2.2.1. Le problème des savoirs de référence en lecture et en production écrite de récits de fiction

Qu’est-ce qu’un récit de fiction ? Nous rangeons dans cette catégorie générique aussi bien les textes d’auteurs, cités en objet dans les activités de lecture littéraire, que les textes scolaires, expression que nous employons pour désigner les textes produits par les élèves. Il faut toutefois convenir que même s’ils partagent le champ du fictionnel, le texte littéraire et le texte scolaire sont deux genres différents. Et quand Halté qualifie le récit produit par les élèves de fiction de texte fictionnel c’est pour introduire une discrimination à partir des critères fondamentaux que constituent la contrainte du contexte particulier et d’un contrat de production. On peut convoquer cependant d’autres critères comme la composition et la configuration.

La composition séquentielle se fonde sur l’idée que le récit de fiction comporte une unité narrative mais qu’il s’enrichit et se complexifie d’unités complémentaires. Arrêtons-nous sur la première composante. De Propp (1965) à Greimas (1986) on nous renseigne que le récit d’une action, c'est-à-dire donc une intrigue, se présente assez fréquemment comme un parcourt narratif divisible en trois stades d’ouverture de possibles, d’actualisation d’au moins une des virtualités, et de clôture du processus par l’aboutissement ou non de l’action. Est alors conçu un schéma dit canonique, une sorte de structure conventionnelle permettant d’organiser logiquement, temporellement et sémantiquement les éléments d’une intrigue, représentés ou non par des programmes narratifs. La déclinaison des trois phases du récit aboutit à la mise à jour de cinq étapes constituées des préalables ou situation initiale, du processus de réalisation qui comprend la manipulation à la base du processus indifféremment appelée perturbation ou modification, de l’actualisation du procès dite dynamique d’action, de la sanction ou dénouement, enfin, des effets induits, phase appelée situation finale. Cette structure, codée sous le nom de schéma narratif ou schéma quinaire en raison de ses cinq étapes, est considérée comme « canonique » en ce que qu’il prétend rendre compte adéquatement de l’organisation de l’intrigue d’un grand nombre de productions narratives (textes, films, etc.). Par ailleurs, le déroulement de l’action implique des forces qui se distribuent selon un modèle actanciel (Greimas, 1986) précis aussi appelé schéma actanciel. Ce schéma résulte de l’idée que les actants en présence dans le récit, dont les actes ont des répercussions sur le déroulement de l’intrigue, se répartissent en forces :

  • la ou les forces du vouloir ou instances d’expression du désir qui déclenchent l’action (sujet(s) et objet(s) de la quête,
  • la ou les forces du pouvoir qui représentent l’instance de facilitation ou non (adjuvant(s) et l’opposant(s)),
  • la ou les forces du savoir où instances de transmission (destinateur(s) et destinataire(s)).

On pourrait grossièrement résumer le schéma de la sorte : un personnage, le héros, poursuit la quête d'un objet. Les adjuvants sont tous les personnages, événements, objets, ou caractères qui concourent au succès de sa quête. Par contre, les personnages, événements, objets ou caractères qui peuvent entraîner l’échec sont nommés opposants. La quête est commanditée par un émetteur (ou destinateur), au profit d'un destinataire appelé aussi bénéficiaire. La distribution actancielle n’est pas figée ; des rôles peuvent être cumulés par un personnage, un objet ou un événement ou répartis entre plusieurs personnages, objets ou événements. Il est à noter que le modèle s’applique aux actions, ce qui explique que plus d'un schéma actanciel peut être convoqué pour l’analyse d’une seule histoire. Par ailleurs, la description actantielle doit tenir compte des sujets observateurs, c’est à dire les instances narratives, ou les points de vue à partir desquels les actions sont vues et / ou vécues et qui procèdent à l’intégration des éléments dans les classes actantielles. Enfin on tiendra compte de la temporalité (chronologie des événements, enchaînement des unités sémantiques, par exemple, d’une phrase à l’autre). Au regard de ces éléments, nous pouvons dire que les narrations modales et thématiques du récit forment un tout indissociable. Aussi, Bremond (1973) propose une analyse intégrative qui tienne compte à la fois des processus d'action, des éléments qui qualifient le processus narratif, et de la liaison d’ensemble.

