2.1.2 Les performances des élèves en 6L par rapport aux opérations de construction et d’insertion de séquences encadrées

Les élèves de la 6ème L présentent les résultats les plus spectaculaires, d’abord par le caractère élevé et constant des séquences annotées, ensuite par les grands écarts de performance aux séquences semi-développées et développées entre les deux productions, traduisant en apparence, une évolution qualitative notable dans la maîtrise du principe de complexification et d’enrichissement du récit. Une seule occurrence suffisant, dans notre démarche, à valider une séquence fut-elle simplement annotée, on peut comprendre les performances dans ce domaine. Mais comment les choses fonctionnent-elles dans le détail ? Nous examinons successivement les insertions descriptives et dialogales.

Figure 18 : Représentation des indices de présence des trois formes de séquences descriptives dans les productions des élèves en 6L aux compositions des semestres 1 et 2 (35 copies X 2)
Figure 18 : Représentation des indices de présence des trois formes de séquences descriptives dans les productions des élèves en 6L aux compositions des semestres 1 et 2 (35 copies X 2)

Les 100 % de réussite pour les séquences annotées que l’on peut remarquer dans la figure 25 où sur 35 copies étudiées à chacune des compositions on recense 35 insertions signifient qu’au moins une mention descriptive est présente dans chacun des deux textes. Cependant, il faut dire que dans 14 récits de la première production, la seule mention présente est celle reprise de la consigne. Le phénomène s’est réduit à 3 cas dans les textes de la deuxième composition. Nous notons 2 exemples où il se réitère chez le même élève. En prêtant une plus grande attention au travail de l’un d’eux, on voit donc que l’unique mention descriptive qui se trouve dans le récit est portée par la caractérisation adjectivale déjà présente dans la consigne.

L’élève n’a pas jugé utile de développer ce qui a fonctionné, pour beaucoup d’autres, comme une ouverture, l’inscription d’un fragment de séquence sous forme de vide à remplir. Il est difficile, par ailleurs, de qualifier les énoncés du second texte comportant des prédicats d’être comme des mentions descriptives. Les expressions « maman était très inquiète », « nous étions très inquiets » ne peuvent intervenir qu’en phase d’ouverture ou de clôture pour, selon l’endroit, fonctionner comme instrument de thématisation ou de rethématisation (Adam, 2005 ; Reuter, 2000) d’une séquence descriptive. De toute manière leur incomplétude pour la bonne information du lecteur réduit considérablement leur portée. Voilà pourquoi la première occurrence est effectivement accompagnée d’une insertion dialogale justificative, tandis que la seconde apparaît dans la conclusion.

On comprend que certaines indications du texte procédural «une vilaine petite fille », « tout le monde est inquiet » ont pu servir de médiation à l’insertion, voire au développement de séquences descriptives. Toutefois, cette perception des attendus du contrat implicite est plus manifeste dans les productions de la première composition probablement en raison du caractère plus explicite de l’orientation descriptive et du besoin que ressent l’élève-auteur à donner un contenu plus précis à l’adjectif « vilaine ».

Dans les deux textes, la reprise-reformulation de la consigne est accompagnée de précisions supplémentaires allant d’une proposition à une « expansion » relativement complexe de la séquence. La différence de ces récits est dans le statut et les formes du descriptif. Autant il est « compacte » et plus ou moins structurée en E17-C1-6L, autant il s’étend et se disperse en E07-C1-6L, l’auteur opérant des retours récurrents sur les traits du personnage. Par contre, l’orientation demeure de peindre un caractère moral. On soulignera en passant le contraste que les deux textes établissent, explicitement dans le premier et implicitement dans le second, entre la beauté morale et la beauté physique. Pour cela, l’élève-auteur « joue » avec la double acception que peut avoir l’expression « vilaine petite fille ». Si « Roseline » perdit « sa belle chevelure au couleur d’ébène et se transforma en une fille très laide », c’est parce qu’elle a été punie de sa cruauté.

