1.3.2. Quelques exemples d’ingénierie de projets lecture-écriture

Le concept de projet d’écriture (Petitjean, 1989 ; Plane, 1994, Garcia-Debanc, 1996) suppose une ingénierie de formation à l’écriture dans ses trois composantes. L’apprentissage se construit en effet à partir de l’identification des besoins qui passe par l’analyse des paramètres du projet (objets de la production, type de textes et genres discursifs associés, situations de communication, intrants notamment les textes supports, connaissance des savoirs préalables des élèves et de leurs difficultés). Cette première étape est suivie de la conception d’un dispositif pédagogique où des activités sont planifiées et programmées par rapport à un nombre donnée de séances. L’ensemble donne une séquence d’enseignement-apprentissage communément appelée séquence didactique. La dernière étape consiste à mettre en place une ingénierie didactique, autrement dit, à définir les modalités pratiques de conduite des activités et du travail des élèves (ateliers, groupes, individuel et autres modalités), l’intégration d’un système d’évaluation adapté. La didactique de la lecture-écriture remet à l’ouvrage les contraintes de l’écrit (Reuter, 1995, 1996 ; Masseron, 1989, 2008 ; Plane 2008) auxquelles le genre scolaire ne peut échapper, mais s’interdit de les résumer à des normes linguistiques et stylistiques. Elle les élargit aux contraintes psycholinguistiques (le contexte, les situations, la culture éducative etc.), génériques (les genres scolaires, textuels et discursifs et leurs règles procédurales, compositionnelles et normatives), situationnelles (l’espace scolaire, ses prescriptions et son évaluation). Examinons deux exemples de mise en pratique de cette vision.

Les ateliers d’écriture d’abord parce que c’est la forme la plus connue. Nés pour soutenir des élèves en difficulté pour qui ils devaient constituer un véritable laboratoire de méthodes actives d’appropriation de savoirs et de savoir-faire (Penloup, 1992, 2000), le concept déborde de l’institution scolaire et s’instancie comme un espace de convivialité sociale et du plaisir d’écrire. Les ateliers d’écriture se sont vulgarisés à travers un modèle d’articulation où l’activité de lecture est volontairement centrée sur des textes littéraires et où l’écriture se présente comme une médiation entre un auteur et un scripteur. Ici, on lit pour apprendre à écrire, pour repérer, analyser, comprendre un procédé et se l’approprier D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’ils ont porté au début sur l’expression poétique avant de s’orienter tendanciellement vers la narration. De même, l’idée que la médiation d’un expert peut être un facteur de motivation explique le soutien et la participation active d’écrivains, de professionnel de l’écriture (correcteurs d’épreuves, éditeurs, journalistes, artistes-comédiens). Cependant, si dans le cadre de la réécriture-écriture de poésie, le débat sur écriture libre et écriture normée ne fut jamais totalement tranchée, cette question ne se pose plus quand il s’est agit de travailler sur la problématique de la narration.

‘« En effet, nous entrons désormais dans le jeu réglé, et notons qu’il ne s’agit guère d’un jeu : c’est à la raison que l’on fait appel, à la capacité d’objectivation des règles qui régissent la production des textes que l’on lit afin de les incorporer pour planifier les texte que l’on écrit »( Reuter, 1996, p : 199). ’

Faisant le bilan, Reuter met en exergue un certain nombre d’apports qui se situent au niveau de l’intégration de la dimension psychologique, d’une plus grande attention portée au type de texte, ses caractéristiques et les compétences spécifiques qu’exige sa composition, de la mise en place d’un dispositif de travail établi autour de règles partagées, du principe d’une récursivité écriture-réécriture.

