2.2.2. Les dispositifs pédagogico-didactiques d’aménagement de l’action conjointe

Nous désignons l’outil d’aménagement du cadre de la rencontre entre le professeur et les élèves avec les objets de savoir et de leur collaboration par la notion de dispositif pédagogico-didactique (Montadon, 2002) que nous préférons à celle d’ingénierie didactique (Brousseau, 1998). Il s’agit de convoquer un outil descriptif de la co-action qui tienne compte de l’entour de l’activité scolaire, notamment de la préparation et de la planification (Altet, 1993), mais aussi de sa mise en pratique et des difficultés qui surgissent. Le concept de dispositif nous permet d’étudier la co-action dans sa structuration temporelle (chronogenèse) et didactique (topogenèse) prévue par l’enseignant et par rapport aux phénomènes interactionnels émergents qui viennent la modifier pendant son déroulement. C’est que le dispositif comme troisième fondement de l’action conjointe présente des caractéristiques pour préjuger de l’efficacité de la médiation enseignante en tant qu’il doit faciliter la participation des élèves.

‘En effet si nul ne doute qu’un cours doive être préparé par l’adulte qui en est responsable, dans le même temps, il existe un large consensus (au delà des didactiques particulières) sur le fait que tout cours doive aussi laisser des possibilités d’initiative à l’apprenant afin que ce dernier puisse prendre - momentanément au moins - la responsabilité de son apprentissage. Cette souplesse de l’organisation didactique est encore plus nécessaire peut-être dans le cas des langues, objets d’enseignement-apprentissage multiformes, dont différentes facettes se proposent toujours simultanément aux partenaires des activités didactiques, pour des informations ou des questionnements potentiels qui ne sont que partiellement prévisibles. De plus, personne ne nie que différents incidents et autres impondérables ne soient susceptibles de venir modifier de manière plus ou moins accentuée le « bon » déroulement d’un cours, indépendamment de la volonté de l’enseignant comme des élèves en particulier quand celui-ci met en jeu des objets ou des artefacts (Bouchard, 2009, p : 75).’

En approfondissant l’idée, nous disons que les variables constitutives de la situation d’enseignement-apprentissage (les places et les logiques des acteurs, les objets d’études dans leurs natures et dans leurs spécificités, les enjeux des actions etc.), sont autant d’éléments porteurs de conflits de sens. La conséquence est faite de sorte que l’action didactique se constitue en un mouvement permanent et dynamique d’organisation et de réorganisation, de planification et de réajustement. Ainsi enseigner, c’est certes mobiliser un ensemble d’outils plus ou moins pré-construits, plus moins partagés en vue de modifier les modes de penser et d’agir des élèves, mais aussi et principalement pour cette raison, c’est savoir adapter ces outils aux circonstances, en construire d’autres en situation pour mieux répondre à ces circonstances.

‘« En fait, la pratique de l’enseignant renvoie à une activité professionnelle située, orientée par des fins, des buts, et des normes d’un groupe professionnel. Elle se traduit par la mise en œuvre de savoirs, procédés et compétences en actes d’une personne en situation professionnelle » (Vinatier, I. et Altet, M., 2008, p : 12)’

Au regard de ces questions, il faut s’attendre à ce que l’élaboration commune de significations entraine la transformation des intentions du professeur et des objets à enseigner. En effet, on ne peut ignorer qu’

‘« entre les significations que le professeur cherche à faire entendre et ce qui est effectivement enseigné, il y a l’épaisseur de la réalisation de l’enseignement. Malgré l’expérience du professeur, sa capacité à anticiper et, ce faisant, à canaliser l’incertitude de l’action d’enseigner, une part d’imprévu peut surgir et modifier le contenu du projet initial » (Chatel, 2001 : p.194).’

Derrière le contrat didactique, il y a donc la nature et la qualité du dispositif qu’on peut considérer en phase avec une pédagogie de l’apprentissage (Altet, 1997) lorsqu’il est dynamique, stimulant et modifiant par-dessus tout. Centré sur les rapports de l’apprenant au savoir dont il favorise le conflit cognitif et l’expérience de déstabilisation ou d’altération, alors considérés par Vygotsky et Bruner comme des outils puissants de réorganisation et d’évolution des processus cognitifs, le dispositif situe l’importance de la médiation dans la construction commune d’espaces de partage des significations et, en dernière analyse, dans la structuration des connaissances. En ce sens, nous nous accordons avec Montadon pour qui aucun dispositif n’est neutre car, selon son organisation, il peut donner lieu à une co-construction des apprentissages « ou au contraire isoler, entrainer une juxtaposition d’informations, une accumulation de connaissances sans liens les unes avec les autres. » (2002, p. 32). De là, nous prétendons qu’une action est dite conjointe lorsqu’elle réfère à un ensemble d’opérations individuelles et / ou collectives, prévisibles ou émergentes, à la fois hétéro et auto-initiées, tendues vers la modification de l’état présent des rapports de son bénéficiaire au savoir. De par sa dimension médiative, le dispositif organise la collaboration des acteurs du système didactique complémentairement engagés dans la co-construction des savoirs.

‘« En quoi consiste cette co-construction ? D’une part, l’enseignant vise l’appropriation par les élèves d’un contenu de savoir défini au préalable, mais qu’il s’agit encore de faire fonctionner, par un guidage adéquat de l’activité, dans l’ultime étape de la transposition didactique ; d’autre part, les apprenants tentent de s’approprier ce savoir à travers la médiation signifiante de l’adulte et par une réorganisation intériorisée en connaissances stables ; quant à lui, le savoir progresse par une instanciation de sa forme présentée dans les plan d’étude, instanciation possible par le constitution d’une zone de co-construction partenariale » (Saada-Robert et Baslev, 2006, p : 503) ’

L’organisation de cette zone de rencontre renvoie à un ensemble de techniques que Brousseau appelle une ingénierie didactique et qui correspond à ce que fait l’enseignant pour permettre à l’apprentissage de se réaliser. Elle suppose un macro-geste d’aménagement du milieu (Brousseau, G., 1998), une mésogenèse assurée et maintenue par un objet de référence et structuré autour de gestes de dévolution, d’étayage et d’institutionnalisation. Ayant longuement parlé de l’étayage, nous nous contenterons de définir les concepts de milieu et les notions de dévolution et d’institutionnalisation qu’on lui associe.