1.1.2. Le rôle médian des composantes du récit dans le fonctionnement de l’action conjointe et le cadrage des microprocessus de co-construction des connaissances

L’apprentissage qui finalise les interactions didactiques doit se marquer par le développement cognitif des élèves, c'est-à-dire la transformation de leurs connaissances déclaratives, procédurales et pragmatiques antérieures sur la base des ajustements provoquées par l’inter-action avec des savoirs nouveaux, avec les pairs et avec l’enseignant. Ce postulat recadre l’analyse des effets des médiations sémiotiques sur leurs performances en mettant en évidence le fonctionnement particulier de chaque pôle de la relation didactique, et surtout en insistant sur la place des savoirs dans les pratiques d’enseignement-apprentissage. En effet, une analyse de ce qui se passe dans la classe ne peut ignorer que la compréhension de l’action didactique passe par la compréhension des contenus qui lui sont propres et qui la spécifient (Sensevy, 2007). Cette centralité des contenus de savoir n’inclut pas nécessairement une centration sur les savoirs, ceci traduisant le style pédagogique de l’enseignant, elle explique pourquoi on leur affecte des propriétés sur la structure de l’activité, sur la gestion de l’action conjointe et, en dernière analyse, sur l’intelligence des objectifs d’enseignement-apprentissage. Ainsi, plus un objet de savoir est circonscrit dans un champ assez spécifique et plus il est focalisé par son dimensionnement, sa mise en scène à travers ses aspects, ses composantes, un traitement systématique étalé sur une durée conséquente, mieux sa place et sa fonction seront définies. C’est aussi dans ces conditions que ses contraintes sur l’action conjointe sont plus sensibles. Par contre, plus cet objet est imprécis ou trop général, ou moins son introduction est linéaire, son traitement systématique, moins il contraint l’action didactique dont l’intelligence semble alors peu évidente pour les élèves. Nous pouvons expliquer ce fonctionnement différent en prenant l’exemple des formes d’organisation et de conduite des activités scolaires de lecture littéraire ou de préparation à la production écrite. Il peut arriver que les modes de conduite de ces activités poussent l’observateur à interpréter l’action didactique comme l’expression d’un processus d’acculturation des élèves à des pratiques scolaires ritualisées. Cela se passe lorsque les contenus d’enseignement-apprentissage sont articulés autour d’un discours de la méthode, que ce soit à travers des actions d’explicitation ou de mise en application, indépendamment de la spécificité des savoirs véhiculés par le texte-référent. Dans ces conditions où l’objectif n’est pas d’aider à développer des outils de lecture ou de production d’un récit de fiction génériquement et typologiquement codé à l’image du conte, de la fable etc., mais plutôt de former aux conventions de lecture du texte littéraire ou de construction du texte scolaire, toutes les possibilités sont ouvertes et la seule contrainte qui pèse sur l’action est celle qu’impose la culture didactique partagée sur ce type d’activité. Les développements proches nous donneront l’opportunité d’analyser plus en détail ce modèle d’action. En revanche, lorsque le dispositif d’enseignement-apprentissage est soumis à la tension d’un objectif de développement de compétences lecturales et rédactionnelles adaptées à un genre de discours précis (la narration, la description ou le dialogue), à un texte référencié à un genre littéraire particulier, les savoirs textuels mis en objet prennent un relief particulier dans l’organisation de l’activité et la gestion de la co-action dont ils déterminent la plus value. En clair, si l’enjeu de formation au cours d’une activité de lecture ou de production écrite est, par exemple, de faire connaître les conventions régissant la composition du conte et qui la particularisent au sein de la famille des genres du récit (en comparaison du roman, de la légende, de la fable), ce sont les contenus de savoirs sélectionnés pour cet effet qui seront actionnés comme les principaux instruments de finalisation du projet. Ce qui revient à dire que, si l’objectif est d’aller plus loin dans la spécification des compétences lecturales et rédactionnelles en cherchant à développer par exemple des compétences ciblant le conte fantastique par rapport aux autres sous-genres du conte, la focalisation des objets de savoir n’en est que plus visible et leur effet sur la co-action plus marqué. Il est clair que les stratégies enseignantes ne peuvent échapper, même dans ces cas, à l’impact de démarches routinisées. Cependant, la finalité de l’activité étant de traiter du récit soit dans toutes ses dimensions (orientations génériques), soit par rapport à un ou à plusieurs de ses aspects (composantes discursives, normes génériques), c’est principalement sur ces contenus que les enseignants s’appuient, à travers les différentes formes et fonctions du méta (langue, discours, cognitif), pour trouver les ressources professionnelles en terme d’ingénierie didactique, leur permettant de piloter l’interaction, de planifier l’activité et de favoriser la participation des élèves. Les activités que nous devons analyser s’inscrivent majoritairement dans cette perspective. L’action didactique focalise les caractères génériques (conventions littéraires du conte, de la légende, du récit fantastique) et typologiques (structure des séquences narratives, descriptives, dialogales et explicatives ; les modes d’insertion des séquences encadrées et les instruments de textualisation) du récit de fiction. La conséquence sur la structure séquentielle et hiérarchique de l’interaction et sur l’agir des acteurs, c’est que les processus de co-construction des connaissances aménagés autour de ces objets vont s’imposer comme les éléments de cadrage à tous les niveaux (macro, méso et microscopique).

Pour faire ressortir l’effet médiatif des savoirs narratifs sur la planification et sur le fonctionnement des interactions, nous procédons à la reconstitution du texte du savoir enseigné (Mercier, 2002) en travaillant sur les notions de continuité et de densité (Tiberghien et Layal, 2007) ou de niveau de concentration. Nous modélisons ces instruments descriptifs selon le schéma proposé par les auteures, mais en adaptant leurs critères à notre contexte. Ainsi, la continuité du savoir sera étudiée par rapport à « la reprise d’éléments du savoir déjà introduits » (p : 35) et par rapport aux mises en relation avec d’autres éléments de connaissance. Elle le sera aussi en relation avec le dimensionnement du texte référent et le nombre de composantes discursives configurées dans le récit. Cette entrée permet de comprendre le rôle du savoir sur l’évolution de la chronogenèse. La densité s’évalue, quant à elle, aux modes d’introduction du savoir nouveau, de manière systématique ou par à-coup et au nombre d’occurrences dans l’action sous toutes les modulations possibles, au temps consacré à son traitement. Cette seconde entrée permettra de rendre compte des niveaux d’organisation de l’activité (macro, méso et microscopique). La reconfiguration de l’activité sur la base exclusive des objets de savoirs étroitement liés aux compétences narratives doit aider à représenter l’organisation topogenétique tout en fournissant des critères de comparaisons des pratiques d’enseignement-apprentissage d’une activité à l’autre et d’une classe à l’autre.