2.2.1. Un exemple de « Bricolage didactique » pour une centration sur le travail des élèves

L’instauration d’une co-action dynamique en partenariat avec les élèves signifie la mise en place de situations d’enseignement-apprentissage où les gestes professionnels de l’enseignant trouvent leur écho dans les comportements d’étude des élèves qu’ils suscitent (Altet, 1993, 1994, 1997, 2001 ; Félouzis, 1997 ; Sensevy, G., 1998). De telles situations peuvent prendre l’allure de « bricolages didactiques » (Jorro, 2004) par ce que exigeant une mise en scène inédite de l’action didactique. La démarche adoptée par l’enseignante en 6L2 nous en donne belle illustration à travers une activité de réécriture de textes que nous représentons dans le tableau synoptique ci-dessous.

Tableau 19 : Analyse synoptique de l’interaction en 6L2
Tableau 19 : Analyse synoptique de l’interaction en 6L2

Après la tenue d’une activité de lecture organisée sur le texte durant la séance précédente, l’enseignante revient sur le même document dans une activité de réécriture qui se poursuit par le traitement d’un second texte littéraire. Nous avons observé que jusque-là, elle a conduit les activités en s’appuyant sur le travail des élèves avant la séance considérée comme un espace de construction de connaissances préalables, mais sans trop insister sur la correction des exercices. Il est même arrivé qu’elle « ignore » cet entour de l’activité notamment lorsqu’il s’est agit d’aborder le genre de la bande dessiné. Or, elle change de stratégie pour cette activité. Nous observons que l’organisation hiérarchique et séquentielle est profondément marquée par la présence du texte procédural. Ceci se traduit par la prédominance des unités a priori dont nous avons vu le rôle structurant dans la conduite des activités au niveau macro et mésoscopique. Le tout donne une structure générale composée de 2 phases de correction des questions pourtant sur les 2 textes, elles-mêmes subdivisées respectivement en 2 et 3 sous-phases. Chacune de ces sous-actions correspond à une question de consignes. La planification souligne donc la présence forte du texte d’incitation qui est alors institué comme le principal outil médiatif de l’activité qui prend dès lors l’allure d’une simple correction d’exercices. Si nous avons choisi d’étudier ce cas en dépit des ressemblances avec des modèles dont nous avons déjà parlés, c’est parce que le sens et l’intérêt de la stratégie du professeur est à chercher dans la manière dont les sous-phases sont construites en considérant l’impact du comportement des élèves sur ses choix techniques. Deux phénomènes importants sont à noter à ce sujet. Premièrement, les élèves n’ont pas fait les exercices, ce qui n’est ni nouveau, ni spécifique à cette classe. Cependant, on peut remarquer que ce « handicap » ne les a pas empêchés de s’impliquer dans les actions, de participer pleinement à leur réalisation, peut-être même de façon un peu trop envahissante. Pour cela, ils n’hésitent pas à improviser des textes qu’ils font mine de lire en tenant leurs cahiers, à « tricher » avec les règles du jeu pour prendre la parole, coopérer à la construction collective des savoirs malgré les multiples interventions régulatrices de l’enseignante qui ajuste ces règles, fixe des conditions nouvelles dans l’espoir d’obtenir des propositions de production conformes à ses attentes. Le phénomène mérite d’être souligné pour deux raisons.

Premièrement, le professeur ne se rend compte de la supercherie qu’au bout de 4 épisodes-élèves, opérations au cours desquelles un élève est désigné à sa demande pour présenter son travail.

