Synthèse sur le cadre théorique

L’objet de ce chapitre a été de chercher à définir un cadre pour la description des processus médiatifs et des outils en usage dans des activités scolaires orientées vers le développement de compétences narratives. Il fallait aussi mettre en place un cadre pour la pragmatique des interactions didactiques qui servent d’espace d’opérationnalisation de ces processus et pour la modélisation de l’action conjointe qui les matérialisent. Pour désimbriquer et sérier les multiples questions que soulève notre projet nous avons convoqué un ensemble de théories en commençant par les approches socio-historico-culturelles en vue de poser les dimensions sociales et symboliques de la médiation sémiotique. Les théories de la linguistique textuelle, de l’analyse du discours, de la psycholinguistique et des approches textuelles et génériques en didactique du français nous on permit de spécifier les caractères des outils textuels médiatifs des activités scolaires dont nous avons pu voir que leurs effets sur les enseignement-apprentissages était supposé à partir de leur construction conventionnelle. Enfin, nous nous sommes appuyé sur les théories interactionnistes et de l’action conjointe pour installer les bases d’une pragmatiques de interactions didactiques et de l’analyse du fonctionnement de la co-action en didactique. De l’ensemble de ces références nous tirons un certains nombre de principes qui devraient guider notre analyse empirique des processus médiatifs en contexte didactique et de leur effet sur le développement de compétences narratives chez des élèves de collèges.

A ce titre, nous réaffirmons que toute action humaine qui vise un développement cognitif est amenée à apprêter les savoirs en jeu, à les mettre en forme pour les rendre “ enseignables ” et susceptibles d’être appris. C’est d’ailleurs à partir de cette règle générale, que Chevallard (1994) conçoit la théorie de la transposition didactique. 

‘« En un certain sens, la transposition didactique nous renvoie à la nécessaire réorganisation des savoirs exigés par l’acte d’enseigner. La question de la réorganisation des savoirs peut être envisagée de deux ponts de vue, du point de vue du savoir lui-même, du point de vue de celui qui apprend. Le premier point de vue, […] place le savoir au centre de l’acte d’enseignement ; le second point de vue, aujourd’hui à la mode, place celui qui apprend au centre du système éducatif. Le point de vue didacticien, quant à lui, se veut plus global lorsqu’il place le savoir au sein de ce qui constitue l’un des piliers de la pensée didacticienne, le triangle « savoir, élève, professeur » (Chevallard, 1996 : 14). ’

Nous avons dit notre ancrage à ce point de vue. Nous intéressant à ce qui ce passe dans la classe dont nous cherchons à comprendre jusqu’à quel point il peut déterminer ce que nous trouvons dans les productions écrites des élèves, nous centrons notre réflexion sur la transposition interne des savoirs qui touche au travail de l’enseignant. Sa caractéristique est d’être soumis à une contrainte chronogenètique en ce sens que l’acte d'enseignement s’inscrit dans une temporalité de sorte que le traitement fait des connaissances actuelles est lié à la fois, à un passé et à une projection. Ce travail est soumis aussi à une contrainte topogenétique en raison de la nécessaire participation à l’action des partenaires-élèves et donc de la définition des places de co-actants par rapport aux objets de savoir.

Au delà de la mise en scène du savoir (élémentarisation, planification etc.), il reste la question centrale que soulève Mercier sur l’organisation des interactions des élèves avec ledit savoir et à laquelle il répond en même temps. « Que peuvent faire les professeurs pour enseigner les savoirs de telle manière qu’ils aient du sens pour les élèves ? C’est à cette question que répond la théorie des situations proposée par Brousseau » (Mercier, 2001). Au sens restreint, une situation didactique est un environnement-outil que l’enseignant met en place, y installe l’élève et qu’il manipule pour permettre l’apprentissage. C’est une construction physique et symbolique spécifiée par des objets, une activité, des formes et règles d’interaction avec ce dispositif. L’ensemble donne une ingénierie didactique.

Une interaction didactique centrée sur des activités scolaires de lecture littéraire et de préparation à la production écrite actionne ces phénomènes qui ont fini d’être catégorisées comme des composantes génériques à toute action didactique, indépendamment des didactiques disciplinaires et des contextes. Mais Cette interaction se particularise par d’autres phénomènes comme nous le représentons dans cette figure.

