1.1.1. Les conditions pédagogiques de recueil des données 

S’agissant des conditions pédagogiques, nous rappelons que les données sont recueillies dans quatre classes contrastées : deux classes de sixième et de quatrième du lycée S.N. Tall situé au Point-E, un quartier résidentiel de Dakar, et deux classes équivalentes du collège d’enseignement moyen de l’Unité 19 situé aux Parcelles Assainies, dans la banlieue dakaroise. Les deux classes du LSNT, codées 4L ou 6L, comptent respectivement 56 et 54 élèves. Rares sont ceux qui habitent le quartier du Point- E. Cependant un grand nombre vient des quartiers environnants qui affichent un profil social, peut-être différent de ce qu’on aurait trouvé au Point-E, mais qui tiendrait tout de même la comparaison, ne serait-ce que sous l’angle de la place de l’instruction scolaire et du niveau de pénétration du français dans la famille. En effet, il ne faut pas oublier que les statistiques issues du traitement des questionnaires montrent que les élèves de ces deux classes évoluent majoritairement dans un environnement familial où l’instruction scolaire en français, relativement importante, concerne déjà au moins un des parents. Cette information n’est pas un simple détail dans le contexte de notre recherche, car nous considérons que la place du français dans le milieu familial et social peut être un indicateur de l’épaisseur de la littéracie d’un élève. Il s’y ajoute qu’en pensant aux conditions d’accès au LSNT, nous présumons du bon niveau des classes. Cette impression est largement confirmée par l’enseignante en 6L même si elle se dit « désespérée par quelques trainards qui auraient véritablement besoin d’une grosse mise à niveau ». Nous retenons de son témoignage l’image d’un professeur « contente d’être tombée sur un groupe qui n’est pas trop poussif et qui peut même être franchement ingérable tellement ils sont en perpétuelle compétition ». L’enseignant en 4L est moins satisfait du niveau global de ses élèves. A peine admet-il « quelques individualités intéressantes », « une motivation et une dynamique de groupe qu’on peut exploiter », mais de façon générale, il estime que le niveau de la classe « est juste moyen et pas plus ». Nous avons montré ailleurs que pour plusieurs raisons, on peut considérer les professeurs qui tiennent les deux classes du LSNT comme des enseignants experts. Ils se prévalent d’une longue expérience professionnelle, d’un niveau de formation très élevé et de plusieurs années de formation continue. Le statut de leur établissement en tant que lycée d’application leur confère le rang de professeurs de stage. Certes, il faut aujourd’hui relativiser ce critère depuis que la massification des effectifs de la FASTEF a contraint cette structure de formation, à laquelle le LSNT était pédagogiquement, voire administrativement rattaché, à s’ouvrir aux autres établissements de Dakar. Il reste que sur le plan individuel, les deux professeurs en questions font partie des enseignants de terrain régulièrement sollicités par le département de lettres de la FASTEF (responsable de la formation professionnelle initiale des enseignants de français) pour leur expertise. Ils interviennent alors dans la correction de tests d’entrée, l’accompagnement de stagiaires placés sous leur tutelle ou auprès d’autres enseignants, la participation à des jurys d’inspection pour les épreuves pratiques de fin de stage, la conduite des projets comme la recherche-action sur l’évaluation des compétences des élèves entrant en 6ème etc.

La situation se présente autrement au CEM-U19. Nous recensons 77 élèves en 4C et 75 en 6C, nom de code des deux classes, qui viennent presque tous de la localité des Parcelles Assainies. Ils sont majoritairement issus de familles où les parents sont peu ou pas scolarisés. Il est vrai que dans bien des cas, ce manque est pallié par la présence dans la famille d’un élève ou plus, inscrit à un niveau supérieur à celui du sujet et même parfois d’un étudiant. Cependant, ce critère étant aussi valable pour les élèves du LSNT, il ne peut être retenu pour nuancer les différences en faveur de ces derniers. Les deux classes sont tenues par des professeurs relativement jeunes, ayant en moyenne 05 ans d’expérience, et se prévalant d’un niveau de formation moyen. Les enseignants portent un regard différent sur le niveau de leurs élèves. C’est ainsi que le professeur en 4C juge que celui de ses élèves est assez hétérogène avec « tout de même près du quart des effectifs qui sont très bons et un autre quart qu’on peut tirer ». Ce qui veut dire que pour lui « la moitié des élèves sont franchement très faibles ». « Mais au moins ils sont très disciplinés, et studieux ; ce qui permet de travailler dans la sérénité ». Tout à l’opposée, l’enseignante en 6C trouve ses élèves «extrêmes faibles et peu motivés ». Parlant de la discipline, elle avoue se heurter « de tant à autre à quelques problèmes de comportement à la limite du convenable».

L’enseignante en 6C est le seul professeur qui a posé les conditions de travail, notamment les effectifs pléthoriques, comme un facteur de blocage de l’action didactique. Non pas que les autres ne se sentent pas stratégiquement limités dans leurs actions par ce phénomène, mais ils en parlent comme d’une situation normale, en tout cas contre laquelle ils sont impuissants, une donnée pédagogique qui s’impose à eux et qu’il faut apprendre à gérer. Pour le reste, nous résumons le sentiment le mieux partagé par les mots du professeur en 4L pour qui, même si les conditions pédagogiques ne sont pas des meilleures, « la réceptivité des élèves » encourage à tenter des choses.