier du français au Sénégal s’explique historiquement par la colonisation, période pendant laquelle il était la langue de l’administration, et plus tard, par les options des pouvoirs politiques de le maintenir au rang de langue officielle après que le pays a accédé à l’indépendance. D’après Cuq et Gruca (2002) une

‘« langue a un statut dans un pays lorsqu’elle est officiellement reconnue dans les institutions. Ce peut être dans la constitution même du pays ; dans ce cas, et sauf précision contraire, cette langue est de droit utilisable dans tous les domaines de la vie publique. On parle alors de langue officielle » (p : 130). ’

Or, la constitution sénégalaise stipule en son article 1er : « La langue officielle du Sénégal est le français » avant de citer les langues vernaculaires comme « langues nationales ». Langue de communication publique et privée à plusieurs niveaux, le français est la seule langue véhiculaire des transactions internationales. Enfin, son statut de langue officielle est confirmé par sa fonction quasi exclusive de langue de scolarisation que ne saurait lui contester le taux encore faible d’alphabétisation en arabe.

Sur le plan sociologique, le contexte de notre recherche est marqué par un plurilinguisme où le wolof fait office, concurremment au français qu’il devance largement sur ce domaine, de langue de communication sociale interpersonnelle et intercommunautaire. Nous qualifions la situation des quartiers de P.A et du P.-E de plurilingue car, même si le wolof est la langue première de la plus grande partie des populations, on doit prendre en considération le fait qu’un nombre conséquent de personnes ont une langue maternelle différente et donc pour cette raison sont parfaitement bilingues. C’est pourquoi nous pensons que pour officiel qu’il soit, le français n’en est pas moins une langue seconde. Nous relevons dans la définition de Cuq et Gruca que le français langue seconde est dans ses différentes applications conceptuelles nécessairement une langue de nature étrangère. Toutefois, il se distingue des autres langues éventuellement présentes sur ces aires par ses valeurs statutaires et par d’autres critères.

  • Il vient se greffer à un système linguistique faisant que la communauté et la plupart de ses membres qui l’ont en possession sont bi- ou plurilingues.
  • Ce faisant, il est en co-présence avec d’autres langues (Cuq, 1991) auxquelles il peut se substituer ou qu’il peut compléter dans les interactions sociales et professionnelles.
  • Il se distingue de ces autres langues par le rôle privilégié qu’il peut être appelé à jouer dans le développement psychologique cognitif des populations, seul ou conjointement avec une ou plusieurs autres langues. En effet, le français supplante les langues premières par les formes de « ses usages et fonctions comme langue de l’appropriation des savoirs, de l’information, de la communication entre groupes, régions et avec l’étranger » (Lallemand et al, 2005, p : 4). A ce sujet, nous faisons remarquer que la quasi-totalité de la population alphabétisée ne lit et n’écrit qu’en français. Le nombre de personnes connaissant l’arabe reste très limité, tandis que les formations en langues nationales se font de manière confidentielle et en dehors des circuits institutionnels. En tout état de cause, on peut dire que l’écrasante majorité des jeunes sénégalais qui arrivent à la classe seuil du collège parlent le français et au moins une autre langue, cependant qu’ils n’ont appris à lire et à écrire qu’en français.
  • Langue seconde en même temps que langue de scolarisation et d’enseignement, le français est plus qu’un moyen d’entrée en littéracie (Barré-De Mignac, 2000, 2004 ; Chiss, 2004). Des enjeux politiques et sociaux en ont fait un instrument d’acculturation et par delà, de promotion sociale.

Les considérations qui précèdent amènent à analyser la situation contextuelle d’un point de vue didactique. Nous le faisons en partant à nouveau de la description de Cuq, et Gruca.

‘« Environ vingt ans après l’apparition de la différenciation didactique entre français langue maternelle et français langue étrangère, un troisième concept, le français langue seconde (FLS), venait se faire une petite place au soleil de la didactique. En effet, FLM et FLE, malgré les grands progrès qu’ils ont permis, se sont révélés insuffisants pour décrire l’ensemble des situations d’appropriation du français, notamment dans les régions du monde où le français, tout en n’étant pas la langue maternelle de la plupart de la population, n’est pas une langue étrangère comme les autres, que ce soit pour des raisons statutaires ou sociales»(p : 95). ’

Le didacticien stratifie les langues en possession chez un sujet et plus généralement dans une communauté en langue première et langue seconde suivant leur ordre et mode d’acquisition. Serait langue première, la langue maternelle, mais aussi toute autre langue dont on pourrait justifier la place et le statut par des critères socioculturels. Il se trouve précisément que le plurilinguisme qui caractérise notre contexte se fonde sur une pluriethnicité et une multiculturalité. Ainsi, il arrive que dès son plus jeune âge, avant même qu’il n’aille à l’école, l’enfant soit exposé simultanément au moins à deux langues : au sein de la famille (langue de la mère/langue du père), dans la communauté (langue de la famille/langue du milieu). Si bien qu’arrivé à l’école, cet enfant sera en contact avec au moins trois langues : de la famille, du milieu, de scolarisation. La langue première désignerait dans ces conditions celle(s) acquise(s) en apprentissage naturel. Il s’agirait de la langue de la famille tout comme celle du milieu, également acquises en apprentissage naturel et dans bien des cas, quasi simultanément avec la langue de la famille. D’ailleurs, il n’est pas rare que la langue du milieu soit maîtrisée avant celle de la famille, ou que cette dernière ne le soit pas du tout, faisant ainsi de la langue du milieu l’unique langue première. En se reportant à notre présentation du contexte social, on se rend compte que cette situation est devenue un des caractères de la vie urbaine tel que l’illustrent les P.A et le P.-E. La prédominance du wolof tiendrait de son usage en tant que langue de référence pour tous. Pour M. Daff (2010), il serait la langue d’intercompréhension par excellence avec une grammaire relativement accessible et un lexique largement emprunté aux autres langues locales et étrangères au sens de non maternelle dont le français et l’arabe. D’ailleurs, les phénomènes de changement de répertoires verbaux que l’on peut observer dans les interactions de classe montrent que c’est sur lui que s’appuient les enseignants et les élèves lorsqu’ils doivent négocier des situations particulières de communication. Nous retenons pour l’essentiel, la distinction entre les langues acquises dans le cadre d’un apprentissage naturel et celles acquises à partir d’une relation didactique, cette catégorie concernant le français. C’est pour cette raison que nous adoptons, par souci de simplification, une distribution qui nous paraît mieux convenir au contexte de notre recherche faisant du wolof la langue première et du français la langue seconde.