1.2.2. La rédaction traditionnelle : un exercice au carrefour des enseignements du français au collège

Nous traitons de la problématique de la rédaction traditionnelle en répondant à trois questions. La première, de quoi s’agit-il ?Il n’est pas inutile de chercher à mieux connaître l’exercice de production écrite assez caractéristique de l’enseignement du français, parce qu’il aura joué un rôle fondateur dans les développements futurs de la didactique de l’écriture et qu’il demeure solidement ancré dans les pratiques scolaires de l’écrit. Il reste dans le contexte sénégalais, la forme la plus courante d’évaluation des apprentissages des élèves au collège. Selon Tauveron et Sève, (2005), il serait plus juste de parler de « scripteur » ou d’élève « producteur de texte » lorsqu’on s’intéresse à la situation d’écriture qui caractérise la rédaction traditionnelle. En effet, cette production se fait dans le cadre d’injonction institutionnelle et didactique qui enferme l’action de l’élève dans une situation, une logique singulièrement normée avec des règles conventionnelles créant une impression de stéréotype. En ce sens, elle cristallise le rapport des places professeur / élève dont elle duplique les rôles déjà présents dans la relation de classe. On peut modéliser le fonctionnement de la manière suivante :

Figure 1 : Configuration des situations traditionnelles de production scolaire (Tauveron et Sève, 2005)
Figure 1 : Configuration des situations traditionnelles de production scolaire (Tauveron et Sève, 2005)

Comme on le voit dans la figure 1, les acteurs du jeu didactique ont leur place et leur rôle prédéfinis par des règles précises.

‘« Le texte de rédaction, lorsqu’il arrive à son point d’achèvement, au moment où il est temps de le ranger dans le classeur, est un texte à deux voix. L’une s’exprime en bleu, l’autre en rouge. L’une intervient en pleine page, l’autre sur les rebords. La voix bleue est clivée : elle écrit ce que lui demande la voix rouge : nom, classe, date, sujet, lignes de marge, cases pour observations finales d’une part, elle déroule son propre registre de l’autre » (Halté, 1989, p : 16).’

Sans doute que la contractualisation du projet de production et l’évaluation qui le sanctionne font que ce qu’on demande à l’élève, consigné dans un texte d’injonction procédurale, « relève d’abord de la conformité, ou si l’on préfère de l’orthodoxie » (Tauveron et Sève, p : 13). Et c’est là où réside le malentendu. D’un côté, le scripteur-producteur de texte est implicitement placé dans un statut d’« écrivain-élève ». Car, même si la consigne ne le formule pas de façon explicite, on sait que du côté de la réception, existent des attentes pour une production répondant aux exigences de plaisir, de communication et dans une moindre mesure, de créativité. « Elève-écrivain » d’un autre côté, il ne doit pas oublier qu’il est dans une institution, c'est-à-dire, qu’il est en interaction avec un système social qu’il évolue à l’intérieure d’une communauté discursive (Bernié, 2002) qui a ses valeurs, ses codes, ses règles de fonctionnement, à l’aune desquelles sera jugée sa production.

‘« On pourrait dire en modulant le « ni chou ni chèvre », que la rédaction, en tant que type d’écrit proposé par l’école, est la résultante de la tension entre l’intérieur et l’extérieur, le compromis entre les contraintes inhérentes à des lieux irréductibles », Halté, (1987), p : 40-41.’

L’écriture scolaire est nécessairement inscrite dans une interaction contrainte. C’est là où intervient un phénomène jusque là peu étudié dans les recherches en didactique de l’écrit : les rapports entre les compétences rédactionnelles des élèves, leur culture éducative voir leur expérience scolaire et leur maturité didactique. Nous défendons l’idée que la compréhension des règles du jeu n’est pas donnée. Par définition, le système didactique repose sur l’explicite et l’implicite, le dit, le différé et le caché. La conscience de ce fonctionnement relève d’une interaction continue avec le système. Par exemple, la connexion des sous-disciplines du français peut ne pas être immédiatement perceptible tant les enseignements de la langue (grammaire, orthographe, conjugaison), de la littérature et de l’écrit sont cloisonnés et les finalités des actions qui médiatisent les enseignements-apprentissages non explicitées. Pour autant, pendant l’évaluation de l’écrit, ces éléments sont tout simplement convoqués comme des critères de qualité. C’est donc après coup que l’élève découvre la règle non dite de leur connexion. Combien de temps peut-il se produire avant qu’il n’intériorise cette donnée dans sa « représentation » du fonctionnement du système ? Nous ne saurons le dire. Par contre, nous pouvons penser que la récursivité des situations crée à terme ce que nous appelons une expérience scolaire, un processus de maturation didactique. Autrement dit, c’est à force de décoder les discours didactiques, dont le plus immédiat est le discours métatextuel à valeur d’évaluation de son travail, que l’élève affine ses rapports au système en prêtant attention à ses implicites. Nous pensons que la maturité didactique s’élabore progressivement selon des schèmes d’actions et des modèles opératoires très complexes. Le plus simple serait d’affirmer de manière très provisoire, qu’en phase d’initiation, l’élève a tendance à mettre un soin particulier à conformer ses écrits aux attentes de l’institution. Le contrat intériorisé est un contrat de normalité formelle correspondant aux injonctions explicites autour desquelles s’organise le contrat de production et qui fixe, de manières conventionnelles, les règles du jeu. A ce stade de leur apprentissage, on peut dire que les formes d’organisation des textes des élèves découlent d’une lecture de ces conventions au premier degré. Cependant, au fil du temps passé à lire et à produire, à s’ajuster aux régulations de l’enseignant, il apprend à interpréter plus finement les attentes, les injonctions implicites, et donc à privilégier ce volet dans ses productions. Il se fait alors de plus en plus élève-écrivain et de moins en moins élève-scripteur. Entre ses premières productions au collège et celles qu’il « publie » plus tard, il se produit ce qu’on pourrait considérer comme une déscolarisation de ses écrits. Peut-être pouvons-nous tenter une amorce de réponse à la question sur le temps de maturation du processus en indiquant que rien ne permet de le quantifier, mais qu’en revanche les dispositifs didactiques et les situations d’écriture dans lesquelles on place l’élève peuvent le précipiter ou le ralentir. Cela nous amène à notre seconde question.