Indices 1 Indices 2
517. P : arrête-toi/ (4.1s) ((elle vérifie dans son texte)) consternés ils se regardaient/ tout ça\ c'est le texte tel qu'on te l'a donné/ tu ne l'as pas touché/ (1.5s) ils se regardaient\ c'étaient l'occasion quand même de les faire parler\ (1.5s) qu'est-ce qu'ils auraient pu se dire\
518. E : ((des élèves lèvent la main))
519. P : oui\
520. E : ils se\ ils se regardaient et\(.) et ils/ ils se\ ils se fixaient les yeux sans bouger/
521. P : hou la la\ qu'est-ce que tu m'as raconté là\ je cherche à mettre du dialogue\(.) et toi\ tu vas nous faire un charabia/ (1.5s) qui n'est pas du meilleur gout d'ailleurs/(.) c'était pas très réussi\(1s) ((s'adressant au premier élève interrogé)) toi\ tu n'as rien écrit\
522. E : je l'ai fait dans mon cahier que j'ai oublié/
523. P : j'ai confondu mes cahiers/(.) ça c'est l'excuse de celui qui ne fait pas son exercice hein/ (.)
547. E : ((un élève lève la main))
548. P : huhum\
549. E : ils se\ ils se murmuraient à l'oreille/(.) l'eau est vraiment mauvaise/
550. P : aha:n/ là tu m'intéresse/(.) ils se murmuraient à l'oreille/ (1.5) alors/ consternés\ ils se regardaient\ (.) et lui il ajoute\ ils se murmuraient à l'oreille/ quel verbe déclaratif il a utilisé\
551. Cl : murmurer/
552. P : murmurer/ se murmurer à l'oreille/ ça montre qu’ils ont peur/ d'accord\ ils étaient déçus\ et main'nant ils ont peur/(.) ils se murmuraient à l'oreille\ quelle signe de ponctuation tu mets après ça\
553. E : deux points/
554. P : deux points\
555. E : et je mets la phrase/
556. P : deux points\
557. E : j'ouvre les guillemets/
558. P : voilà/ j'ouvre les guillemets/(.) tu l'as pas fait\
559. E : ((il fait un signe de négation de la tête))
570. P : oh::o/ faut que je m'approche de ces cahiers\ c'est pas possible\ comment tu as pus écrire du dialogue\ et ne pas mettre les guillemets/
571. E : je l'ai pas écris/
572. P : ah/ d'accord/ c'est quelqu’un qui a inventé ça comme ça/(.) mon dieu j'ai compris/ ha mon dieu/ ha mon dieu/ ils ont tous oublié leur cahier/(.) bizarre non/ bon/ de toutes les façons\ c'était bien essayé\ et c'était très joli/

Deuxièmement, lorsque l’enseignante redéfinit les règles pour éliminer du jeu ceux des élèves qui ne sont pas en situation des les respecter, ils trouvent des stratégies de contournement qui leur permettent de saisir la parole

‘568. P : bon/ main'nant j'aimerais avoir le travail de ceux\ ceux qui ont véritablement\ préparé l'exercice\ à la maison/ comme je l'ai dit/(.) les gens qui improvisent là\ vous n'avez pas droit à la parole/(.) ceux qui ont véritablement travaillé à la maison\ à la mise en place de ce dialogue\ même s'ils ne sont pas nombreux\ j'aimerais les voir/’

Troisièmement, le comportement des élèves ne varie pas même lorsque les conditions de participation sont revues à la hausse pour élever le niveau du jeu de sorte à permettre la progression des enseignement-apprentissages.

‘383. allez/(.) on continue\ ((consultant ses documents)) j'écoute encore UN élève/(.) un élève\(.) qui crois avoir / avoir rajouté beaucoup plus\ d'éléments que tous ces/ que ces deux là/(.) quelqu'un crois en avoir fait beaucoup plus/’

Pourquoi les élèves refusent-ils de se conformer aux dispositions émergeant du cours de l’action quitte à exploiter la bonne foi de l’enseignante, ou si l’on préfère, sa confiance à des partenaires qui devraient pouvoir accepter de jouer le jeu dans le respect des règles. On peut épiloguer tant qu’on veut sur ce qui explique cette attitude, mais on ne pourra pas retenir l’argument de la pression liée à la crainte de sanctions. Sachant que l’exercice était à faire à la maison, on pourrait penser en effet qu’en donnant l’impression d’avoir exécuté les consignes, les élèves chercheraient par leur comportement à tromper la vigilance du professeur, à la noyer dans un flot de propositions en vue de se soustraire à d’éventuelles sanctions. Cet argument ne résiste pas à l’analyse comme on le voit à travers l’évènement qui survient dans l’épisode de clôture montrant bien que si le professeur s’est prêtée au jeu des élèves, c’était pour des raisons didactiques, mais que pour des raisons pédagogiques, elle n’était guère disposée à laisser passer « la faute » du travail non fait.