Privat et Vinson, (1988) ; Massaron, (1988, 1990, 1994) ; Petitjean, (1994) ; Dumortier, (1998) et Tauveron et Sève (2005) pour ne citer que ceux-là théorisent et mettent en application des modèles d’ « intervention didactique » où le projet d’écriture s’organise sur un exemple de genre littéraire. Le groupe de Genève entreprend un travail similaire qu’il décrit comme « une méthodologie d’enseignement modulaire de l’expression écrite et de l’expression orale fondée sur la notion de genre textuel » (Dolz et al, 2008, p : 46). La démarche s’appuie sur des outils constitués du « modèle didactique des genres » (Dolz et Schneuwly, 1997, 1998 ; Schneuwly, 2000 ; De Pietro et Dolz, 2003 ; Dolz et al, 2008). Il faut préciser tout de même que la notion de genre est étendue à toutes modalités discursives. En tout état de cause, ces travaux partagent une idée commune que résument parfaitement Privat et Vinson :

‘« en lecture, la compétence générique est une dimension majeure de la compétence textuelle et de la compétence culturelle, […] symétriquement, en écriture, la performance générique, autrement dit la maîtrise scripturale du codage de propriétés discursives spécifiques facilitent grandement la tâche du scripteur » (pp : 4-5). ’

Le projet d’écriture est organisé en trois phases commençant évidemment avec la mise en place du projet. Cette phase consiste à chercher à connaître les représentations des élèves par rapport au genre et leur motivation à s’engager dans un projet de production d’un texte plus ou moins long : un texte argumentatif, le résumé d’un texte, un exposé oral, une fable, un récit fantastique, une énigme policière, un récit d’aventure etc. Ce qui demande avant tout la constitution d’un corpus. Il peut être composé des productions des élèves, de textes supports (des pratiques d’experts) choisis en fonction du genre projeté, ou des deux. Il est soumis à un travail collaboratif d’analyse pouvant s’opérer selon un principe de « traitement ascendant dirigé par données (data-driver) » (Fayol, 1994, p : 46). Ce faisant, on observe et on identifie des constantes que l’on définit comme des règles. Une autre méthode repose sur « un traitement descendant ou dirigé par concept (concept-driver) »). En clair, des critères du genre son définis par avance puis mis en application sur le corpus pour éprouver leur validité. Ces techniques ne sont pas exclusives, mais quoi qu’il en soit, elles débouchent sur une description centrée sur les savoirs produits dans la co-action, l’analyse normative des constructions du texte projeté, la définition de critères distinctifs avec des types de textes, des genres voisins. Dans ces conditions, un critère est toujours entendu comme un trait caractéristique de forme ou de contenu, suffisamment pertinent pour définir le genre en question à la fois dans ses constantes et dans ses différences avec des genres proches (Massaron, 1988). La seconde phase est constituée de la formalisation des composantes enseignables du genre. Elle se réalise à partir de la description de ses caractéristiques telles que de la première phase a pu aider à les mettre en évidence. Les éléments fixés sont complétés à l’occasion par des contenus tirés des savoirs théoriques, des curricula, de l’observation des pratiques professionnelles. Par la suite, on procède à la mise en place d’une ingénierie pédagogique (choix des activités, programmation en nombre de séances, agencement des séances en séquence(s) didactique(s) et didactique (définition des actions pour la réalisation des activités, leur opérationnalisation et la détermination du cadre participatif des élèves). La dernière phase est marquée par une démarche d’évaluation formative qui fait la place à des moments de réécriture avant la production finale. En résumé, la conceptualisation configure des moments de définition générale du genre, d’identification et d’analyse des paramètres du contexte communicatif, de déterminations des contenus spécifiques et de la structure textuelle globale, enfin, d’identification des opérations langagières et leurs marques linguistiques.

Il ressort de ce qui précède qu’une didactique intégrative de la lecture et de la production écrite ne peut travailler exclusivement sur des compétences générales, « transversales » et transférables à toute situation d’écrit. Une ingénierie consciente des caractéristique et des contraintes de l’écrit ne peut ignorer que tout texte, qu’il soit littéraire ou social, a sa singularité et donc tout projet de production doit tenir comptes des compétences spécifiques au genre discursif visé. C’est cet esprit qui révolutionne l’enseignement-apprentissage du récit de fiction après qu’il a été longtemps dominé par la rédaction traditionnel.