1.2.1. Aux sources de la didactique de l’écrit : entre conscience auto-accusatrice et engagement militant

Une revue de la littérature en didactique de l’écrit ferait croire que c’est à elle que pensaient Daunay et Reuter (2008) lorsqu’ils disaient de la didactique du français que ses premiers pas étaient marqués par « un engagement militant » couvert du sceau de « la visée scientifique ». On aurait dit que la didactique de l’écrit est née et s’est développée, pressée par deux questions, des demandes articulées aussi bien du dedans que du dehors. La première est rappelée par Masseron (2008).

‘« La didactique de l’écriture naît dialectiquement, des remises en cause critiques qui sont émises à l’encontre de l’enseignement de littérature et de la responsabilité que doit prendre notre discipline dans les causes de l’échec scolaire… » (p : 80). ’

Pour expliquer le raccourci que prend l’auteur dans la mise en lien entre l’échec scolaire et l’enseignement de la littérature, il suffit de se rapporter aux discours les plus courants des « observateurs » de l’école pour qui la baisse de niveau des élèves est liée à un enchainement causal. Le raisonnement repose sur un syllogisme où le présupposé scientifique se le dispute à l’amalgame. L’échec scolaire massif s’explique par la baisse brutale de niveau que l’on observe dans toutes les matières. Et si le niveau des élèves a baissé de manière si vertigineuse, c’est principalement parce qu’ils sont tous confrontés à des problèmes de maîtrise de la langue (parlée et écrite). Parallèlement, on observe que les élèves ne lisent plus ou lisent mal (sous-entendu qu’ils lisent autre chose que des textes littéraires et même s’ils s’aventurent à lire des « textes littéraires », que c’est plutôt de l’infralittérature). Or, il est établi de façon constante que la lecture littéraire développe les compétences linguistiques. En conséquence, si le niveau des élèves est faible, il faut chercher l’explication dans leurs compétences de lecture, voire leur incompétence. L’écho de ce jugement a pu être ressenti comme une injonction à agir, sinon à réagir. La didactique de l’écrit, confrontée à une conscience auto-accusatrice, met en avant l’inadéquation des méthodes d’enseignement. Telle est la lecture qu’on peut faire de l’acte que pose l’Association International de Recherche en Didactique du Français (AIRDF), à l’époque Association pour le Développement de la Recherche en Didactique du Français Langue Maternelle (ARDFLM), à l’occasion de son troisième colloque sur le thème : « Apprendre / Enseigner à produire des textes écrits ». En présentant les travaux, Laurant rappelle que la problématique de la production écrite de textes «avait été plus d’une reprise citée lors de travaux précédents, comme un champ « stratégique » dans le lutte contre l’échec scolaire » (1987, p : 8). Seulement, ce postulat une fois posé, il élargit le problème et l’échec scolaire ne semble plus être qu’un levier pour agir sur des enjeux plus importants : le rôle de l’école dans la lutte pour l’équité et contre l’exclusion sociale. En concluant son introduction, il fait remarquer que le colloque aura été traversé par

‘« l’enjeu scientifique et social de la recherche en didactique de la production de texte : une meilleure connaissance des conditions et des processus d’apprentissage / enseignement de l’écrit ; c’est aller dans le sens d’une effective liberté de parole pour tous, d’une effective « justice » à l’égard du pouvoir de dire» (p : 9).’

C’est dans cette veine que s’inscrit la seconde interpellation. Le débat autour d’une supposée crise de l’écriture est analysé comme l’expression d’une demande sociale plus profonde.

‘« Ce que l’on occulte en fait dans le thème de la crise, c’est la mutation radicale de la société qui a rendu l’écriture socialement et scolairement indispensable, mettant à jour par voie de conséquence des difficultés tributaires de sa diversification et du niveau plus élevé de maîtrise exigé, et cela pour tous et non pour quelques catégories de la population » (Reuter, 1996, p : 11). ’

Mars 2002, c'est-à-dire quinze ans après le premier rendez-vous, un autre colloque, dont les actes sont publiés respectivement dans la revue Repères n° 26/27 et Pratiques n° 115 / 116, réunit les didacticiens de la discipline, son intitulé ? « L’écriture et son apprentissage. Questions pour la didactique, apport de la didactique ». Le titre laisse voir un glissement épistémologique même si dans son introduction, Plane renvoie aux « responsabilités » de la recherche dans le domaine de l’écrit face aux problèmes de l’école qui doit « prendre en compte les questions vives que se pose actuellement la communauté éducative à propos de l’enseignement-apprentissage de l’écriture » (p : 7). Entre les deux colloques, le contexte a changé, et du coup, le problème s’est complexifié. En effet, après les critiques à l’encontre des pratiques de lecture des élèves et de l’enseignement-apprentissage de la lecture littéraire, on interroge leur pratique d’écriture. Là aussi, c’est l’écriture à l’école qui est mise à l’indexe, une mise en cause qui vire au procès de l’exercice de la rédaction traditionnelle, alors désignée comme coresponsable de la crise du français à l’école.