Contrairement à Propp qui avait décidé de retrancher des récits tout ce qu'il jugeait secondaire comme les détails descriptifs, les insertions dialogales, les incursions explicatives, voire les excroissances narratives, les travaux en linguistique textuelle disposent que la structure d'un texte n’est pas nécessairement figée dans un ordre linéaire, qu’elle est faite d’itérations, de récursions, et qu’elle contient des pauses ouvrant à des discours descriptifs, dialogaux, explicatifs, en somme à des marquages textuels de la présence du narrateur. Sur cette base, le récit de fiction est considéré comme une entité compositionnelle et configurationnelle fondée sur deux unités essentielles que sont les périodes, « unités textuelles faiblement typées », et les séquences, « unités plus complexes et typées » (Adam, 2005 p : 136). Elle est compositionnelle parce qu’articulée de séquences qui peuvent être complètes ou elliptiques, et configurationnelle, car ces dites séquences sont nécessairement combinées selon « une configuration réglée par divers modules ou sous-systèmes en constante interaction » (Adam, p : 20). En résumé, le texte fictionnel se définira comme une suite ordonnée d’unités micro (phrases, propositions, actes d’énonciation ou de langage) et macro (séquences) liées entre elles et configurées pour produire du sens. La construction compositionnelle repose donc sur un mélange de narration, de description, de dialogue, d’explication par combinaison, succession, enchâssement, parallélisme, mais avec « un effet de dominante ». « L’effet de dominante est, en terme de séquences, soit déterminé par le plus grand nombre de séquences d’un type donné qui apparaissent dans le texte, soit par le type de la séquence enchâssante » (Adam, p : 187). L’hypothèse générale bâtie sur le principe d’une composition séquentielle des textes conduit à développer la thèse des « prototypes de schémas séquentiels de base » (p : 14). L’idée consiste à dire que les séquences discursives du récit peuvent être construites suivant des schémas prototypiques qui permettent de les distinguer les unes des autres. Et donc la séquence se présente comme une sous-structure, autrement dit, une entité locale relativement autonome, dotée et à la fois d’une fonction textuelle définie et d’une organisation interne qui, tout en lui étant propre, la « met en relation de dépendance-indépendance avec l’ensemble plus vaste dont elle fait partie » (p : 136-137). Elle se reconnaît par sa structure plus ou moins conventionnelle, ses règles propres d’enchaînement (de continuité-progression), de connexité globale et locale. Les critères d’évaluation de son insertion harmonieuse tiennent aux principes d’opportunité (choix du moment et de la situation), de cohérence (choix du moment et de la méthode inductive), d’efficacité (choix du mode vision), de fonctionnalité (qualification et justification) (Adam et Petitjean, 1989).

Une analyse intégrale du récit doit tenir compte d’autres catégories tout aussi importantes que celles soulignées jusque là. Ce sont le mode, l’instance narrative, le niveau et le temps, les différentes formes « de mise en réseaunance »(Genette, 1983, 1987). Il s’agit des instruments de construction configurationnelle ou de textualisation. Elle est sous-tendue par les principes de cohérence, de cohésion, de thématisation et de mise en intrigue (Adam, 1988) et se lit au niveau microtextuel, par la connexité locale (morphosyntaxe), la cohésion-progression locale (entre phrases) et la cohésion-pertinence locale (entre actes de langage et plan d’énonciation) ; et niveau macrotextuel, par la connexité, la cohésion et la cohérence-pertinence globales (Adam et Petitjean, 1989). On citera entre autres outils, la perspective narrative. C’est le point de vue adopté par le narrateur, ce que G. Genette appelle la focalisation.

‘« Par focalisation, j’entends donc bien une restriction de “ champ ”, c’est-à-dire en fait une sélection de l’information narrative par rapport à ce que la tradition nommait l’omniscience […]. » (1983 : 49). ’

Il s’agit d’une question de perceptions : celui qui perçoit n’est pas nécessairement celui qui raconte, et inversement.On recense trois modes de focalisation ou point de vue narratif : le degré zéro ou point de vue omniscient, les points de vue internes et externe. Un autre outil est constitué du temps du récit. Il permet d’analyser, entre autres phénomènes, l’ordre de déroulement de l’action selon sa chronologie réelle en pensant que la mise en intrigue autorise une anachronie, une sorte de désordre chronologique organisée qui peut prendre la forme de l’analepse ou de la prolepse, une vitesse narrative variable, avec ses accélérations, ses ralentissements, ses pauses descriptives ou dialogales. A ces instruments internes de configuration, on ajoutera deux outils externes : l’architextualité et la paratextualité (Genette, 1987). On dira alors pour schématiser que l’architextualité c’est ce qui permet, dans une activité de lecture, de déterminer le statut générique d’un énoncé et dans une activité de production, d’organiser le discours selon un modèle générique. Et toujours pour paraphraser l’auteur, nous dirons que la paratextualité, c’est l’extériorité de l’énoncé qui lui adjoint un message scripto-visuel.

Un récit de fiction se compose donc de deux aspects au moins : la référence à une histoire ou une invention, en somme, à une suite d’événements (des faits et des dits), d’actions et d’états, de circonstances et de situations organisée dans un ordre concourant le plus souvent à un dénouement. Il implique une énonciation, c'est-à-dire une instance représentée par le narrateur et qui a vocation à raconter l’histoire, à rendre compte des événements et des actions, de états et des circonstances à partir d’une posture appelée point de vue. Que deviennent ces paramètres quand ils entrent à l’école.