3.2.2. Formation continue et « innovations » pédagogiques : une démarche intégrative de l’enseignement-apprentissage de la lecture littéraire et de la production écrite

Il faut attendre la seconde phase, allant de 1992 à 2000, pour voir la formation continue marquer une véritable rupture épistémologique. Cette période correspond à la mise en route du Projet de Développement des Ressources Humaines qui a concerné deux secteurs clés : la santé et l’éducation (ce qui fait parler de PDRH / Education). Elle peut être lue comme une étape importante vers la professionnalisation de la formation continue. De titre, la fonction de conseiller pédagogique est administrativement devenu un statut, se traduisant par le détachement complet de l’agent qui y consacre tout son temps. Du coup, ce qui était une activité professionnelle secondaire, devient un métier. Par ailleurs, la formation continue est mieux déconcentrée avec l’avènement des Pôles Régionaux de Formation, la systématisation du regroupement des enseignants en cellules pédagogiques dites cellules d’établissement lorsqu’il y a au moins dix professeurs dans une école, ou cellule mixte (regroupent dix à quinze enseignants de plusieurs établissements publics et / ou privés). La formation se fait à travers des stages régionaux consistant en deux regroupements annuels de trois jours chacun appelés séminaires et des animations de cellule qui font suite aux stages régionaux, à la programmation propre des cellules. Nous retenons de ce dispositif et de son fonctionnement la multiplication des situations d’échange, de concertation, de construction de savoirs communs. Tout comme dans la première phase, en plus des documents distribués aux professeurs lors des stages, les CP produisent collectivement des documents dits « guide du professeur » que nous présentons dans le tableau ci-après.

Tableau 2 : Recensement des guides pédagogiques produits par les CP entre 1994 et 2001
Années Niveaux Contenus


1994-1996


6ème –5ème
Orthographe
Grammaire
Lecture expliquée
Vocabulaire

1996-1997

4ème –3ème
Les écrits littéraires au collège
Les écrits sociaux au collège

1998-2001

2nde –1ère –Tle
La dissertation littéraire
Le commentaire de textes
Le résumé de texte suivi de la discussion

Cependant, la rupture avec la formation initiale se situe dans le profond renouvellement des approches. C’est le cas de l’enseignement de la lecture littéraire et de la production écrite avec d’une part l’introduction et la codification de la lecture méthodique, et de l’autre, l’introduction de ce qui est présenté comme « une démarche de projet ». Dans le préambule du guide de lecture expliquée en classe de 5ème, l’équipe des CP revient sur la philosophie de la LM dont les fondements et les principes ont été présentés dans le guide de l’activité en classe de 6ème. La souplesse de la démarche y est soulignée en ce sens qu’elle serait soumise à « la singularité des textes au delà du type dont il relève », et « à la découverte autonome des élèves » qui doivent pouvoir formuler des hypothèses, les infirmer ou confirmer, dans un processus commun de construction de sens.  En conséquence, les techniques de mise en œuvre, laissées à l’appréciation du professeur dans leurs formes les plus pratiques et en relation avec les particularités du texte, sont toutefois encadrées par les deux grandes familles de savoir-faire impliquant étroitement les élèves que sont la découverte du texte et l’émission d’hypothèses d’interprétation » d’une part, d’autre part, l’observation des éléments textuels, leur mise en réseau dans une perspective d’analyse globale. Il n’est pas inutile de souligner les deux traits pertinents constitués de la centralité des dimensions du texte, notamment formelles, dans la planification de l’activité et la mise en place de conditions favorisant l’apprentissage effectif des élèves. Un troisième trait apparaît lorsque la question de l’articulation de « l’étude des textes à l’apprentissage de l’écriture » est posée. Et pour la première fois, les activités de lecture et de production écrite sont couplées et arrimées à un référentiel dans lequel les savoirs, les objectifs et les savoir-faire se déclinent du point de vue de l’apprenant, tout en mettant l’accent sur le développement de compétences lecturales spécifiques au type de texte. Voici un extrait du référentiel de compétences de lecture du récit de fiction en classe de 5ème.

