1.1.3. Enseignement-apprentissage de la lecture littéraire et pratiques professionnelles

Comment sont conduites les activités de lecture littéraire ou comment enseigner la lecture des textes littéraires ? La double articulation de la question est pour souligner les orientations des recherches sur les pratiques professionnelles en situation de classe, marquées par l’observation et l’intervention. Des observations de terrain (Fourtanier et Veck, 1997) témoignent de modalités différentes de conduite de l’activité de lecture littéraire correspondant aux différentes strates de son enseignement entre le collège et le lycée. Ainsi, il conviendrait mieux de parler de lecture-compréhension pour désigner les applications de l’activité au collège et de lecture-interprétation au lycée. Au Sénégal, on a parlé pendant longtemps de « lecture expliquée » pour désigner l’activité au collège et d’« explication de texte » pour le lycée. Derrière cette subdivision, se profile une vision du rapport au texte qui n’est pas sans soulever des questions. En hiérarchisant les niveaux d’analyse du texte concomitamment à la stratification des niveaux scolaires, sachant qu’il est difficile de dissocier le processus de compréhension du processus d’interprétation (Tauveron, 2001 ; Jouve, 2001), on suggère une différenciation des pratiques faisant qu’au collège, l’activité de lecture littéraire se réduit à de simples opérations lexicales (Reuters, 1996 ; Fourtanier, 2005.). L’importance de la problématique justifie la tenue de deux journées d’études à l’INRP les 23 juin et 15 décembre 1999 pour réponde à la question : « comprendre et interpréter : quelles différences ? Quelles relations ? Pour fonder une dialectique de la lecture littéraire à l’école ». Le débat n’est pas anodin. Derrière les deux lignes de force défendant l’idée qu’il s’agit d’opérations autonomes, lesquelles seraient successives et hiérarchisées (Gervais, 1999,2001 ; Petitjean, 1997, Dufays, 1994), ou que ce sont plutôt des opérations en relation d’inclusion, voire circulaire (Tauveron, 2001), sont posés les enjeux cognitifs et les valeurs attachées à l’activité. En admettant que malgré leur différence, la compréhension et l’interprétation sont intereliées et interdépendantes, on envisage un consensus minimal où la lecture littéraire est définie comme un travail commun entre un professeur et des élèves sur un texte et autour de deux paradigmes : la valeur littéraire et la valeur éducative, l’esthétique et l’éthique, ou pour le dire de manière triviale, la forme et le fond. Dès lors, la recherche se préoccupera à circonscrire le côté générique de sa conduite composée des routines, des méthodes et techniques dont la constitution fonde une communauté (Chanfault-Duchet, 2001), et les savoirs professionnels susceptibles d’améliorer sa pratique par les élèves. Du point de vue de la culture didactique partagée, des observations de classe concluent qu’il est possible de considérer formellement quatre phases (Dufays 1997). Il s’agit des opérations successives de pré-cadrage qui s’appuient sur des éléments contextuels et paratextuels, de compréhension locale ou d’analyse du texte à partir de portions ciblées, de compréhension globale où l’on s’attache à l’analyse de la cohérence interne, enfin, d’interprétation qui postule une ou des significations en convoquant des référents ou des savoirs qui lui sont extérieurs.

Nous faisons remarquer que la complexité et la diversité des situations de classe peuvent expliquer que, dans bien des contextes d’enseignement-apprentissage, ce schéma ne soit pas respecté dans sa totalité ou dans son enchaînement chronologique. En revanche, ce qui est constant, c’est que la lecture-compréhension, lorsqu’elle tend à l’analyse-interprétation du texte, et c’est là notre acception de l’activité, procède par trois phases.

Cette organisation a été codifiée par les institutions de formation en une pratique professionnelle avec une modélisation des grandes unités en ensembles plus petits. Ainsi, autour de la phase de précadrage, on trouve la mise en place des outils de l’activité, l’organisation de la classe, la situation du texte. La phase de compréhension globale est subdivisée en trois sous-phases : lecture, définition de l’idée générale et du plan (division du texte) ou des axes de lecture. Enfin la phase d’interprétation se compose des explications détaillées du texte, par ailleurs organisée en fonction de la division qui en a été faite ou des axes qui ont été dégagés, et de la conclusion générale.

Concernant les savoirs dont doivent disposer les enseignants, les recherches vont de la recommandation à l’analyse de compétence. Selon J.-L. Dufays « pour développer chez leurs élèves une compétence de lecture littéraire », l’idéal serait de les former à une lecture « qui sache s’ouvrir à la diversités des composantes du texte tout en étant consciente des choix qu’elle est obligée d’opérer » (1997, p : 79). Ce souhait exprime une exigence maximaliste qui conduit le professeur vers toutes les « sciences contributives » de la didactique du texte littéraire (la sociologie, l’histoire, l’esthétique, les théories des types et genres textuels etc.). Pour d’autres, le savoir enseignant en matière d’organisation d’activités de lecture en classe va d’une ingénierie didactique du regroupement de textes à la construction de parcours analytiques par la mise en place d’écrits de travail (Calame-Gippet et Marcoin, 1999), en passant par la construction de parcours de lecture (Mathis, 2000). Nous classons dans la dernière catégorie de recherche les travaux de. Nonnon, (1992) et de Goigoux (1998, 2002) dont les contributions visent à comprendre les compétences génériques aux pratiques professionnelles, mais aussi celles spécifiques aux enseignements observés. Dans leurs conclusions axées sur leurs appréciations de la qualité du dialogue de tutelle, ils expriment le vœu d’une plus grande efficacité des formes de l’étayage qui doit permettre des conditions signifiantes d’apprentissage.