1.2.1 Les performances des élèves en 6eme C par rapport à l’opération de planification de l’action

Nous relevons les faibles performances des élèves relativement à l’organisation de l’action et de la focalisation de l’événement central dans les textes de la première composition. Cette situation pourrait conduire à reconsidérer l’hypothèse liée à l’effet de la culture éducative sur la compétence narrative. Certes, il ne s’agit pas de nier ce phénomène, mais les résultats obtenus au niveau de ces composantes de la compétence de structuration et de planification de l’intrigue doivent nous pousser à reconsidérer la question en intégrant les paramètres de la construction logique et des exigences de cohérence, en somme, la dimension de la narrativité. Nous nous reprenons pour souligner encore une fois qu'il ne suffit pas, dans un récit de fiction, d’enchâsser des événements pour construire une histoire, et il ne suffit pas non plus de lier des évènements les uns aux autres pour bâtir une intrigue et « convaincre » son lecteur. Ce qui fonde la pertinence de l’approche proposée par Weinrich (1973), reprise par Ricœur (1984), c’est de différencier l’intrigue de la mise en intrigue. Les faiblesses des performances des élèves sont symptomatiques de trois ordres de difficultés à construire une intrigue structurée autour d’un plan d’actions cohérent.

Figure 19 : Représentation des indices de présence des catégories de planification du récit dans les productions des élèves en 6C aux semestres 1 et 2 (40 copies X 2)
Figure 19 : Représentation des indices de présence des catégories de planification du récit dans les productions des élèves en 6C aux semestres 1 et 2 (40 copies X 2)

Sur la forme, on ne peut que reconnaître la « fictionnalité » des récits produits par les élèves, nonobstant le caractère quelque peu extravagant de certaines histoires, si tant est que le propre du récit fictionnel est à chercher dans « ses qualités spécifiantes » (Cohn, 2001, p. 12) représentées par sa structure formelle, définissable avec précision, systématiquement reconnaissable. Dans les faits, le lecteur devra se rendre à l’évidence : la majeure partie des récits des élèves opèrent en surface, par l’usage des marqueurs temporels « un jour », « le jour-là même », « ce jour-là », la structuration chronologique d’une action centrée sur un évènement principal. D’autres indices peuvent être associés à ces éléments organisateurs comme la distribution actancielle, la perspective narrative etc. pour justifier le principe d’une mise en intrigue.

Toutefois, le texte ne peut prétendre au statut de récit et être recevable comme tel que lorsque sa construction allie, à ces critères d’extériorité, des conditions techniques assurant la logique et la cohérence devant garantir la vraisemblance de l’histoire. Or, on constate un nombre assez important de productions de la première composition où l’intrigue est affectée par des incohérences dues à un manque, si ce n’est l’absence totale de connexité. Peut-être que pour ces élèves, l’art de la fiction repose sur une imagination la plus débridée, surtout lorsqu’ils sont invités à produire un récit où on fait parler des animaux. On lira dans les productions du premier semestre l’expression, dans les postures narratives, d’un écartèlement entre le désir de création d’un récit merveilleux à l’image du conte, et la volonté d’un récit qui ne déroge pas des canaux du texte fictionnel scolaire où l’histoire fait écho au vécu. Dès lors, on pourrait imaginer la manifestation d’un conflit de mémoire opposant les caractéristiques génériques du conte et textuelles de la fiction scolaire. Cette thèse se fonde sur la coexistence de deux phénomènes, que rien n’interdit sur le principe, sauf l’exigence de vraisemblance.

