1.2.4. Les performances des élèves en 4L par rapport à l’opération de planification de l’action

La figure 22 nous donne les résultats des performances des élèves en 4L aux trois composantes marquant l’opération de planification de la séquence narrative aux deux compositions.

Figure 22 : Représentation des indices de présence des catégories de plannification du récit dans les productions des élèves en 4C aux semestres 1 et 2 (32 copies X 2)
Figure 22 : Représentation des indices de présence des catégories de plannification du récit dans les productions des élèves en 4C aux semestres 1 et 2 (32 copies X 2)

Les performances réalisées dans la manifestation de la sous-compétence de planification de l’action confirment les conclusions provisoirement tirées de l’examen de la sous-compétence de contextualisation : le principe de narrativité est largement respecté. On pourrait quand même relever le problème de structuration de la dynamique d’action commun à toutes les classes et de la clôture-conclusion, spécifique aux classes de 4ème. Ce qui particularise les productions en 4L, c’est d’une part le nombre réduit de cas affecté par ce problème (7 élèves) et sa concentration dans les copies du second semestre. Dans les productions dont il s’agit, l’organisation évènementielle qui doit porter sur la dynamique de l’action est marquée par une incohérence et un manque de logique dus à un entassement de faits, si ce n’est à une démarche totalement fantaisiste. Comparé à ce qu’on a pu observer en 6C, le fait atteint des proportions démesurées.

Quel entendement les élèves ont pu avoir du fantastique aussi bien à partir du traitement du sujet en classe, que de leur lecture des textes –modèles, notamment celui de Théophile Gautier dont on retrouve les traces dans la manière d’entretenir le mystère à travers des mentions comme cette brusque pluie que rien ne semblait annoncer, ces vieux meubles et cette atmosphère où les signes d’abandon et d’absence de vie sont contredits par certains indices d’une présence humaine ? Certes, nous ne nous sommes pas intéressé à la dimension thématique des récits autrement que par rapport à son impact sur la narration modale. En l’occurrence, la relation du thématique et du modale dans le récit fantastique tient entre autre, au jeu subtil entre le surnaturel, propre au merveilleux et l’étrange qui peut être inexpliqué, mais qui n’est pas inexplicable (Todorov, 1971). On ne peut donc pas bâtir son récit exclusivement sur l’avènement de phénomènes tous aussi extraordinaires les uns que les autres au risque de produire une intrigue totalement extravagante et logiquement illisible (Masseron, 1982, 1990). Or, les textes dont celui cité en exemple n’est pas le moins marquant, se caractérisent par un usage assez abusé des ressorts du merveilleux. Nous ne posons pas uniquement la question de l’ancrage réaliste, encore que ce soit important et globalement bien intégré par les élèves, mais nous pensons aux incursions explicatives et narratives fonctionnellement destinées à la rationalisation de l’histoire et à la construction logique de l’intrigue. Revenant au texte choisi pour illustrer le problème que nous évoquons, les questions que le lecteur est en droit de se poser restent sans réponse : comment se fait-il que le personnage principal n’ait pas pu remarquer les éléments insolites de cette maison, pourtant visibles dès le seuil, lors de sa première visite ? Pourquoi le personnage, venu honorer un contrat de travail obtenu la veille, décide de demeurer « des nuits et des nuits » dans cette maison vide de ses occupants (aucun indice de la présence de ses employeurs) ? Il y donc lieu d’interroger les représentations des élèves et du professeur sur le fantastique et de se demander si pour les premiers, il ne signifierait pas un cadre où tout est possible et son contraire. Ces échanges extraits de la dernière séance avant les évaluations pourraient apporter un début de réponse

