2.1.5. Des interactions polypraxiques, polylogales et polygérées

En relevant ce paradoxe, nous pointons les principes de coopération et de négociation qui viennent atténuer les tentations d’un schématisme primaire et inviter les méthodes descriptives des interactions didactiques à intégrer leurs dimensions sociales et intersubjectives. En effet, il faut bien concevoir les situations de classes comme un environnement humain, dynamique et ouvert (Rogalski, 2003), un espace de gestion des processus d’intercompréhension où la relation se construit sur des bases rationnelles associées à des valeurs relationnelles et coopératives (Vernant, 1997).

‘« On enseigne toujours à quelqu’un, et, par là-même, le discours d’enseignement se construit en fonction de l’indenté de l’autre. Il se construit aussi en coopération avec lui […]» (Cicurel, 1994 : p. 13). ’

L’idée d’une construction de l’activité scolaire à dominante schématique viendrait donc de l’ascendance de l’agir du professeur, point focal auquel on lie la rationalisation des actions. Toutefois, c’est de la posture et de l’agir des apprenants que dépendent leur achèvement et la finalisation des activités. La perception des processus médiatifs qui se dégage de ce point de vue prend toujours en considération leur nature pluridimensionnelle mais envisage la question à travers un mécanisme d’actions coordonnées, ce qui soulève naturellement des principes de co-ajustement, de gestion souple des places et fonctions, de co-construction d’espaces de partage des significations. Polygérées en dépit de leur caractère asymétrique, les interactions didactiques reposent sur l’accord tacite entre les partenaires pour permettre le passage d’une action à une autre sur la base d’un mouvement ternaire et routinier : Initiation - Négociation - Evaluation / Institutionnalisation. Au regard de ce qui précède, on peut s’attendre à ce que l’initiative de l’action, très souvent laissée à l’enseignant, puisse venir des élèves à tout instant du déroulement de l’activité suivant la dialectique planification / émergence qui constitue une autre règles de fonctionnement des interactions en classe. Cet aspect permet de prendre la mesure de l’orientation collective, partagée et située des actions qui s’y déroulent, mais aussi du rôle de la communication. Comme le souligne Bouchard (2004), ce sont des interactions au cours desquelles les partenaires agissent pour échanger, échangent pour agir. Et donc si nous avons pu dire qu’elles étaient polygérées, c’est parce qu’elles sont polylogales pour traduire la participation du pôle apprenant à la construction des savoir, en tant que partie contractante de la relation didactique. Le concept de participation sera alors entendu dans le sens qu’il

‘«comprend les interactions, les coordinations, transactions, négociations entre personnes afin notamment de construire conjointement une compréhension partagée des normes, des valeurs, des significations attribuées aux situations et aux activités » (Lopez et Allal, L., 2004 : p. 65). ’

Evidemment, ceci est possible parce que les entités qui composent la situation de classe jouent conjointement un rôle spécifique et déterminant dans « la manière dont l’agir est organisé et dans la manière dont sont évaluées les conduites des individus » (Filliettaz, 2006, p : 76), que le style pédagogique de l’enseignant se prête à ce jeu, enfin, que les élèves sont préparés à jouer leur partition.

Pour faire la synthèse sur les caractéristiques des interactions didactiques, nous renvoyons à leurs dimensions pédagogiques et didactiques. La dimension pédagogique réfère à un espace de dynamisation du travail socio-cognitif qui s’y déroule. Elle fait appel aux entours de l’interaction et aux processus de la co-action qui rendent possibles ce travail. Quant à la dimension didactique, elle montre que ce travail, facilité par les médiations d’un enseignant et des outils sémiotiques appropriés, porte sur des objets de savoirs apprêtés à cet effet. Par ailleurs, notre perception du fonctionnement de l’interaction didactique souligne la participation de l’apprenant comme partenaire pouvant permettre, modifier ou empêcher les actions. L’importance du concept de participation et les implications qu’il autorise justifie que nous parlions des interactions didactiques comme d’un espace d’action conjointe dont il faudrait définir le cadre théorique préalablement à la description empirique de ses modalités.