2.1 Outils d’observation des interactions en classe et modélisation des catégories d’analyse de l’action didactique : une intégration d’instruments issus des théories de l’activité, de la pragmatique des interactions et de la théorie de l’action conjointe

Qui dit pratiques d’enseignement-apprentissage dit une combinaison de procédés, de choix et de décisions dans la mise en œuvre d’une activité scolaire. Il dit aussi un ensemble d’actes observables et qui sont empiriquement et sommairement catégorisables en actions / ré-actions impulsant une dynamique de co-conduite de cette activité (Altet, 1991). Cela signifie que même si l’enseignement nomme une activité professionnelle spécifique et suggère donc pour cette raison une manière de faire personnelle, il reste une activité de service, en partenariat avec un ou des apprenant(s), dont elle vise à favoriser l’acquisition des savoirs en jeu. Il s’agit donc, pour être plus près de la réalité du phénomène didactique, du versant d’une activité collective et commune régulièrement marqué d’une double dimension personnelle et publique, professionnelle et sociale. On a pu dire que le processus d’enseignement-apprentissage repose sur des gestes, des conduites, des valeurs, des règles, des procédures, une culture partagée qui peuvent être tout aussi génériques que spécifiques. Il faut compléter cette description en ajoutant qu’il se manifeste aussi à travers des situations particulières, toujours inédites. C’est que l’activité scolaire au sein duquel se nouent les relations d’enseignement-apprentissage se manifeste à travers des actions impliquant des partenaires et des objets de savoirs qui s’influencent mutuellement. On suppose dans ces conditions que si ces actions et les opérations mises en œuvre pour leur réalisation manifestent la même finalité : permettre le développement cognitif des élèves, elles ne peuvent être de même nature, n’ayant pas la même origine. En effet, certaines portent trace de la planification de l’enseignant et justifient du caractère schématique de l’organisation des interactions, tandis que d’autres émergent naturellement d’une relation sociale négociée et co-pilotée en dépit de son caractère asymétrique. En partant de ce principe, il est possible de construire un certain nombre de catégories applicables sous forme de grille de lecture des interactions en classe. Encore faut-il que cet instrument s’inscrive dans « une approche praxéologique du discours appliquée à l’étude des situations éducatives » (Filliettaz, 2006). La grille à l’aide de laquelle nous analysons les interactions didactiques fait la synthèse des multiples exigences que pose « la mise en interface » de conceptualisations émanant des théories de l’action, des sciences du langage et de la théorie de l’action conjointe en didactique. C’est le prix si on veut disposer d’un instrument d’analyse permettant l’étude des productions langagières attestées dans les situations de classe.

‘« Lorsqu’on étudie une séance d’enseignement (une leçon, un cours), on est frappé par la succession de moments à la fois connexes et clos sur eux-mêmes. Ces moments connexes qu’on pourrait caractériser comme des « scènes » en suivant la métaphores théâtrale, se délimitent en générale par une « entrée en matière » - qui annonce la nouvelle scène et la démarque de la précédente, et par une «conclusion » (Sensevy, 2007, p : 26)’

Cette lecture pose deux dimensions de la professionnalité de l’enseignant : la planification et la gestion de la chronogenèse. Bru et al (2004) définissent la planification, plusieurs années après Dabène et al (1990), comme une composante de l’action générique de l’enseignant. Par sa dimension pédagogique, elle correspond à l’agencement des séances pour constituer une séquence, au choix et à l’organisation des activités au cours d’une séance donnée. Dans son volet didactique, la planification se manifeste dans la structuration et la distribution des contenus de savoir dans l’activité, la mobilisation des actions et même parfois des opérations devant permettre la réalisation de l’activité. Il est donc utile de définir ces « moments connexes et clos » en fonction de ce qui les spécifie. Voilà pourquoi, revenant sur le principe de planification mais en lui associant le principe d’émergence, Bouchard (1998, 2000, 2004, 2005, 2009) puis Bouchard et Rolet (2004), enfin Bouchard et Traverso (2005) parlerons d’unités a priori et d’unités émergentes. En considérant cette perception en relation avec ce que Léontièv (1974) appelle le niveau élémentaire des opérations et qui correspond à la réalisation concrète de l’activité marquée par les actions, méthodes et procédures, on peut concevoir qu’une interaction didactique soit décrite à travers deux classes d’unités organisationnelles.