‘983. P : voilà/(.) alors/ ce travail d'écriture/(1.4s) je vais le récupérer/(1s) c'était un exercice à faire à la maison/(1.2s) faut que je vois\(.) ce que chacun a fait/
984. E : euh/ madame vous voulez parler des dialogues/
985. P : les passages descriptifs\ que vous eu à ma présenter\&
986. E : donc ce sont les exercices\
987. E : madame\
988. P : & les portions dialoguées que vous avez/ mises en place\(;) je veux les voir/(1.2s) voilà/(.) vous ouvrez vos cahiers à la page où vous avez véritablement fait l'exercice\(.) et moi je passe\(.) ramasser mes cahiers/(1.3s) voilà/ la séance est terminée/
989. Cl : ((les élèves ne bougent pas))
990. P : comme ça\ je saurais qui a fait quoi/
991. Cl : <((bruit de commentaire des élèves))>
992. P : et qui n'a pas fait quoi/
993. Cl : ((bruit des élèves qui disposent le cahier demandé puis rangent le reste de leurs affaires))
994. P : c'est bon\
995. Cl : ((des élèves demandent à intervenir))
996. E : <((parlant plus fort que les autres))> MADAME\ ET POUR CEUX QUI ONT OUBLIE LEUR CAHIER A LA MAISON\
997. P : HE ATTEANDEZ\ MOI JE SAIS CE QUE JE FAIS/(.) je suis plus maligne que certains/
998. Cl : ((bruit d'interpellation et frottement de doigts des élèves pour intervenir))
999. P : tout d'abord\ je vais vous distribuer les textes pour la prochaine séance/ (19.9s) ((le professeur sort un paquet de textes de son sac et dépose un lot sur chacune des tables de devant)) allez distribuez à vos camarades/
1000. Cl : ((des élèves continuent à demander à intervenir))
1001. P : écoutez si c'est pour ce que je viens de dire à propos de l'exercice\ il est inutile d'insister/(.) le débat est clos/(.) et gare à ceux dont je ne trouverais pas le cahier sur la table\ ouvert sur la page de l'exercice\(.) ou alors\(.) ce qui aurait du l'être/
1002. Cl : ((les élèves s'exécutent dans un grand bruit))’

De la même façon, l’argument qui consisterait à interpréter le comportement des élèves comme une variante du drop in dont nous vu un exemple en 64C ne saurait prospérer. Même si la qualité des productions n’a pas atteint le niveau souhaité par l’enseignant, il demeure que sur le plan du fonctionnement de l’action didactique et par rapport aux critères co-définis pour construire et / ou évaluer une séquence descriptive ou dialogale, leurs propositions ne manquent pas d’intérêt au regard des attentes du contrat. Voilà pourquoi nous estimons qu’il faut considérer ce qui passe au cours de cette activité comme un signe éminent d’un comportement d’apprentissage préparé et rendu possible par l’effet conjugué de plusieurs gestes gagnants de l’enseignant.

Le premier de ces gestes est à mettre en relation avec l’organisation du dispositif. L’activité de réécriture fait suite à une activité de lecture. Il s’agit précisément du premier cas que nous avons analysé au tout début de ce chapitre. Nous avions alors montré comment la stratégie du professeur, centrée sur les savoirs textuels avait consisté à favoriser chez les élèves le développement de concepts nouveaux (acquisition de savoirs narratifs et transformation en instrument de lecture et d’écriture de récits de fiction). Le retour sur le même texte pour conduire une autre activité mais en se servant de ces connaissances comme moyens de participation à la co-construction de savoirs pratiques a donc été incontestablement facilité par le travail fait au cours de la première activité. Il faut ajouter à ce facteur les gestes de motivations du professeur. La tâche qui a été dévolue aux élèves consistait à expanser une séquence descriptive initialement annotée. Tout est fait pour que les élèves l’abordent sans crainte. Ceci se traduit par des gestes encouragements à l’image de celui-ci :

‘328. P : bien/ (1.5s) c'est ce paragraphe là\ qu'on vous demande d'enrichir/(.) vous êtes capables d'en faire quatre pages/
329. E : quatre pages\
330. P : (1.4s) de tellement tirer dessus\(.) de donner tellement de détails\(.) de\ de préciser\ d'en rajouter/ tant et si bien\ que\ ça se déroule sur quatre pages/(.)’

ou encore :

‘466. P : bon/ on va voir ce que vous en avez fait/(.) vous savez tellement faire parler les personnages\(.) on va voir SI\ vous êtes forts/’

On comprend qu’en posant ces actes, le professeur cherche à mettre en valeur la capacité à sélectionner, parmi les compétences dont ils disposent, les moyens pour résoudre le problème.

