Synthèse sur le contexte de la recherche

L’enseignement du français et de ses sous-disciplines au Sénégal, notamment la lecture littéraire et la production écrite relève de ce que nous pourrions appeler un paradoxe didactique. Langue seconde au vue de la situation sociolinguistique de ses utilisateurs, le français s’acquiert, certes par plusieurs canaux, mais surtout et principalement par le canal de l’institution scolaire. Certes, en considérant le poids de sa présence et son niveau de pénétration dans la société, on peut dire que le nombre de jeunes élèves qui l’ont en partage avec une des langues nationales dès leurs premiers apprentissages est de plus en plus élevé. Mais cette situation reste très marginale, circonscrite dans certaines familles et au mieux dans certains quartiers à l’image du Point-E. Pour le plus grand nombre, le français et à travers lui la lecture et l’écriture s’apprennent à et par l’école. A ce titre, on peut considérer l’image qu’offrent les Parcelles Assainies et les élèves des classes que nous avons observées au CEM – U 19 comme le reflet amélioré de la situation à l’échelle du pays. Langue officielle et langue d’enseignement par ailleurs, le français s’impose comme l’instrument d’entrée en littéracie et par voie de conséquence, comme un puissant moyen de promotion sociale. Ce statut privilégié est assorti de fonctions dont il n’a pas l’exclusivité, mais qui lui confèrent une place à part. Il peut revendiquer, malgré son caractère d’étrangeté, d’être l’unique outil de masse remplissant également les missions de médiation interpersonnelle, interculturelle et professionnelle, de moyen d’ouverture à l’extérieur, d’accès à l’information et au savoir. En résumé, nous disons avec S. Lafage (1999) que si le français au Sénégal ne peut, à l’évidence, avoir un statut de "français langue maternelle", on ne saurait non plus le ranger dans la famille du "français langue étrangère" eut égard au rôle important qu’il joue pour la communication nationale usuelle d’une bonne partie de la population, dans l'environnement quotidien (administration, politique, techniques, commerce, justice) et dans les média (radio, télévision, journaux, cinéma…).

« L’enseignement et l’apprentissage du français au Sénégal, comme ailleurs en Afrique, ne sont pas anodins, mais chargés de significations et d’enjeux » (Daff, M., 2010, p : 353). Cette remarque montre à quel point son statut déteint sur les programmes d’enseignement, les méthodes pédagogiques, les pratiques professionnelles des enseignants, les rapports des élèves aux modèles que l’école leurs propose. Il est enseigné et appris selon le modèle didactique du français langue maternelle qui est à la base de la formation des enseignants. En effet, quelle que soit l’activité scolaire envisagée (grammaire, lecture littéraire, production écrite), les contenus et les méthodes pédagogiques s’inspirent fortement de la DFLM. C’est le cas par exemple de la lecture littéraire dont les contenus sont répartis prioritairement entre la littérature française et la littérature africaine avant que quelques fenêtres soient ouvertes sur les littératures « étrangères ». S’agissant de la conduite, l’enseignant peut choisir entre la lecture linéaire contextualisée et dénommée « SLIPEC » et la lecture méthodique. Quant à la production écrite, elle reste dominée jusqu’en classe de 4ème par la rédaction, un exercice d’écriture de texte fictionnel appelé aussi « composition française ». Ce constat a pu amener à caractériser la situation du français dans les écoles sénégalaises comme marquée par à une absence d’identité pédagogique.

Le problème c’est que le profil de la plus part des élèves ne semble pas les préparer à jouer convenablement le rôle que l’enseignant est en droit d’entendre d’eux. Interpréter un texte littéraire dans toutes ses dimensions (à la fois modales, thématiques, sociales, historiques, philosophique etc.) suppose un niveau de compétence, une sécurité herméneutique que le cours de français à lui seul ne peut permettre de développer. De la même manière, produire un texte plus ou moins long, qui plus est sous la contrainte d’une consigne, demande des compétences langagières, textuelles, un rapport à l’écrit qui, mêmes construits sous le contrat didactique, ont besoin d’être entretenus et approfondis par une pratique régulière à l’école et en dehors. Peut-être que beaucoup d’élèves, à l’image de la majorité dans les deux classes de 6ème et 4ème du LSNT bénéficient de conditions leur permettant de satisfaire à cette exigence. Cependant, comme nous avons pu nous en rendre compte en exploitant les questionnaires des élèves en 6C et 4C, tout le monde n’a pas cette possibilité. Et lorsque les conditions institutionnelles et pédagogiques sont défavorables comme nous l’avons montré en comparant les situations des deux établissements et des 4 classes (classes pléthoriques, niveau des élèves très faibles, conditions didactiques réduites au minimum, enseignant sous-formés), les innovations pédagogiques, mêmes les plus audacieuses et les mieux réfléchies (Vigner, 2001, Daff, M., 1998, 2005, 2010) deviennent inopérantes et l’efficacité de l’action didactique est rendue hypothétique. C’est pourquoi nous estimons que pour analyser les conditions de l’efficacité des enseignants, il faut s’intéresser tout aussi bien au style pédagogique de l’enseignant, qu’aux conditions d’enseignement-apprentissage et à la culture éducative des élèves et leur comportements d’apprentissage. En croisant ces données, on peut expliquer partiellement les performances dans chaque classes, comprendre les différences d’une classe à l’autre et d’un niveau à l’autre.