Figure 3 : Modélisation des processus médiatifs en contexte didactique pour le développement de compétences narratives
Figure 3 : Modélisation des processus médiatifs en contexte didactique pour le développement de compétences narratives

Notre approche pose le processus enseignement-apprentissage comme un jeu à trois. Elle renvoie à l’organisation du récit de fiction autour de conventions littéraires et à la manière dont celles-ci sont transposées à travers la « métalangue descriptive scolaire » (Bouchard, 1997). Il s’agit des « normes » liées aux genres littéraires, aux genres discursifs qui se combinent dans le récit et à l’organisation typologique (structure compositionnelle et compositionnelle). Ces éléments agissent aussi bien en lecture qu’en écriture comme une sorte de « matériel fonctionnel qu’il est nécessaire de convoquer » pour différentes raisons (se comprendre, s’entendre pour agir, construire une référence, produire et partager du sens, résoudre un problème, etc.).Non seulement ces conventions sont utiles à lire le texte, à interpréter les fonctionnements ou dysfonctionnements du discours normativement à des codes établis que le lecteur doit connaître, mais en plus, elles servent d’outils de contrôle et de pilotage de l’activité d’écriture. C’est dire que les activités métalangagières d’étiquetage, de conduite explicative des discours (Chiss, 1996, 1998) vont permettre l’opérationnalisation de l’action conjointe dès lors qu’on admet que dans « une perspective interactive, l’activité métalinguistique est une activité collective réalisée avec des instruments sémiotiques de coopérations observables » (Dolz, 1998 : p : 15). 

Cela revient à dire que nous mettons en avant de la fonction médiative du texte, sa mise en scène par l’enseignant. C’est une manière de dire qu’à l’exemple de Schneuwly, nous analysons l’enseignement comme un travail qui se fonde sur des outils qui le définissent et de le spécifient. Nous voulons dire par là qu’

‘« il s’agit d’un travail qui a la même structure que tout travail. Il a un objet : des modes de penser, de parler, de faire ; il a un moyen, un outil : des signes ou systèmes sémiotiques ; il a un produit : des modes transformés. Les systèmes sémiotiques sont précisément les instruments ou outils qui agissent sur les fonctions psychiques des autres (puis des siennes propres) en vue des les transformer ; ruse de la raison, celle-ci utilise à cette fin un matériau qui par sa matérialité perceptible et significative est à la fois extérieur et intérieur et permet d’agir sur le psychique » (2000 p : 23)’

Pour être plus clair, nous définissons le travail de l’enseignant comme une médiation consistant à organiser un milieu d'étude pour un collectif d'élèves, un cadre interactionnel au sens d'environnement technique et symbolique de co-construction et de partage des significations, où les dialogues de tutelle (professeur / élèves) et d’échanges (élèves / élèves) sont dominés par des explicitations, des confrontations de points de vue, des reformulations, aboutissant à l’inscription / réinscription de connaissances. Cette coopération est rendue possible par l’existence d’un contrat didactique (Brousseau, 1998). La conjonction milieu-contrat implique une modélisation de l’action de l’enseignant et des élèves autour de l’objet de savoir en suivant les fondements de l’action conjointe, c'est-à-dire une action commune construite sur la base de négociations. Ce faisant, l’agir de l’enseignant reste guidé par le maintien de la relation didactique, la création de conditions d’apprentissage, la mise en mouvement des élèves et l’interprétation de leurs actions, l’ajustement-réajustement de l’action commune. Dans le même temps, l’action de l’élève consistera à interpréter les intentions du professeur. Action conjointe et coopérative, il serait probablement plus juste de qualifier la situation induite par une interaction didactique comme une transaction autour d’un objet de savoir supposant la construction d’une référence commune pour la co-élaboration de significations partagées. Finalisée par l’apprentissage, l’action d’enseignement se caractérise en outre par une communication spécifique dominée par le principe de réticence, l’activation d’un déjà là, de connaissances anciennes et leur dépassement pour construire des connaissances nouvelles. Elle repose sur un certain nombre de règles consistant à définir et négocier les règles du jeu, à dévoluer aux élèves leur apprentissage, c’est à dire à leur construire un milieu adéquat pour qu’ils puissent s’engager dans le processus de construction de connaissance, à réguler leur comportement en vue de la production par eux de stratégies gagnantes, à institutionnaliser les savoirs produits, autrement dit, les légitimer. Il s’agit de reconnaître et faire reconnaître de la sorte les apprentissages « réalisés ».