‘619. P : et ce qu'on vous demande/ ce qu'on vous demandera de faire\ c'est que\(.) pour la composition hein\ (1.7s) on vous do-\ on vous demandera d'imaginer un conte fantastique\
620. Cl : < ((bruit de surprise et de désapprobation des élèves))>
621. P : ((le professeur se montre son étonnement face à la réaction des élèves)) HAN\
622. Cl : ((les élèves manifestent leur désaccord par dans un tonnerre de cris, de commentaires et de rire))
623. P : ((élevant la voix pour couvrir le bruit des élèves)) VOUS ETES EN MESURE DE FAIRE\(.) LES ELEMENTS SONT LA/(.) IMAGINEZ UNE HISTOIRE/
624. CL : ((les élèves continuent de protester))
625. P : ((dans un cri)) TOUT LE MONDE SAIT MENT:IR/
626. Cl : << ((voix de quelques élèves répétant les unes les autres par dessus le vacarme)) SAUF MOI/
627. E : moi non plus/
628. Cl : < ((rire des élèves))>
629. P : ((toujours obligé de crier pour se faire entendre)) TOUT LE MONDE SAIT INVENTER DES CHOSES QUI N'EXISTE PAS/
630. E : pas moi/
631. E : sauf moi/
632. P : DONC C'EST TOUT CE QU'ON VOUS DEMANDE DE FAIRE/(.) DONC VOUS PRENEZ RAPIDEMENT çA/(.) ((le professeur désigne les éléments listés au tableau))
633. Cl : ((les élèves prennent des notes))’

Certes, ce n’est là, a priori qu’un banal jeu, une de ces négociations latérales qu’on rencontre dans toute interaction didactique et qui participent de l’animation de la vie de la classe. Toutefois, lorsqu’on accorde les plaisanteries de l’enseignant avec les discours tenus en amont pour définir le fantastique, ses caractéristiques, les critères qui devraient servir de feuille de route pour les élèves, on ne s’étonnera plus de ces textes dont l’action est mal planifiée et dont la cohérence est sujette à caution.

L’absence de clôture-conclusion constitue un autre point par lequel les productions des élèves de cette classe à la seconde composition attirent l’attention. De façon générale, cette absence et liée aux même raisons évoquées dans l’analyse de la sous-compétence en 4èmeC. Seulement, l’effort de certains élèves de faire « à l’exemple de Th. Gautier » et même de le concurrencer, les pousse à saturer les possibilités qu’offre le modèle littéraire. En effet, la non évaluation de l’action ne dispense pas d’un dénouement, sauf pour l’élève-auteur qui use de la stratégie du suspens. C’est cette démarche que tente de mettre en pratique l’auteur du texte ci-dessous qui s’est abstenu de conclure son histoire. Peut être cherchait-il à mieux donner l’allure d’un texte littéraire par l’aménagement du suspens. L’ennui, c’est que lorsque la rupture est brutale et prématurée, l’effet de surprise se perd et il se produit une impression d’inachèvement avec des répercussions désagréables sur la trame narrative et la logique du récit.

Toute la question est donc dans la maîtrise de l’intrigue qui seule autorise à interrompre le récit sans « couper » l’action, c'est-à-dire à aménager un suspens. Au total, 18 élèves se sont essayés à ce jeu dans leur production de la seconde composition, on compte 5 cas où la construction est techniquement maladroite. Aussi, la question du professeur, qui probablement n’induit pas de réponse, sera interprétée comme une variante de l’appréciation qualitative qui accompagne et complète l’appréciation quantitative pour constituer l’évaluation. A travers elle, l’enseignant place un commentaire infrapaginal dont la fonction première est de communiquer avec l’auteur en lui faisant voir les manquements de la production, en lui donnant des orientations de remédiation et dans une certaine mesure, en justifiant la note donnée à la copie. Dès lors, les mentions «et la suite », « Récit non achevé’, « Il manque des séquences explicatives » s’associent et se combinent pour constituer un paratexte professoral destiné à signifier à l’élève les « défauts » de son texte et à lui faire accepter sa note.