Les instruments pédagogiques de motivation des élèves peuvent aussi s’exprimer à travers des gestes de défi, de mise en compétition où les plaisanteries sont justes destinées à éveiller l’égo, le surpassement, le désir de se situer en dehors du cercle de dérision.

‘334. P : ((elle consulte ses documents)) il y en qui o::nt/ fait de très belles productions hein\(.) y en a qui ont même fait travailler papa et maman/
335. Cl : < ((rire des élèves))>
336. P : ceux-là ne m'intéressent pas tellement/ mais ceux qui se sont évertués à faire le travail tout seul\ ceux-là m'intéressent/(.) qu'est-ce que vous avez trouvé\(.) est-ce que vous voulez partager avec nous\¤<1178236>
337. Cl (1.5)
338. E : ((un élève lève la main))
339.  P : un doigt levé\ c'est le doigt d'une fille\
340. Cl : (1.5s)
341. P: c'est la seule\ qui ait le courage/
342. E : ((un élève lève la main))
343. P : deux filles/
344. Cl : (1.5s)
345. E : ((un élève lève main)) ha\ chantal aussi\(.) y 'a pas de garçon\
346. Cl : (2s)
347. P : HE LES GARçONS\(.) vous n'avez pas fait l'exercice/
348. Cl : S:I/
349. P : (1s) alors\
350. Cl : ((quelques élèves lèvent la main))
351. P : voilà/ vous êtes moins timides/ ’

Enfin, le professeur arrive à motiver les élèves en suscitant un climat de complicité plus ou moins forcé, mais qui a le mérite de rappeler qu’ils sont effectivement au centre de l’action qu’ils co-évaluent et dont ils autorisent la poursuite tant qu’ils y adhèrent.

‘459. P : est-ce que\ cette partie\ de l'exercice vous a intéressé/
460. E : oui/
461. P : oui\ ou non/
462. Cl : OUI/
463. P : qui c'est qui a été intéressé par cette partie de l'exercice\ le dialogue/
464. E : ((un élève lève la main))
465. P : levez le doigt franchement si\ ça vous a plus\ intéressé que la description/’

Ces quelques exemples nous renseignent sur l’importance pédagogique des techniques de gestion de la face positive des élèves qui se sentent quelque courage à aller à l’assaut de la menace que constitue la résolution d’un problème difficile. Mais encore faudrait-il qu’il y ait un précédent, un exemple, un premier essai qui soit non seulement concluant, mais surtout encourageant pour les autres. C’est ce troisième geste qui va fusionner avec les précédents pour compléter la panoplie des outils par lesquels l’enseignante réussi à lever les frustrations. Le procédé est cependant assez complexe. Il commence par la désignation d’un candidat dont le choix est présenté comme une prime au courage.

‘352. P : (1.5s) ((consulte ses documents)) bon\ alors je vais piocher\ je vais prendre khadidiatou pour commencer\ parce qu'elle a été la premiE:RE\ à O:ser/ lever la main\(.) khadidiatou\ cette phrase\ je vous la relis\ et toi\ tu vas\ nous montrer comment tu l'as\ enrichie/(.) khadi\ est-ce que tu as repris quelques éléments\ qui étaient déjà là\
353. E1 : oui/
354. P : voilà/ c'est parfait/ alors la phrase\ à son état normale\ la voici/ ils partirent dans la forêt\(.) ils laissèrent aux épines\ leurs pagnes\ puis leur chair/(.) il fallait fuir toujours\ sans repos\ sans trêve\ talonné par l'ennemi féroce/’

Il se poursuit par une série d’opérations où l’enseignante rassure ses élèves et montre qu’elle se préoccupe davantage de les faire travailler, d’obtenir qu’ils réagissent au texte et collaborent à l’action. Aussi est-elle moins exigeante quant à la qualité des productions, sans verser bien sûr dans le laxisme.

