Chapitre 2 : Interprétation des effets des médiations sémiotiques à partir des performances narratives des élèves

Après l’étude des modalités de la co-action professeur / élèves autour des savoirs narratifs qui a permis de mettre en lumière les gestes professionnels des enseignants, les statuts et fonctions des artéfacts textuels et la spécificité des savoirs qu’ils médiatisent, les comportements d’apprentissage des élèves, nous cherchons à comprendre et à décrire la manière dont l’évolution ou non des performances narratives dans les productions écrites de ces derniers rend compte des effets de l’action didactique.

Avant d’aller loin, nous réaffirmons les principes qui nous ont guidé dans ce travail. Le premier, c’est la non imputabilité exclusive de ces performances à ce qui s’est passé dans la classe. Notre public est constitué, ainsi que nous l’avons indiqué ailleurs, d’élèves en classe de sixième et de quatrième. Ce qui suppose des apprenants qui ont un vécu social et pédagogique certain, des rapports personnels à l’école, au français langue d’enseignement-apprentissage, aux activités de lecture et d’écriture, voire aux types de textes qui leurs sont proposés. D’un point de vue socio-culturel, ils ont probablement des relations privilégiées avec le discours narratif. C’est pour dire que la problématique d’une culture éducative au sens large, et plus spécifiquement, d’une culture éducative scolaire (des médiations culturelles, des expériences didactiques et textuelles) devraient être, aux côtés des médiations sémiotiques médiates, l’une des clés pour appréhender les compétences de production de récits de fiction. Le choix de nous limiter à une corrélation des performances scripturales au travail en classe est donc purement stratégique. En somme, nous avons opté d’examiner et de décrire l’un des facteurs de développement qui nous semblait être le plus accessible. Le deuxième principe concerne les conditions de prélèvement de notre corpus écrit. Il faudrait rappeler à ce propos que les productions, à raison de deux par classe, se sont tenues dans des conditions et intervalles quasi similaires. Il s’agit généralement de conditions d’une évaluation sommative, ici les compositions du premier et second semestre, sauf pour les premiers devoir de 6C, correspondant à un devoir surveillé, communément appelé « contrôle continue de connaissances », et qui s’est tenu à quatre semaines de la composition du second semestre. Le décalage temporel relativement important entre les productions des autres classes (14 semaines en 6L, 16 en 4C et 12 en 4L) s’explique par cette raison (le prélèvement de copies de composition). Le troisième principe concerne la particularité de notre approche qui se veut à la fois quantitative et qualitative et qui se fonde sur une approche longitudinale et comparée. En clair, nous procédons par une analyse de contenu où nous ciblons les éléments relatifs aux compétences de structuration, de composition et de textualisation du récit et à l’évolution ou non de leur maîtrise, ainsi qu’on pourrait en juger d’une production à l’autre. Pour ce faire, non avons modélisé la compétence narrative en deux sous-compétences de construction et de conduite de la séquence narrative encadrante, d’insertion de séquences encadrées et de configuration du récit. Nous analysons alors les performances réalisées par les élèves dans une même classe, puis par classe et par niveau, en comparant les textes de la première et de la seconde évaluation. Nous cherchons alors à dégager des constances et des variations pour rendre possible des corrélations entre les compétences rédactionnelles et la double médiation enseignante et textuelle d’une part, d’autre part, entre ces mêmes compétences, la culture éducative scolaire et la maturité didactique de l’apprenant.

Notre démarche est bien la manifestation des « abstractions théorico-méthodologiques » dont parle Y. Reuter (2006) et qui conduisent à isoler une dimension donnée, ou à opérer un montage dont l’artifice se justifie par la perspective qu’impose la problématique bien que se donne le chercheur. Nous n’avons aucun doute sur le caractère essentiel des opérations de planification et de textualisation dans une compétence rédactionnelle en général, narrative en particulier. De même, il est clair qu’une narration peut parfaitement se concevoir sans des composantes descriptives, dialogales encadrées. Pour nous, la modélisation du récit sur la base d’une structuration compositionnelle et configurationnelle n’est qu’une réponse possible parmi tant d’autres, aux exigences scientifiques d’objectivation de l’analyse des fonctions médiatives aux cours des interactions et des performances rédactionnelles des élèves.