2.1.1 Les performances des élèves en 6C par rapport aux opérations de construction et d’insertion de séquences encadrées

En examinant les performances des élèves par rapport à la sous-compétence de structuration et de planification de l’action, nous avons pu observer que plus les exigences de construction du récit nécessitent des techniques particulières, plus les élèves éprouvent des difficultés à les satisfaire. Les statistiques de la classe relatives à la sous-compétence de construction et d’insertion de séquences descriptives et dialogales confirment cette impression, malgré l’exception de la séquence dialogale dans les textes de la première production.

S’agissant des insertions descriptives, il faudrait déjà commencer par se demander si le récit de l’élève en comporte une de quelque forme qu’elle puisse être. Or, sur les 40 productions de la première composition traitées dans le cadre de ce travail, 23 textes ne présentent aucune mention descriptive. Ce nombre se réduit à 10 à la seconde production. Sur l’ensemble des productions aux deux compositions, on récence 10 élèves chez qui aucun des deux récits ne contient de mention descriptive fut-elle une simple notation qualificative ou autre. Visiblement, ces élèves n’ont pas réussi à prendre en charge la totalité du contrat de production projeté dans la consigne qui les incitait expressément à développer une dimension descriptive conséquente.

Malgré tout, le graphique des performances relatives aux insertions descriptives révèle empiriquement, ainsi qu’on peut en juger à partir de la figure 23 des évolutions quantitatives de la première à la seconde production.

Figure 16 : Représentation des indices de présence des trois formes de séquences descriptives dans les productions des élèves en 6C aux compositions des semestres 1 et 2 (40 copies X 2)
Figure 16 : Représentation des indices de présence des trois formes de séquences descriptives dans les productions des élèves en 6C aux compositions des semestres 1 et 2 (40 copies X 2)

C’est ainsi que les pourcentages de textes où l’on rencontre ne serait-ce que des notations descriptives, c'est-à-dire des mots et groupes de mots contribuant à donner un effet de visibilité du décrit (Reuter, 1998, 2000), passent de 40 à 67 %, alors que les fragments brefs que nous appelons des séquences descriptives semi-développées, parce que constituées d’une à deux phrases portant sur un point précis où un aspect général, passent de 2,5 à 5%. Enfin, les fragments expansés ou paragraphes descriptifs au regard de critères quantitatifs portant sur le nombre de phrases, et qualitatifs marqué par un minimum d’organisation et de planification (Reuter, 1998 ; Adam et Petitjean, 1989 ; Fayol, 1994) connaît une progression de 10 points, passant de 5 à 15%.

Pour aller plus loin dans l’appréhension de toute la réalité du descriptif dans les textes des élèves nous en évaluons les modalités et caractéristiques. Deux remarques s’imposent à ce sujet. Lorsqu’ils existent, les énoncés descriptifs ne dépassent pas, pour l’essentiel, une mention annotée. Et même dans ce cas, pour 10 textes, dont 1 de la première composition, la seule annotation est celle reprise du sujet : « tout est calme ». Pour autant, des progrès sont perceptibles au niveau des outils de démarcation et de configuration des séquences. Ce résultat spécifique se justifie par le fait que lorsque l’élève aménage une séquence descriptive plus ou moins développée, la construction tient compte des paramètres extérieurs de mise en texte, notamment la signalisation narrative. Malheureusement, la faiblesse du nombre de récits accueillant des fragments expansés rend l’opération quasi marginale. Ajoutons que sur les 10 récits où la séquence narrative est enrichie par des insertions descriptives, qu’elles soient semi-développées ou développées, c’est le personnage principal (homme ou animal) qui est l’objet de la description. Parmi elles, 6 constructions sont un témoignage sur les qualités du personnage. Certainement que le fait de devoir raconter dans le texte de la seconde composition un évènement marqué par des cris peut expliquer la prédominance de récits tragiques avec mort d’homme. Or, la tradition sociale et religieuse veut qu’en de pareilles circonstances, les propos tenus soient des témoignages sur les qualités du disparu.

