1.1.2 Les performances dans les productions en 6eme L par rapport l’opération de contextualisation de l’intrigue

D’après les statistiques qui s’affichent dans la figure 15, le constat est vite fait de quelques difficultés au niveau de la modalité de détermination du cadre spatio-temporel dans les premières productions. Toutefois, ces résultats spécifiques ont une faible incidence sur les performances globales relatives à la capacité des élèves à mettre en projet une histoire, à la faire partager avec le lecteur par l’élaboration d’un cadrage préliminaire informant du moment, du lieu, des actants et de la situation.

Figure 16 : Représentation des indices de présence des catégories de contextualisation du récit dans les productions des élèves en 6L aux semestres 1 et 2 (35 copies X 2)
Figure 16 : Représentation des indices de présence des catégories de contextualisation du récit dans les productions des élèves en 6L aux semestres 1 et 2 (35 copies X 2)

Si, à l’image des autres classes, ce sont les mêmes types de séquences (narratives, explicative, mixtes) qui sont utilisées pour cette opération, nous remarquons un recours massif à l’incursion narrative à valeur d’information et d’orientation dans les premières productions (26 copies sur un échantillon 35). Cette situation peut sembler paradoxale quand on l’apprécie sous l’angle de la formulation du texte injonctif à la base du contrat, par comparaison à celui de la première composition. Certes, la consigne du sujet de la deuxième production reste des plus classiques, autrement dit, des plus scolaires.

‘Un jour, un membre de la famille n’est pas rentré à l’heure. Tout le monde s’inquiète ; enfin le retardataire arrive. Racontez de l’attente jusqu’à l’arrivée du retardataire en insérant des passages descriptifs, des portraits, des dialogues.’

Mais le fait est que le sujet de la première production qui offre, dans sa formulation, un cadrage sommaire en fixant surtout l’incursion narrative comme norme de construction, pouvait engendrer un taux plus élevé à ce niveau.

‘Achevez le conte suivant. Il était une fois une vilaine petite fille qui vivait avec sa grand- mère...’

La logique aurait voulut que les élèves se saisissent de la formule introductive du sujet qu’ils feraient fonctionner comme une situation initiale et enchaîner avec une indication temporelle (par exemple un jour) qui prendrait en charge tout à la fois, l’entrée dans le récit, la prise en charge de l’histoire, la rupture / continuité de l’action par un passage de la situation initiale au nœud. Ce schéma n’apparaît que dans 02 copies.

Etudiées en termes de volume (le nombre de mots) et de rôle narratif (les contenus informatifs), on constate que les opérations de contextualisation sont majoritairement très succinctes, de l’ordre de 14 mots, et ne fournissent que très peu d’informations, guère plus que celles figurant déjà dans la consigne. Ainsi, les principaux actants (une jeune fille et sa grand-mère, un membre de la famille), les indications caractérielles (vilaine, belle, insupportables), situationnnelles (la vie à deux entre une fille et sa grand-mère, l’inquiétude d’une famille, un monde merveilleux,) spatio-temporelles (il était une fois, un jour) sont présentés en une ou deux phrases.

Nous remarquons donc une première tendance quasi générale des élèves à reprendre la formule de la consigne, d’abord pour des raisons évidentes liées au caractère conventionnel du conte référé dans le projet de production, ensuite parce qu’à ce niveau, ils ont l’habitude de manifester une forte dépendance au texte procédural. La seconde tendance concerne le mode de construction plus ou moins complexe où le passage de la situation initiale au nœud de l’action est retardé par une transition pour répondre à un besoin incompressible de « remplir le vide » laissé par les suspensions. Le processus passe par la complémentation du cadrage préliminaire à l’aide d’informations, principalement des indications-précisions relatives à la qualification différentielle des personnages (Hamon, 1974) et la détermination du cadre spatio-temporel.

Il se rencontre par ailleurs des insertions descriptives détaillant les caractères des personnages avec un déploiement des adjectifs « vilaine » / «vieille » sur le mode d’une opposition bien / mal, bon / méchant, même si dans la majorité des cas, l’expression « une vilaine petite fille » est prise dans son acception physique. Cette lecture au premier degré invite à réfléchir sur la formulation de la consigne et sur ses échos (Bouchard et Mondada, 2005). Nous ne nous arrêtons ni sur la pertinence, ni sur la qualité des textes procéduraux qui ne sont pas l’objet de cette étude malgré leur importance. Cependant, nous ne pouvons ne pas prêter une attention à la difficulté qu’à pu constituer, pour certains élèves, l’emploi de l’adjectif « vilaine ». Comme on peut le constater, rien dans le contexte de la phrase ne permet de dire si l’adjectif est employé dans son sens dénoté, désignant donc un caractère physique, ou s’il faut le comprendre dans son sens connoté et conséquemment, mettre l’accent sur le caractère moral du personnage. Cette opacité sémantique se ressent sur le travail des élèves partagés entre les différentes interprétations possibles. Manifestement, ils ont du recourir à leur culture éducative et mobiliser les lieux communs du genre littéraire référé, c'est-à-dire le conte, pour interpréter la consigne. C’est la seule explication à la prédominance des récits où l’adjectif apparaît dans sa dimension morale. En fait, en s’appuyant sur leur culture éducative et scolaire (lecturale et didactique) les élèves vont reproduire un schéma récurent des fonctions et rôles narratifs dans le conte où la distribution actancielle est très souvent bâtie sur l’opposition du bien et du mal pour permettre en creux, de dégager une morale.

Enfin, le vide est aussi comblé par des insertions explicatives enrichissant la formule par des informations relatives à la situation. Dans ce cas, l’élève-auteur suspend, pour un court instant, le temps posé dans le récit et convoque une époque antéposé.

Ces modes de contextualisation impliquent le recourt à ce que nous appelons des séquences mixtes associant à l’insertion narrative, « il était une fois une vilaine petite fille qui vivait avec sa grand-mère », des séquences descriptives et / ou explicatives. L’enjeu, c’est d’apporter des réponses à des questions postulées de point de vue du lecteur : qui est cette jeune fille, comment est-elle vilaine (dénotation et connotation), pourquoi vivait-elle avec sa grand-mère et non avec ses parents etc. ?

Comme on pouvait s’y attendre, la question du paquetage de la contextualisation, dans le cadre du texte fictionnel, et de la distribution de ses éléments entre l’introduction et le développement, parties liées au texte scolaire, sera traitée différemment selon le type de sujet. La démarche de couplage du texte fictionnel et du texte scolaire, qui fait coïncider les premières phases de l’intrigue, c’est à dire la situation initiale et le nœud de l’action, à la première partie du devoir correspondant à l’introduction, est systématiquement usitée dans les premières productions. Par contre, l’usage le plus courant dans les productions de la deuxième composition consiste à les découpler. La formule du sujet est utilisée par un grand nombre d’élèves en guise d’introduction, et le plus souvent, elle est soumise à une reprise- reformulation assortie d’un engagement dans un projet narratif. On se retrouve alors face à deux situations différentes dès les premières phrases du développement. Dans certaines copies, la phrase introductive fonctionne comme la situation initiale du récit. La perturbation ou nœud de l’action est aménagée dans les premières phrases du développement, suivie de la dynamique d’action. Cette démarche qui fait coïncider parfaitement le texte scolaire et le texte fictionnel dans un jeu de rapport conférant au scripteur un statut d’auteur-élève se retrouve dans plus d’une dizaine de copies. Dans d’autres productions, les premières phrases sont consacrées à un retour à la contextualisation complétée par les indications-précisions transitoires entre la situation initiale et le nœud.