Synthèse de l’analyse des interactions didactiques

Notre analyse des dispositifs et des stratégies de conduite des activités scolaires nous permet de confirmer la double contrainte sur l’action enseignante : les exigences d’une organisation lisible par ses plans d’action et signifiante pour les élèves, les tensions qu’exercent les objets de savoir et la participation des élèves à leur élaboration. Cela signifie au moins deux choses. La première est de reconnaître que toute activité enseignante est portée par un principe d’organisation, c'est-à-dire des buts, des actions et des opérations conscientes qui permettent d’en situer la rationalité. Cette lecture simplifiée de l’agir professoral se limite aux niveaux des déterminations extérieures qui guident les choix comme les habitudes disciplinaires, les connaissances des notions à enseigner, les routines professionnelles, les styles didactiques etc. (Garcia-Debanc et Sanz-Lecina2008). Il permet de rendre compte, par-delà la qualité du dispositif, des valeurs pédagogiques implicites. Les cas que nous avons étudiés illustrent abondamment l’idée d’un agir professionnel ancré dans une formation, une culture partagée, une institution d’exécution, où la place et les fonctions institutionnelles de l’enseignant sont surdéterminées par la culture éducative scolaire des élèves. La deuxième chose, c’est d’admettre que l’enseignement ne peut se réduire, malgré tout, à l’exécution mécanique de plans d’actions. Certes, les pratiques professionnelles de conduite des activités sont fortement dominées par l’application de méthodes suivant des plateformes prédéfinies, quasiment figées. Pour autant, les exemples sur lesquels nous nous sommes arrêtés suffisent à signaler que les plans d’actions de l’enseignant ne peuvent être réellement opérationnels qu’avec la participation contractuelle et responsable des élèves. Ce paramètre recentre la réflexion en introduisant le principe de co-action qui pose à son tour des règles de négociations, de co-construction et de partage des significations. Une description de l’agir enseignant dans ses rapports avec les apprentissages des élèves ne peut donc faire l’économie de la douloureuse question que posent de Tardiff et Lessard

‘« Quels sont les enjeux, les torsions, les déplacements qui surviennent lorsque l’objet du travail s’avère être un sujet humain capable, par exemple, de résister, à l’action du travailleur, de la détourner, voir de l’annuler ? » (p : 20).’

La question renvoie aux facteurs pouvant contribuer à l’inopérationnalité du contrat (Brousseau, 1998 ; Sarrazy, 1995 ; Joshua, 2002) que les élèves refusent autant parce qu’ils ne sauraient se satisfaire d’un jeu dont ils connaîtraient toutes les issues, ce qui n’aurait plus de signification pour eux, autant parce qu’ils ne sauraient non plus s’engager dans une situation dont ils ne comprendraient pas les règles du jeu et dont ils n’entreverraient aucune issue possible. Nous avons pu observer que cette désaffection peut être liée au style didactique, mais qu’elle s’explique le plus souvent par les rapports tendus aux outils méditatifs, notamment par les résistances du texte littéraire.

‘« Ainsi apparaît-il crucial que le pédagogue ne perde pas de vue qu’un enfant risque de se trouver, hors circuit, exclu de tout échange, de toute interaction, en raison des liens qui le nouent, des captations imaginaires dans lesquelles il se trouve entravé, clôturé […] : en ce sens, le travail de la médiation, ses effets reviennent à briser cette clôture imaginaire et, ce faisant, à supporter le transfert de l’enfant vers d’autres, le monde, le savoir etc. » (Imbert, 2007, p : 23).’

Il faut donc convenir que l’efficacité de l’agir enseignant se situe aux confluents de l’émergence du désir d’apprendre des élèves, sous-tendu par un minimum de connaissances préalables pour réduire la distance par rapport au savoir ou à la tâche et minorer son côté inquiétant, soutenu ensuite par un dispositif dynamique. Aussi, l’action conjointe que postule la médiation en contexte didactique a-t-elle besoin que soient créées les conditions de sa possibilité tant au niveau macroscopique de l’organisation de l’activité, qu’au niveau mésoscopique de la participation des élèves et de son étayage. Vue sous cet angle, nous disons que si la co-action situe la responsabilité de chacun des partenaires de part et d’autre du contrat didactique, elle n’élude pas la centralité de l’agir enseignant. Cette conclusion n’est pas nouvelle, elle peut même paraître assez ordinaire sachant qu’elle court depuis fort longtemps. Cependant, en la remettant à l’ordre du jour, nous montrons en quoi ces principes mettent sous tensions l’action didactique, rappelant que le caractère planifié n’empêche pas qu’elle soit partagée et donc incertaine, voire risquée. Il faut préciser qu’il s’agit d’une action guidée par des outils didactiques. Dans les exemples d’interactions visant le développement de compétences lecturales et rédactionnelles, ces outils, le plus souvent représentés par des textes, ont besoin d’être partagés au même titre que les savoirs qu’ils médiatisent pour leur permettre de jouer pleinement leur fonction d’instrument du développement cognitif des apprenants à côté des médiations enseignantes. C’est justement pour mésuser le double effet de l’action du texte et de l’enseignant sur le développement de compétences narratives que nous nous intéressons à la qualité de leurs productions écrites.