La sous-compétence de planification et de structuration de la séquence narrative encadrante constitue, ainsi que nous l’avons démontré, l’un des principaux critères de visibilité de l’action et de lisibilité du texte. Rappelons à ce sujet l’une des conditions que soulève Adam relative à la textualisation, c'est-à-dire aux principes de cohérence, de cohésion, de thématisation et de mise en récit. Selon l’auteur, pour qu’on puisse parler de cohérence d’un récit du point de vue de la succession des actes, « il faut que les faits dénotés par les propositions narratives soient liées ». Il précise qu’il faut « qu’apparaissent des rapports de conditions-conséquences » (1985, p : 40). Ajoutons une chronologie et des connecteurs. Ce sont ces principes qui sont à la base de notre analyse des productions des élèves. Or, si les tendances généralement évolutives notées entre la première et la deuxième composition signifient que la sous-compétence est assez bien maîtrisée, les composantes prises séparément et analysées par classe, voire par établissement, renseignent sur de nombreuses disparités. La question reste posée quant à l’origine des difficultés chez certains élèves à organiser les événements sur des bases logiques, à assurer leur connexité dans la perspective d’une véritable intrigue par l’emploi approprié d’instruments linguistiques en nombre, en qualité et en variété. En l’occurrence, les outils de mise en cohérence les plus usités en 6 L par exemple, qui étale des résultats relativement intéressants, ne dépassent guère quatre expressions « un jour, ensuite, après, puis ». Il nous a été donné d’observer un récit dont la chronologie est toute entière prise en charge par une seule et unique expression : « après ». Quant aux scores de la 6C, notamment à la première composition, elles trouvent leur explication par l’absence d’action ou d’instruments de planification lorsque celle-ci existe. Et même lorsqu’on rencontre quelques rares outils d’organisation textuelle, c’est la mise en cohérence globale de la séquence narrative, tel qu’il est possible d’en juger à partir des scores obtenus aux composantes « concordance des temps verbaux » et « marquage local de l’organisation » qui fait défaut. Les problèmes de la structuration et de la planification sont certainement moins sensibles dans les deux classes de 4ème malgré l’existence d’un phénomène commun aux textes de la seconde production où certains récits se singularisent par l’absence d’outils de mise en intrigue, ce qui se traduit par une construction pouvant être totalement fantaisiste. A ce phénomène, se joint une organisation par simple entassement. En considération de l’« expérience » que les élèves devraient avoir du récit de fiction, notamment au niveau de son organisation narrative, eu égard à la place qu’occupe ce types de texte dans les activités de lecture et de production écrite à l’élémentaire et au collège, il est légitime d’interroger le travail didactique en amont, la place et les modes de traitement de ces détails techniques dans les centrations de l’enseignant. Nous savons que la médiation culturelle peut avoir joué un rôle influent dans la manière d’exposer les évènements et de conduire l’intrigue. En effet, la tradition narrative extra-scolaire héritée de la culture et des récits populaires a la particularité d’offrir des modèles de récits à trame simplifiée, focalisée sur quelques évènements marquant, autrement dit, des récits « à faible degré de narrativisation » (Adam, 2005, p : 152). L’enjeu principal de ces récits, c’est de faciliter la mise en mémoire et de provoquer la réflexion sur des situations, des phénomènes, des destins particuliers. Jusqu’à quel degré ces modèles ont résisté au phénomène de déstabilisation propre à la situation d’enseignement-apprentissage ? Tout porte à croire que moins ils ont un vécu didactique, ce qui est le cas des élèves en classe de sixième, plus ils ont tendance à « reproduire » le modèle le plus proche des habitudes culturel.les Leurs récits sont alors marqués par une simple succession d’actions ou d’évènements. En revanche, les productions des élèves en 4ème, principalement celles de la seconde composition, se caractérisent par une mise en intrigue relativement complexe ; ce qui voudrait dire que leur vécu didactique et lecturale les auraient disposés à produire des récits « à fort degré de narrativité ». Mais cela ne suffit pas à expliquer la présence des mêmes difficultés en classe de quatrième, ni les avancées notées en 6L. Une bonne partie de l’explication des performances réside donc dans le traitement ou le non traitement des procédés de planification dans les activités ayant animé les interactions de classes.