On peut s’étonner de la naïveté du récit, mais on relèvera plus fondamentalement la technique d’aménagement de la pause descriptive qui se manifeste par le prétexte « elle ne nous a dit que le vieux Samba est mort » et par les unités démarcatives et constituantes :

  • une phase de cadrage initiale : «Tout le monde était triste »,
  • une phase de cadrage finale : « c’est pour sa que tout le monde l’aime »,
  • Entre ces deux moments, se déploie le parcours descriptif fait de l’évocation des qualités du personnage.

Des liens d’annonce des propositions à venir, d’explication-justification de celles en amont et en aval, et de confirmation-validation des précédentes donnent à l’insertion une fonction argumentative. Il est d’ailleurs significatif que même dans un texte impliquant un animal, un chient en l’occurrence, la description, n’ait d’autre finalité que dire les qualités de la bête pour montrer l’attachement de ses propriétaires, et conséquemment, souligner toute l’émotion que va susciter sa disparition dans des conditions tragiques.

La prépondérance de la description pourrait poser la question du statut des discours combinés dans le récit et donc du type de texte. Mais le problème est résolu par les instruments de cadrage et de mise en relief qui relèguent l’unité ainsi traitée au rang de constituant complémentaire. L’énoncé d’ouverture de séquence narrative : « C’était il y a très longtemps, j’avais un chien qui s’appelle Boby » et de retour à ladite séquence « Un jour en traversant la route une voiture la heurtée et on là amené directement à l’hôpital, avant d’arrivée il était déjà mort » campent « l’intrigue » en consacrant la prééminence de la séquence narrative.

Nombreuses et exigeantes sont les caractéristiques techniques à maîtriser pour réussir une insertion descriptive. Les opérations qui s’attachent à la sous-compétence nécessitent un apprentissage régulier dans des situations didactiques donnant à l’apprenant la possibilité de produire en mettant en application des acquisitions co-construites dans un système dynamique (Sensevy, 1998), de revenir sur ses propres productions pour les évaluer (Garcia-Debanc et Mas, 1987, Boissonnat, 2000), en somme, sur une ingénierie du faire-faire.

Les insertions dialogales offrent une image contrastées au regard des performances des élèves. Le premier enseignement qui se dégage de leurs productions tel qu’en atteste la figure 24 concerne le recul accusé entre les deux productions. Nul doute que le libellé de la consigne, explicite lors de la première composition quant à l’exigence d’insertion de dialogues dans le récit, et plutôt implicite pour les textes de la seconde composition, y est pour quelque chose.

Figure 17 : Représentation des indices de présence des trois formes de séquences dialogales dans les productions des élèves en 6C aux compositions des semestres 1 et 2 (40 copies X 2)
Figure 17 : Représentation des indices de présence des trois formes de séquences dialogales dans les productions des élèves en 6C aux compositions des semestres 1 et 2 (40 copies X 2)

Certes, les récits contenant ne serait-ce que d’une réplique au style direct, indirect ou narrativisé augmentent de 2,5 points en passant, entre les deux productions, de 57, 5 à 60 %. En revanche, les constructions plus ou moins complexes (les séquences dialogales semi-développées et développées) piétinent. Les insertions brèves sont inexistantes dans les textes des deux compositions, tandis que les échanges longs chutent de 10 points, déclinant de 17,5 % à 7%. Ce qui veut dire que les élèves n’ont pas perçu la nécessité d’enrichir leurs récits de dialogue de la même manière dans les deux textes. Dans les premiers, cette dimension est apparue essentielle, voire obligatoire dès lors qu’ils l’ont décodée dans les attentes du professeur et donc comme condition de succès. Nous pouvons tout autant dire que la présence en grand nombre de séquences dialogales annotées dans les secondes productions et les quelques timides tentatives d’élaboration de séquences développées constituent des indices que l’idée que le récit de fiction se complète et se dynamise par sa composition pluriséquentielle fait son chemin. Et comme dans l’exemple des insertions descriptives, il convient de chercher à savoir dans quelles mesures la co-action dans les interactions de classe a préparé les élèves à jouer le jeu en produisant des récits complexes.