Production de l’élève Evaluation de la production

E1 : [ils partirent dans la forêt\]
P : [khadi\](.) tu parles fort/(.) tu te lèves si tu veux/
E1 : ((l'élève s'exécute)) ils partirent dans la forêt\ épineuse\ boueuse\ et où le soleil était caché par la cime des arbres/(.) ils laissèrent aux épines leurs/ pagnes\ puis leur chair qui\ tout au long du chemin\ saignait/(.) il fallait fuir toujours\ sans repos\ sans trêve\ sans pitié pour les enfants/(.) talonné par l'ennemi féroce/(.)
P : (( qui suivait en regardant son texte)) ouh\ c'est pas mal ça\(.) euh/ reviens un peu sur t:a/ ta phrase il laissèrent aux épines leurs pagnes puis leur chair/
E1 : qui\ tout au long du chemin\ saignait/¤<1280289>
P : ah::an\ qu'est-ce qu'elle a ajouté\(.) [qui\ tout au long du chemin\ saignait/]
E1 : [qui\ tout au long du chemin\ saignait/]
Cl : [saignait/]
P : qu'est-ce qu'elle a ajouté\(.) qu'est-ce qu'elle a ajouté\ comme élément/
E : un sujet/
E : tout au long du chemin\ saignait/
E : ((un élève lève la main))
P : ((le professeur le désigne du doigt))
E : tout au long du chemin\ saignait/]
P : ma::is/(.) tu oublies le mot qui introduit tout cela\
E : c'est qui\
P : QUI\(.) tout au long du chemin\ saignait/(.)
et quelle est la nature\ [de cet élément qu'elle a ajouté/]
E : [une proposition\]
P : oui\
E : une proposition subordonnée relative/
P: c'est une proposition subordonnée relative\ c'est jolie une proposition subordonnée relative pour\ développer/(.) bien/ alors/ tu as ajouté des\ adjectifs qualificatifs\(.) mais tu as aussi pensé\ à une proposition subordonnée relative/(.) je crois qu'on peut\ en rajouter comme cela\ en passant par la leçon de grammaire que nous avions faite/(.) tu te souviens\ les expansions du nom/(.) le groupe nominal\ peut être complété par\(.) un adjectif\ épithète\(.) un complément\ du nom\(.) une proposition subordonnée relative\ etcétéra\ etcétéra/ une apposition\(.) donc c'est exactement par ce chemin là que inconsciemment\ peut-être\ tu es passé/(.) et comme tu as une belle plume\ le résultat est très bon/(.) parfait/

Tant pis si la proposition de réécriture de l’élève ne modifie que très faiblement le texte et ne donne pas franchement lieu à un paragraphe descriptif structuré, ce qui était, au demeurant, le résultat auquel il fallait arriver. Ce qui semble primordial, c’est que quelqu’un commence en prenant la responsabilité de se risquer au jugement des pairs, et que le texte qu’il produit puisse servir de prétexte pour asseoir les savoirs utiles au développement de la sous-compétence d’insertion et de structuration de séquences descriptives. Dès l’instant où la voie est ouverte, tout le monde pouvait « oser ». C’est aussi à partir de ce moment que le jeu a commencé à changer de forme en devenant un champ de compétition pour les élèves qui, ayant de plus en plus confiance eux, prennent plus de risques. L’intervention de l’élève représente donc un banc d’essai pour le professeur surtout depuis qu’elle a compris le subterfuge. En fait, elle semble se résoudre à faire contre mauvaise fortune bon cœur en laissant courir l’action en fonction de l’allure que les élèves ont fini de lui imprimer. Ce faisant, elle donne l’impression d’abandonner momentanément sa place et sa position pour adopter celle des élèves et s’y fondre (Dabène, et al 1990 ; Cicurel, 1994) dans l’optique d’assurer les conditions de réussite du dialogue de tutelle. Que l’exercice soit fait à la maison ou improvisé, l’essentiel c’est que les tâches soient réalisées et que cette exécution donne lieu à des actes de co-construction de savoir, si ce n’est des actes d’apprentissage. On voit alors les sous-phases s’allonger du fait de la multiplication des opérations (7 épisodes dans la sous-phase de traitement de Q1 et 12 épisodes dans la sous-phase de traitement de Q2) avec le même rituel : production – évaluation. Toutefois, les 3 dernières opérations se démarquent légèrement de micro-organisation. L’action arrive à son terme et, visiblement, le professeur voudrait la terminer par un modèle de production validée par tous. Tel est l’esprit de l’écriture collective partie de la proposition d’extension de la production d’un élève qui sera évaluée puis réécrite. La situation que nous venons de décrire illustre à quel point l’interaction didactique est polylogale et polygérée. Cela signifie que, si du fait des places institutionnelles et discursives, l’enseignante a la prérogative d’en assurer l’ouverture, le maintien et le fonctionnement, ce positionnement peut être « modifié », et des substitutions de places s’opérer même si ce sera de manière provisoire ou tout simplement stratégique (Cicurel, 1994).