Que reproche-t-on à la rédaction traditionnelle ? Exercice emblématique, la rédaction traditionnelle est institutionnellement considérée comme le lieu de développement et d’évaluation des compétences scripturales des élèves (Reuter, 1996). Toute la difficulté est là. Cette vision induit un contrat aliénant pour l’élève, appelé à produire un texte, le plus souvent fictionnel - ce qui signifie imaginer une histoire- sous la contrainte d’une injonction et l’encadrement stricte d’une consigne donnée par l’enseignant. Il en découle un contrat ambigu, car on attend de lui qu’il fasse preuve d’originalité tout en le corsetant, ce qui interroge son statut entre apprenti-écrivain et apprenti-scripteur. Enfin, ce contrat est surtout artificiel. Ce qui fait dire que les écrits scolaires apparaissent comme des fictions d’écrit en ce sens qu’il s’agit d’ « écrits qui ne respectent pas les lois de la production (et de l’échange) » (Halté, 1987). Et dans cette logique, dire que la rédaction est une « fictions d’écrits fictionnels » ne nous semble pas exagéré.

En définitive, nous dirons avec Vigner, qu’écrire

‘«à l’école, c’est faire semblant de communiquer par écrit. L’écrit scolaire est un écrit sans enjeu autre que celui de témoigner de son savoir-faire » (2001, p : 74)’

La troisième question : que propose-t-on pour améliorer la pratique de l’écriture au collège ? Les solutions proposées, qu’elles aient fait ou pas l’objet d’une expérimentation, seront présentées dans les prochains développements. Nous nous arrêtons pour l’heure sur la philosophie du savoir écrire qui sous-tend les réflexions dont nous ferons état et que les didacticiens essaient de partager avec les acteurs de l’école de manière générale, les enseignants en particulier. Il s’agit de faire comprendre que la compétence rédactionnelle n’est pas un don, voire une compétence réservée, qu’elle ne se développe pas par simple confrontation-imprégnation à des modèles, par ailleurs très éloignés de ce qu’on peut et doit attendre des élèves. Il est partout répété dans ces recherches, y compris dans celles qui s’intéressent au développement d’ « une écriture littéraire à l’école », (Tauveron et Sève, 2005), que l’enjeu de la didactique du français, notamment de l’enseignement-apprentissage de la lecture littéraire et de la production écrite, n’est pas de faire des apprenants des romanciers ou des poètes. En somme, on doit se rendre à l’évidence que le savoir écrire suppose un ensemble de dispositions et de capacités dont certaines peuvent s’enseigner et s’appendre à l’école (Halté, 1980, 1988 ; Penloup, 1992), moyennant une ingénierie pédagogique et didactique adaptée (Masseron, 2008). Auparavant, il faudrait accepter de repositionner la pratique de l’écriture qui n’est plus exclusivement à la fin d’un processus d’enseignement-apprentissage dont elle est censée évaluer les acquis. Désormais, elle doit être au début et à la fin, servir d’outil de mise en mouvement des apprentissages des élèves, de régulation voir de médiation (Garcia-Debanc et al, 2006) de l’action didactique. En outre, elle doit être adaptée à des situations de communication qui la particularisent, en déterminent les formes et l’orientation. Si toutes ces préconisations étaient respectées, on assisterait au final, à l’ouverture de l’école à toutes les pratiques langagières, à tous les genres discursifs sociaux à côté de ceux qui sont hautement codifiés. En promouvant la diversification des écrits, les recherches en didactique du français vont contribuer à substituer, à la logique du écrire pour écrire, une logique du écrire pour communiquer.