Lorsque nous examinons les insertions des élèves du point de vue des types de séquences, nous constatons, à l’image de l’exemple ci-dessous, que les insertions dialogales annotées sont dominées par l’usage du style indirect qui constitue ainsi un des moyens privilégiés pour rendre les paroles des personnages. Les 5 mentions dialogales disséminées dans le récit sont constituées de 1 monologue, 2 répliques au style direct et 3 autres au style indirect. Ces insertions, bien que signalées par des verbes introducteurs, peu variées et juste indicatrices d’une prise de parole, « sa mère lui dit de », « elle dit », « sa mère pose la question », « sa mère dit que », « mimi dit », ont principalement une fonction informative et ne nécessitent pas d’aménagement de pause.

Les interventions dialogales constituées d’une réplique au style directe suivent par leur importance. A l’inverse, les séquences plus ou moins longues sont très peu représentées. La question de la longueur de la séquence dialogale développée peut être posée de deux manières, d’où la relativité du système de comptage. La méthode absolue est dans la présence d’au minimum 5 répliques pour que le dialogue puisse être rangé parmi les séquences développées.

Le texte est composé de 18 phrases, les 15 sont des répliques de dialogue entre les deux personnages. Le récit se caractérise par l’insuffisance des interventions du narrateur aussi bien en termes de discours attributif pour encadrer la séquence dialogale, qu’en termes de reprise de signalisation du retour à la narration pour structurer l’action, organiser et planifier l’intrigue. Certes les énoncés narratifs « tout commence le jour que le roi invite tous les animaux et leurs dire chacun va recevoir beaucoup de viande avec son cheval. Et le l’hyène trouve lièvre » ouvrent la voie au dialogue en servant de cadrage initial. Mais on conviendra que le contexte reste imparfaitement défini. Le lecteur est obligé d’imaginer les circonstances du dialogue et même de compléter, par endroit, le fil de l’histoire pour comprendre le sens de certaines répliques. Il en est ainsi de ce passage : « Non non… le roi dit que la viande n’est insuffisant il faut on tue les chevaux pour l’ajoute dans la viande ». En résumé, on peut penser qu’il s’agit d’une des aventures des compères Leuk-Le-Lièvre et Bouki-L’hyène tirée des récits populaires dont L.S. Senghor et A. Sadji ont largement contribué à leur pérennisation en les transcrivant et en les éditant dans un recueil de livre pour jeunesse. Le récit relate l’une des rares occasions où l’hyène, symbole de la sottise, arrive à tromper le lièvre qui incarne la ruse. L’hyène veut participer à une compétition organisée par Le Roi Lion qui met en jeu des quartiers de viande. Elle doit se présenter sur un beau coursier. Alors elle échafaude un stratagème pour convaincre le lièvre de lui servir de monture. Cependant, une fois à destination, elle fait croire à son compère qu’en tant que coursier, il risque d’être égorgé et servi aux compétiteurs, la quantité de viande de bœuf n’étant pas suffisante pour récompenser tous les participants. La vérité est que l’hiène n’est pas partageuse. Le système d’insertion du dialogue peut aider à réduire les énoncés accompagnateurs, mais il ne les fait pas disparaître totalement. Il s’y ajoute que l’évolution de l’action et les changements de situations doivent d’être signalés pour les besoins de la mise en intrigue et de la cohérence globale du récit. On peut enfin remarquer qu’en dehors des alinéas (retour à la ligne à chaque réplique) aucun des autres outils, notamment syntaxiques, de manifestation textuelle de la séquence dialogale n’est employé. Nous pensons aux signes démarquatifs paradiscursifs scolairement codifiés comme les guillemets et les tirets. Ces instruments ne sont certainement pas fondamentaux à la textualisation, à preuve, les cadrages introductifs et conclusifs permettent de lire parfaitement le texte de l’élève comme un récit qui sert de cadre à un dialogue. On ne peut tout de même oublier que le modèle scolaire enseigné et reproduit intègre ces signaux comme des éléments consubstantiels au dialogue dans le récit. Leur absence dans les productions des élèves, surtout lorsqu’elle est généralisée, ce qui est le cas de cette classe, ne peut que soulever un problème d’apprentissage et d’acquisition des procédés de mise en texte de la séquence dialogale.