La transition est toute trouvée pour parler des résultats des élèves par rapport à la construction et à l’insertion de fragments descriptifs expansés. Quasi négligeables dans les récits de la première composition, les séquences descriptives plus ou moins structurées se retrouvent dans plus de la moitié des textes de la seconde composition, la progression variant de 40 à 51 points selon qu’il s’agit d’insertions semi-développées ou développées. Il est donc clair que le procédé d’enrichissement du récit par des pauses descriptives a fait l’objet d’un traitement particulier au cours des activités qui ont alimenté les interactions de classe. Et en effet, leur analyse a révélé que la question aura occupé une place importante et aura fait l’objet d’une ingénierie très variée. Dans les différentes stratégies imaginées par l’enseignante, on a pu constater le recours constant à des situations plaçant les élèves en position de produire des fragments (le plus souvent en récrivant des passages du texte-référent), de confronter leurs productions pour avancer. Cette variable de l’agir enseignant avec un aspect du style didactique marqué par une centration sur les apprenants (Altet, 1993) a donc produit des effets bénéfiques notables sur le développement de la sous-compétence descriptive. Car comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, si la sous-compétence d’élaboration et d’insertion d’une séquence encadrée peut se mesurer déjà au simple principe de sa présence dans le texte fictionnel, celle-ci traduisant alors une conscience, encore faible nous dira-t-on, du caractère compositionnel du récit, le niveau de maîtrise de la compétence narrative reste assujetti à des critères plus techniques et plus exigeants. On ne demandera pas à un élève le niveau de performance atteint par les auteurs-experts, et lorsqu’on convoque la même grille qui a servi à des textes littéraires pour analyser un texte scolaire, il faudra tenir compte du décalage. Pour autant, plusieurs récits de la deuxième composition (14 textes pour être précis) se caractérisent par des insertions descriptives plutôt réussies. Nous en présentons quelques exemples en insistant sur leurs caractéristiques. Le premier est un récit marqué par deux insertions descriptives à des moments différents, par deux descripteurs différents, aux finalités narratives différentes. Leur point commun est dans leur forme et leur mode de construction. En tenant compte des problèmes de ponctuation dont la conséquence se lit dans la surcharge du flux d’informations, nous pouvons considérer chacune des insertions comme un modèle de séquence semi-développée.

Le caractère fondamental est dans la présentation brève, à grand trait, d’un lieu, d’un personnage en mettant en relief certains aspects. Dans ce texte, la focalisation du visage du visiteur est l’occasion de souligner des points de détails qui malheureusement, ne permettent pas, sauf à un détail près, (les sourcils broussailleux), de confirmer l’impression générale : un grand homme robuste et effrayant. La séquence, qui se situe du point de vue du narrateur, n’en est pas moins efficace au regard du but qui est de présenter un nouveau personnage juste au moment de son entrée en scène et de communiquer au lecteur l’effet qu’il produit sur le celui qui regarde. Tant mieux si la description permet de suggérer dans l’esprit du lecteur une congruence entre le personnage et la situation. La seconde insertion a ceci d’intéressant qu’elle est présentée du point de vue du personnage-narrateur et s’inscrit dans un système d’énonciation très spécifique : le personnage-narrateur-assistant fait irruption dans le dialogue entre l’oncle (personnage-commanditaire) et le policier (personnage-enquêteur-exécutant) pour décrire Modou, le personnage disparu et objet de la demande d’intervention. Cette communication « privée » car primement destinée à l’usage du personnage-enquêteur sera le prétexte pour dresser un portait du personnage au cœur de l’intrigue. Mais la situation semble imposer, comme dans la séquence précédente, de sélectionner et de tracer quelques traits pertinents pour l’enquête. Au bout du compte, les deux séquences prennent l’allure d’une caricature du fait de l’empilement énumératif. Reconnaissons que ce qui pourrait ressembler ailleurs à une faible qualité technique des descriptions, n’entame en rien le schéma d’ensemble :

situation ↔ objet ↔ prétexte↔ pause ↔ représentation ↔ retour à la situation.

On pourrait douter que l’élève ait réellement conscience de tous ces phénomènes techniques et que son travail soit volontairement orienté dans ce sens. On peut tout de même souligner l’omniprésence de ce modèle tout au long de la séquence didactique, aussi bien dans les textes alimentant les activités, que dans les exemples fournis par les élèves durant leurs exercices. Maintes fois, le professeur s’arrête sur le sujet pour expliquer, illustrer, faire analyser et produire. Aussi, sommes-nous tenté de dire que l’organisation des séquences descriptives est symptomatique d’un souci de cohérence. Celui-là même qui est à la base du choix du plus grand nombre de placer une séquence descriptive au commencement de l’histoire, dans le but de montrer l’expression de l’inquiétude à travers le portrait d’un des membres de la famille du personnage dont la disparition donne le prétexte à l’action, ou au moment du dénouement pour préparer la justification de l’évènement-prétexte. Nous reproduisons ici deux extraits de textes pour donner une idée de la manière dont est construite la séquence descriptive, en particulier, l’attention prêtée aux détails dans l’optique de dramatiser dans le cas du premier exemple ou de justifier pour ce concerne le second. Là aussi, il se note un procédé de dramatisation renforcé par une construction où la séquence dialogale encadrée accueille en abyme la séquence descriptive. Dans cet enchevêtrement, le premier énoncé du dialogue sert de cadrage initial à la description, alors que la suite de la séquence dialogale est là pour justifier l’état dans lequel se trouve le personnage et expliquer les causes de l’évènement-prétexte.