Le récit de l’élève est illustratif d’un processus narratif non maîtrisé. On observe dans un premier temps la mise en route d’une intrigue dont les possibles réfèrent au passé. On voit dans un second temps, et de manière inattendue, une configuration de cette intrigue par un système temporel où, en lieu et place de l’imparfait et du passé simple, alors considérés comme les temps par excellence du récit, on retrouve des temps verbaux tels que le présent de l’indicatif et le passé composé dont la fonction est de neutraliser le passé, de gommer le principe de mise en distance, et d’actualiser le procès. La question importante de la fonction de narrative des systèmes temporels sera reprise ailleurs. Nous l’évoquons ici par anticipation juste parce qu’elle ouvre une hypothèse explicative à la situation observée. En effet, l’usage systématique de temps fortement marqués par le discours commententatif (Weinrich, 1973) ne fait pas que modifier la référence temporelle de l’action, il peut produire un lourd déficit de planification et nuire de la sorte à la qualité de la narration modale. L’intérêt est moins de disserter sur les valeurs modales des temps employé que de comprendre les incidences textuels de tels usages sur la lisibilité du récit. La meilleure illustration est fournie par une des 3 copies de la première production caractéristiques de cet effet de commentaire où « l’histoire » tient plutôt un compte rendu évènementiel.

Dans ces textes, l’élève réfléchit sur un événement ou une situation dont il cherche à expliquer les circonstances de la survenue, ce qui fait que sa démarche ne présente aucune construction narrative. Nous estimons que le conflit de mémoire serait entretenu par la formulation de la consigne qui réfère implicitement au conte par la convocation du merveilleux, mais qui ne demande pas expressément de raconter un conte. L’injonction « imagine » a pu être lue au premier degré et a pu être perçue comme une incitation à débrider l’imagination. De toute manière, les récits dont l’organisation narrative est apparue assez cohérente sont des contes ou des textes qui s’inspirent fortement de son schéma.

Le second problème de planification de la séquence narrative se rencontre dans les exemples de « récits anecdotiques ». L’insécurité linguistique, patente dans le texte, ne suffit pas à expliquer tous les problèmes des productions concernées. On devra y adjoindre l’absence d’une intrigue réelle et l’évocation de l’évènement sur le mode conversationnel. C’est qu’à l’image de tout récit évènementiel ou récit anecdotique, le texte de l’élève tient à la simple relation d’une scène de la vie (la désolation de paysans impuissants à faire face à une invasion de criquets). On pourrait, en tirant à l’extrême, classer ces récits dans la catégorie des faits divers. A la différence des cas précédents, le récit se caractérise ici par l’absence d’intrigue, c’est à dire l’élaboration d’une dynamique d’action structurée autour d’une somme d’événements. Comme on peut le voir à l’exemple de cette copie, l’essentiel de « l’histoire » est consacré à la « présentation » de la bête marquée par un ensemble de détails qui ne disent rien de ce qui se passe ou devrait se passer. On ne peut considérer le temps de cette longue pause narrative que dans la mesure où il était préparatoire à une action, elle-même structurée par une somme d’évènements. Quand enfin l’amorce de l’intrigue est annoncée « un jour », c’est pour clore l’histoire en même temps.

Enfin, il y a déficit de planification lorsque l’évolution dramatique est exclusivement portée par un dialogue narrativisé, qu’il soit rendu dans un discours direct ou rapporté, c'est-à-dire par un discours narrativisé.

Les scores réalisés dans les textes de la seconde composition par rapport à la sous-compétence de planification et principalement au niveau de la capacité à structurer l’action où les résultats passent du simple au double (de 15 à 36) dénotent d’une meilleure compréhension et d’une meilleure maîtrise de cette exigence du récit. Trois facteurs semblent avoir été particulièrement déterminants. D’abord et surtout les médiations textuelles au regard des témoignages de l’enseignante qui admet avoir organisé très peu d’activités de lecture durant le premier semestre et jamais de dispositif articulant la lecture du texte littéraire à la production écrite des élèves, alors même qu’elle a conscience que ceux-ci ne lisent, pour la plus part, qu’en classe et sous sa direction. L’organisation intensive de ces activités autour de textes choisis pour leurs caractères schématiques et illustratifs a donc favorisé l’appropriation et le transfert de ce type de savoir. Il se construit à partir de ce moment une expérience didactique nouvelle dans la manière d’aborder le récit. Naturellement, ces changements seraient difficilement explicables sans le travail de l’enseignante.