2.1.3. Des interactions oralographiques organisées

La caractérisation des interactions didactiques à l’intérieur des interactions de travail passe, en plus, par leur organisation quantitative et qualitative. Une interaction didactique constitue un évènement communicatif et actionnel long pouvant accueillir une à plusieurs activités (un cours de langue peut comporter des activités de lecture, de traitement de données linguistiques et / ou syntaxiques, de productions orales et/ou écrites). Cette organisation, qui n’est certes par un modèle standard, illustre malgré tout le caractère polypraxique de ce genre de rencontre. Pour cette raison, elle est fortement encadrée tant de l’extérieur que de l’intérieur. Le critère quantitatif porte sur la durée et le nombre de participants dans les interactions en classe qui sont administrativement prédéfinis. Le temps que doit durer une séance de cours, variable en termes de minutes, est généralement consigné dans un emploi de temps fixé en dehors des acteurs de la classe qui doivent s’y conformer. Tout comme il est rare que professeurs et élèves puissent décider de la durée d’une séance, il est peu courant qu’ils puisent décider du nombre de participants, déterminé ailleurs en fonctions de facteurs qui leurs sont étrangers. Les critères quantitatifs constituent donc des contraintes majeures avec des effets spécifiques à chacun sur le déroulement des interactions didactiques.

S’agissant des critères qualitatifs, nous les regroupons en deux catégories. La première concerne les modes d’enchaînement des séances. Il est important de noter qu’une situation d’interaction particulière, une séance donnée, est déterminée par son entour, notamment par les rencontres en amont. Autant il est possible de reconstituer à postériori l’organisation séquentielle d’une interaction didactique en vue « de suivre à la trace » les actions et les opérations mobilisées pour la réalisation d’une activité scolaire ou les dimensions d’un savoir telles qu’elles sont successivement introduites au cours d’une activité (reconstitution chronogenétique et topogenétique), autant on peut voir comment les enseignables d’un objet de savoir sont répartis sur une échelle temporelle plus longue (plusieurs séances). Une suite d’interactions didactiques apparaît comme une chaîne d’interconnexions d’activités et de processus de construction de savoirs dont chaque étape est conçue et conduite de façon à faciliter, voire à permettre la suivante qui elle-même est fortement définie par son amont. Restant dans le domaine des actions qui constituent l’entour d’une séance et qui influencent les stratégies de conduite des activités programmées, les modalités de la co-action et finalement les formes de l’interaction, il faut compter les préparations du cours par l’enseignant, les travaux préparés par les élèves à la maison, le travail de chacun en dehors de la classe. Une interaction didactique n’est donc jamais totalement spontanée, qu’on le dise ou pas, les partenaires sont toujours adossés à un antérieur, une histoire le plus souvent commune pour construire les transformations présentes. C’est la question de la mémoire didactique qui est ainsi posée et au delà, l’importance de la culture éducative scolaire et de son mode d’activation pour rendre effective la relation enseignement-apprentissage.

Dans la seconde catégorie de critères qualitatifs autorisant à spécifier les interactions didactiques par leur caractère fortement encadré, nous rangeons tous les instruments de travail de la classe, les objets intermédiaires parmi lesquels le tableau noir, les textes, les images etc., tout ce qui témoigne de l’importance de l’écrit et de l’inscrit. Il faut dire que cet événement est préparé par écrit, soutenu par l’écrit et l’inscrit, et très souvent sanctionné par écrit. Il n’est pas rare que l’écrit soit convoqué dans le pointage des actions, soit dans le but d’appuyer l’initiative, soit alors pour fixer les éléments à négocier, ou pour institutionnaliser les résultats d’une négociation. C’est dire que les interactions didactiques ont la particularité d’être oralographiques (Bouchard, 2004, 2005), axées pour celles qui portent sur des activités de lecture et de production écrite, sur l’écrit qui matérialise les objets de savoir et l’inscrit qui participe de l’agir des acteurs. Outils de structuration de l’action conjointe, d’introduction des savoirs à enseigner et d’institutionnalisation des savoirs enseignés, d’évaluation des connaissances construites, voir de leur transformation, l’écrit et l’inscrit fonctionnent comme des ressources professionnelles d’organisation et de pilotage de ce type d’interaction.