Tableau 3 : Extrait du référentiel de compétences de lecture du récit en 5ème (guide pédagogique de lecture expliquée classe de 5ème)
Savoir Actions Objectifs Savoir-faire







Comprendre le fonctionnement du texte




Observer

Définir le récit à travers le repérage des cinq composantes du schéma narratif
- Découvrir les différentes étapes de la chronologie d’une séquence narrative
- Comparer la S.I et la S.F d’un récit donné
- Dégager les introducteurs variés de la modification
- Remarquer les changements des temps verbaux
Apprendre à identifier dans un récit les passages qui rapportent la parole de tel ou tel personnage - Découvrir les caractéristiques d’insertion directe des paroles d’un personnage tel qu’elles ont été prononcées
- Reconnaître les paroles rapportées
Reconnaître l’enrichissement par la pratique de la description du cadre - Repérer l’ordre dans la description
- Reconnaître le point de vue


Produire

Reconnaître l’enrichissement par la pratique du portrait
- Examiner les éléments du portrait physique du personnage
- Découvrir le portrait en gros plan d’un personnage
- Repérer la manière dont est fait le portrait d’un personnage en situation

On comprend l’enthousiasme de J.M. Rosier (2002) à défendre la lecture méthodique qui constitue un modèle de lecture experte fournissant à l’élève les outils de son autonomie.

L’enseignement-apprentissage de l’écrit reste assujettie à la production de textes plus ou moins longs et structurés a priori par une consigne. La nouveauté se situe plutôt dans la démarche et les compétences demandées aux élèves qui se dégagent de plus en plus du modèle scolaire, pour s’approcher de modèles littéraires diversifiés. Sans adopter le vocabulaire en usage où on trouve les notions de « pédagogie du projet », « d’approche modulaire », disons tout simplement qu’il se construit une démarche globale et intégrative des compétences avec un décloisonnement des enseignements-apprentissages pour faire en sorte que les activités de lecture et de langue soient mises au service de l’apprentissage de la production écrite. Les conseils de méthodes insistent auprès des enseignants sur le fait que la production écrite terminale doit faire l’objet d’une négociation avec l’élève qui doit être informé du type de texte ou type d’écrit qu’il va produire (projet), pourquoi il le produit (enjeu), comment il va être amené à le produire (apprentissage), et comment il pourra évaluer son propre travail (autonomie). Ces modules sont divisés en séquences qui, à leur tour, sont divisés en séances d’apprentissage. On s’en doute, l’évaluation formative va occuper une place importante dans ce dispositif. Pour cela, une grille d’évaluation critériée est élaborée avec les élèves à partir des acquis de chaque séance. Elle permet à chacun de s’auto évaluer, et au professeur d’évaluer chaque performance. Le travail de remédiation et de réécriture n’en sera que facilité.

L’avènement du PDRH marque incontestablement l’ère des innovations pédagogiques reposant sur des points de vue des plus audacieux eu égard au contexte. Peut-être aussi est-ce l’une des faiblesses du système. Disons pour aller vite que la période qui se situe après 2000 est être celle de la gestion et de la consolidation des acquis. Cependant on observe qu’elle correspond à une nouvelle léthargie. Cette situation d’alternance d’un moment de présence intense et régulière auprès des enseignants et de repli fait qu’ils ne bénéficient pas tous de ces actions. Ainsi, si les quatre professeurs dont nous étudions l’action ont suivi une formation initiale à la FASTEF, il n’en sera pas de même de la FC. On constate en effet que les deux enseignants du lycée ont vécu l’évolution de la FC et ont participé à un grand nombre de stage. Quant à ceux du collège, ils sont entrés en activité à une période de léthargie et n’ont donc pu bénéficier de stages de formation. Or il ne s’agit là que du moindre paradoxe que soulèvent les rapports des professeurs de français à la FC. D’autres facteurs interviennent qui en amenuisent l’impact sur les pratiques professionnelles. Nous pensons à la technicité des démarches, aux lourdeurs des dispositifs face aux réalités des classes (effectifs pléthoriques, faible épaisseur de la littéracie, rapport conflictuel à la langue, environnement offrant très peu de soutien aux activités des élèves), la pesanteur des traditions qui font que les enseignants vont préférer la sécurité de « ce qu’ils ont l’habitude de faire ».