Le critère de détermination de la longueur de la séquence dialogale peut aussi porter sur le niveau de complexité de sa construction. On décompte trois répliques dans le texte suivant. La première est un monologue « La souris dit : je vais chercher de la nourriture pour mes petits ». Le dialogue proprement dit concerne les trois dernières répliques (deux pour le chat et une pour la souris). A priori, ce sont deux modes de prise de parole techniquement différents et textuellement distincts, de sorte qu’on pourrait parler de deux insertions.

Cependant, il faut bien convenir du rôle moteur du monologue. Il assure la contextualisation de l’action en permettant la mise en place des conditions de la rencontre des protagonistes et la définition des fonctions actancielles (la faim pour le chat et le devoir de quête de nourriture de la souris pour ses « petits »). Il intervient aussi dans la préparation de la suite de l’histoire dont l’anticipation passe par le face à face des protagonistes et l’insertion dialogale. Les retours narratifs à l’intrigue et les formules de présentation des répliques « Mais arrivé à destination elle est poursuivut par le chat qui l’attrape un peu plus loin », « la souris effrayé elle se met à supplier pour que le chat la laisse partir », « le chat répond » sont autant de moyens de gestion de la séquence narrative encadrante que de l’insertion dialogale. Contrairement aux apparences, nous soutenons qu’en lieu et place de deux insertions dialogales, le récit compte une seule séquence qui est incluse à la trame narrative, à la différence de l’exemple précédent où le dialogue est techniquement décalé. Le problème c’est que cette démarche rend obligatoire l’usage du discours attributif et des signaux démarcatifs de mise en texte du dialogue, notamment des guillemets. Or, on constate que cette seconde exigence fait cruellement défaut. De la même manière, on remarque des failles quant au respect des exigences techniques d’insertion lorsque la séquence dialogale pose des problèmes plus spécifiques. En illustre, cet exemple qui se singularise par ce que nous appelons une séquence polylogale.

Le passage dialogal est composé de 4 répliques parmi lesquelles, celle du personnage identifié par « mon oncle » a l’allure et les dimensions d’une tirade. Manifestement, chaque réplique est dite par un personnage particulier, ce qui laisse supposer 4 personnages. Qui est l’auteur de la première réplique ? Qui est derrière le contre-argument à l’origine du déclenchement de l’action de secours des populations ? Si l’idée de faire intervenir plusieurs personnages était intéressante, les imprécisions dans l’organisation de la séquence polylogale ont rendu la lecture du texte malaisée.

A l’image de la plupart des textes, les productions que nous avons analysées illustrent parfaitement la difficulté des élèves en 6C à articuler plusieurs discours dans un même texte, à conduire une intrigue d’actions traversée de pauses descriptives et / ou dialogales plus ou moins longues. Or, s’il est évident que le développement de compétences narratives par un enseignement-apprentissage systématique comme nous l’avons souvent soutenu, la maîtrise des dimensions les plus techniques ne peut que confirmer cette hypothèse. En la matière, nous avons pu constater que l’action didactique en 6C est marquée par de constantes ruptures du dialogue, du fait de l’insécurité cognitive des élèves, pas toujours préparés jouer leur rôle, et de la tendance à une démarche d’enseignement magistrale, axée plus sur les connaissances déclaratives que sur les pratiques réelles des élèves et dont sur la prise en charge de leurs difficultés.