La seconde phase commence de la même manière que s’est terminée la première. Cependant, le système semble avoir atteint son point de saturation et continuer à conduire l’activité selon le même schéma peut s’avérer inopérant. Deux ajustements sont apportés. D’une part, l’enseignante introduit des opérations de verbalisation des intentions de production. Il n’est pas demandé aux élèves de lire tout de suite leur production, mais d’expliquer les moments du récit où il serait possible de faire des insertions descriptives ou dialogales, de justifier leur choix et d’indiquer les procédés d’insertion qu’ils auraient employés. A défaut de disposer de productions effectives, cette technique peut aider à se faire une idée de la compréhension de la tâche, de la conscience des élèves quant à ses dimensions techniques. C’est ainsi qu’on peut constater que les savoirs sur les insertions dialogales sont encore mal maîtrisés. Un constat qui amène l’enseignante à proposer la reprise de cette partie de l’exercice.

‘887. P : voilà un exercice\ que nous allons tous faire\ pour la prochaine séance/(.) où nous serons\(.) seuls\ les yeux dans les yeux/¤<3519805> (1.5s) alors vous notez\ dans vos cahiers d'expression écrite\
888. Cl : ((bruit des élèves qui se préparent à écrire))
889. E : cahier\
890. E : cahier d'expression écrite/
891. P : ((le professeur consulte ses documents)) vous notez dans vos cahiers d'expression écrite\(10.8s) ((le professeur dicte la consigne)) reprenez le texte\ et vous cochez\(5.6s) la fin de cette phrase là/(.) fermer\ il ne peut plus fermer l'œil de la nuit/ vous cochez/
892. E : oui/
893. P : et c'est à cet endroit là\ que je voudrais qu'on fasse parler le père et le fils/
894. E : ((n'arrivant à repérer le passage)) où\ où exactement\
895. E : monsieur\ madame\
896. P : euh/ après juste le\(1.2s) ((cherchant à repérer le passage dans le texte))
897. E : il ne peut plus fermer l'œil de la nuit/
898. P : après\(.) il ne peut plus fermer l'œil de la nuit/ vous cochez/
899. Cl : ((les élèves prennent des notes))
900. P : allez/ vous cochez/
901. Cl : ((les élèves écrivent à la fois dans le cahier et sur le texte))
902. E : [madame\]
903. P : [et c'est là/] entre la derni:ère/ euh/ l'avant dernière phrase et celle-ci\(.) vous y êtes/
904. Cl : oui/
905. P : c'est là que vous allez me mettre une portion de dialogue/(.) vous gardez le paragraphe intact\(.) et vous insérez du dialogue/(1.5s) je veux y voir aus:SI\(.) des portions de récit\ qui me permettent\ d:e/ savoir\ dans quel:le/ attitude\(.) quel est le comportement des personnages\ quelle attitude ils ont quand et comment ils parlent etcétéra/(.) d'accord\
906. Cl : oui/
907. P : ne changez pas/ je veux le voir là/’

Juste retour des choses serait-on tenté de dire ? Le réajustement de l’activité se traduit par la reprise en main de sa conduite selon les règles de la relation qui voudrait qu’il y ait un expert pour savoir ce qu’il faut faire et dire, comment le faire. Ce n’est pas la fin du jeu, disons qu’il redevient « beaucoup plus sérieux ». Cela ne veut guère dire que la première partie ne l’était pas, mais que l’enseignante a cherché à tirer profit de l’excitation des élèves née de l’émulation. « Une procédure d’épreuve et un tuteur créent une atmosphère soit de stimulation soit de découragement » (p : 268) soutient Bruner. Nous supposons que l’exemple que nous venons de voir se situe dans le premier cas. Par ailleurs, les élèves trouvent, dans le caractère plus ou moins répétitif de la tâche et dans les régulations systématiques apportées dans l’évaluation de chaque production, les moyens de mieux construire leur texte. Notons, enfin, que jamais les plans d’actions de l’enseignant n’ont été profondément altérés. Dans une autre situation et avec un autre enseignant, peut-être que les choses se passerait autrement et que le mode d’implication des élèves modifierait considérablement les configurations de l’activité.