Les performances des élèves dans les productions de la deuxième composition prouvent, disions-nous, qu’ils ont majoritairement acquis une certaine maîtrise de la construction et de l’insertion de séquences descriptives dans le récit. Ce qui ne veut nullement dire qu’ils sont à l’abri de dérive dont le moindre est la désirabilité. De fait, à vouloir répondre à la consigne et peut-être par la même occasion, séduire le professeur-correcteur, car l’élève n’oublie pas que derrière tout cela qu’il y a une note à conquérir, il arrive que le récit soit saturé par des insertions qui peuvent être techniquement correctes, mais logiquement inopportunes.

Les portraits du personnage principal, de la mère ; la description du jardin sont techniquement réussis, ce que le professeur sanctionne positivement par une appréciation encourageante. Cependant, un observateur attentif et non impliqué dans le contrat pédagogique est troublé par l’orientation finale du portrait de la mère ou la pertinence de la description du jardin. En effet, après la macro-opération de thématisation dans laquelle le thème titre « Maman » est annoncé dans un contexte qui signale un autre regard « Maman, toujours patiente, aimable, souriante, gentille, généreuse, de bonne humeur, était très inquiète », on était en droit de s’attendre à un processus d’aspectualisation permettant au portrait de refléter cet état. Il n’en a rien été. Pour « jolie » qu’elle soit, la description du jardin manque d’à propos, malgré un travail préparatoire, au point d’être trop décontextualisé.

Nombre de textes cités en exemple montrent la relation étroite entre les séquences encadrées. C’est dire que les élèves en 6L ont apporté, surtout dans leurs productions de fin d’année, le même soin dans le traitement des insertions descriptives que dialogales dont la figure 26 montre les performances réalisées par la classe. L’évolution des performances relatives à ces sous-compétences est à ce titre, sensiblement équivalente. Il faudrait juste indiquer que les résultats des insertions dialogales dans les premières productions justifient d’un déjà là que les interactions professeurs-élèves-textes ont approfondi, voire structuré.

Figure 19 : Représentation des indices de présence des trois formes de séquences dialogales dans les productions des élèves en 6L aux compositions des semestres 1 et 2 (35 copies X 2)
Figure 19 : Représentation des indices de présence des trois formes de séquences dialogales dans les productions des élèves en 6L aux compositions des semestres 1 et 2 (35 copies X 2)

Le dialogue est absent de 07 textes de la première composition, mais présent dans tous ceux de la seconde composition, même si c’est juste sous sa forme annotée. Dans la plupart des cas, on est passé de zéro à des insertions plurielles.

Les première et dernière insertions dialogales se comprennent, peut-être même s’imposaient-elles au regard de leurs fonctions dramatiques respectives. Par rapport à la structuration et à la planification de l’action, ces deux dialogues se substituent avantageusement aux étapes de la séquence narratives correspondant à la dynamique d’actions et au dénouement dont elles remplissent les fonctions textuelles. La troisième séquence dialogale pouvait être jointe à la première pour les mêmes raisons fonctionnelles. Cependant, non seulement elle est mal introduite, mais encore, en n’apportant rien à l’évolution de l’action, elle fait un doublon, produisant de la sorte un effet d’ennui pour le lecteur, surtout que le narrateur s’attarde sur des propos totalement anodins. C’est dire que la dramatisation du récit peut être obtenue par des insertions dialogales à la condition de respecter, au delà des critères de construction, les principes de cohérence et de pertinence.

On retiendra un remarquable effort d’enrichissement du récit et de variation des instruments parmi lesquels, les séquences dialogales. Certes, on recense 14 textes de la première composition, c'est-à-dire près de la moitié, dont les séquences dialogales ne respectent pas les conditions scolaires d’insertions (signalisation de la réplique ou du dialogue par des guillemets et des tirets) mais ce chiffre se réduit à 04 récits de la seconde composition où le manquement ne concerne qu’une règle.

Il faut donc voir dans le travail de construction et d’insertion de séquences encadrées fourni par les élèves pour enrichir leurs récits, y compris dans leurs maladresses, l’expression d’une volonté d’appliquer des conventions apprises dans le cours, quoique mal assimilées parfois. Les techniques enseignantes, plus fondamentalement, les modes d’organisation de la rencontre des apprenants avec ces objets spécifiques de savoir et leurs effets sur le développement de la sous-compétence narrative attestent qu’il existe « un style pédagogique » autrement dit, « un pôle de la transformation de l’information en savoir chez l’élève, par le bais de la relation et des actions vécues » (Altet, 1993, p : 90). Nous en déduisons que dans une relation d’enseignement, l’ingénierie didactique est certes tributaire des conditions d’exercice des actions qui imposent une culture didactique. Mais elles sont aussi tributaires du style de l’enseignant, de sa capacité à adapter le contexte. Les performances de la 6ème L s’expliquent largement par le mode d’organisation de l’interaction qui a permis aux élèves de s’investir dans les actions et de beaucoup manipuler les objets de savoir. On peut parler des fruits d’une pédagogie centrée les apprentissages des élèves.