1.3.1. Les fondements d’une approche intégrative des activités de lecture et d’écriture

Petitjean et Halté (1978) attirent l’attention sur la nécessité de doter les élèves d’instruments générateurs de matrices formelles applicables aux textes dans les activités de lecture pour en faciliter la compréhension, mais aussi transférables en situation de production. Faisant écho à cet appel, on voit se développer à côté des réflexions très abondantes que nous avons recensées dans les domaines respectifs de la didactique de l’écrit et de la didactique de la lecture littéraire, un nombre relativement important de travaux pointant la dialectique lecture-écriture dont certains manifestent un fort intérêt pour l’enseignement-apprentissage de la lecture-écriture au collège (Ropé, 1993). On situe les premiers signes à partir du début des années 80 (Reuter, 1994). Ils viennent d’ouvrages scolaires, notamment des manuels de lecture. Dans le prolongement des appareillages didactiques conçus pour «accompagner » la lecture des textes, sont proposées des activités de productions écrites. Il faudra attendre les années 90 pour assister à la systématisation du procédé qui est adopté petit à petit par les enseignants.

Plusieurs facteurs sont à l’origine de la mutation qui voit l’unité d’analyse de la didactique du français se déplacer presque concomitamment de l’objet langue aux opérations de lecture, puis scripturales et enfin aux opérations simultanées de production et de réception. Cela commence par l’éveil à la conscience que quelque soit la matière, l’articulation lecture-écriture est une exigence fondamentale de la relation enseignement-apprentissage. Ce mouvement interne à l’école est à mettre en rapport avec la « formidable élévation des exigences sociales (et scolaires) qui augmente les attentes en matière de lecture et les généralise en ce qui concerne l’écriture » (Reuter, 1994, p : 3). Sur le plan didactique, l’aller-retour entre la théorie et la pratique, les observations de terrain et les recherches-actions nourries aux sources des sciences contributoires sur la cognition, les interactions, les théories des textes, installent une perception implicative des compétences de réception et de production de textes. L’idée que l’action didactique fondée sur leur articulation peut produire des effets dans le développement des apprenants n’est plus une simple hypothèse. Cela signifie aussi qu’on assiste à « une objectivation » des activités de lecture et d’écriture du sujet et des objets de savoir qui y sont manipulés. On cherche, de façon pratique, des explications aux processus cognitifs en jeu et de la manière de les mettre en lien. La maturation se fera en deux étapes. Le problème est posé dans un premier temps, en termes de relations complexes fondées sur des convergences et des divergences entremêlées, repérables dans la nature des activités, leur statut à l’école, les représentations des élèves et les opérations cognitives qu’elles impliquent.

Tableau 4 : Analyse comparée des processus cognitifs mobilisés au cours d’activités de lecture et d’écriture
Comparaison
Eléments
Activités de lecture et de production écrite
Convergences Divergences


La nature des activités
L’une et l’autre activité convoquent des pratiques sociales « mettant en jeu des représentations, des valeurs, des investissements, des opérations psychologiques, physiques, et cognitives complexes, visant à construire du sens » (Reuter,p : 4) La construction de sens dans l’activité de lecture se fait en référence à un écrit, alors qu’en production écrite, elle se fait dans la perspective de la réalisation d’un écrit.




Le statut à l’école



Un enseignement-apprentissage socialement confiée à l’école.
La lecture à l’école est particulièrement instrumentée, codifiée, normée sur des procédures appelée méthodes qui se sont imposées comme des pratiques de référence. En revanche, la production écrite est moins structurée autour d’un rituel et surtout son enseignement passe justement par la lecture. D’ailleurs, les dispositifs d’enseignent-apprentissage sont généralement conçus de sorte que l’écriture sert de moyen d’évaluation de la lecture.


Les représentations
La lecture et l’écriture représentent également des activités scolaires. Pour cette raison, elles sont souvent matérialisées dans la programmation et l’organisation pédagogique des enseignement-apprentissage par l’enseignant qui leur affecte des plages horaires et par les élèves qui peuvent leur affecter des cahiers.

Dans les représentations des enseignants et des élèves, l’écriture est plus proche de la notion de travail que la lecture

Les opérations cognitives
Au niveau méta, les activités font appel à des processus communs de résolution de problème, de construction de but, d’activation de schémas de connaissance et de contrôle. Dans la mise en pratiques, les postures et opérations cognitives mobilisées par l’une et l’autre activité sont très différentes et très éloignées

Cette entrée s’appuie, ainsi qu’on peut le constater à travers ce tableau de synthèse, sur une hypothèse basse, se contentant d’affirmer l’existence d’« une base de compétences communes » (Reuter, p : 3).

C’est la seconde entrée qui pose le problème réellement en termes d’interaction, autrement dit, en termes de « production d’effets d’une pratique sur l’autre » (Reuter, p : 3). Au préalable, il a paru utile de recadrer le débat. Les différences entre les activités de lecture et de production écrite sont trop évidentes pour être niées, ni même sous-estimées. La conséquence qu’on en tire, c’est qu’’il ne peut s’opérer de transfert automatique de l’une à l’autre par simple imprégnation et surtout pas de la lecture à l’écriture. On doit donc concéder à la première entrée au moins que l’interaction lecture-écriture ne peut constituer mécaniquement « la condition d’une véritable entrée en écriture » ou même de « facilitation pour le développement de chacune des deux compétences » (Reuter, p : 9). Cet avertissement corrige la perception généralement admise qu’il suffit de lire pour maîtriser l’écrit. Il n’empêche que chaque pratique produit des effets sur l’autre. Par exemple, au niveau de la construction mentale des activités, l’écriture convoque la lecture comme nécessité interne directe qui l’influence durablement à son tour par l’activation des multiples acquis qu’elle permet. C’est pourquoi au lieu de s’arrêter à des perceptions impressionnistes, il faudrait plutôt développer une vision plus scientifique de l’interaction lecture-écriture, voire de l’écriture à la lecture (Garcia-Debanc, 1996). En définissant les modalités, en identifiant les points d’ancrage et en élaborant des situations médiatrices adaptées sur la base d’une didactique clairement structurée autour d’un projet d’enseignement-apprentissage, on arrivera très certainement à favoriser l’acquisition et le transfert des compétences de l’une à l’autre.