2.2.1. Les performances des élèves en 6C par rapport à l’opération de configuration du récit

Les conclusions partielles que nous avons tirées relativement au principe de narrativité nous autorisent à dire qu’a priori, les élèves n’éprouvent pas, ou ont peu de difficulté, à adopter un point de vue, à le maintenir constant tout au long du récit. Cette capacité, faut-il le rappeler, repose sur l’articulation entre le choix d’une posture et d’une voix narrative et la gestion des pronoms anaphoriques. Par contre, les résultats obtenus dans l’organisation du système temporel et dans le marquage linguistique de la construction compositionnelle attestent de difficultés partielles de configuration du récit qui pourraient nuire à la lisibilité du texte.

Dans la pratique, il apparaît clairement que la manière dont le sujet est libellé, en imposant un positionnement a priori du narrateur, peut contribuer à poser un mode de focalisation (Genette, 1983 ; Rabatel, 1997). C’est du moins la lecture qu’on peut avoir du traitement du point de vue dans les productions des élèves. En effet, il n’est pas fortuit que les informations qui arrivent au lecteur le soient toujours immédiatement par l’intermédiaire du narrateur. La question trouve toute son importance lorsque le sujet, formulé de manière interpellative, est une invitation à relater une histoire personnelle, une expérience vécue ou supposée, en tout cas présentée comme tel. Cette perspective narrative aurait du se traduire par une référenciassion de l’information sous l’angle du personnage. On devrait alors se trouver devant des productions dont la gestion du flux d’informations s’opérerait du point de vue du personnage-narrateur. Le souci vient de ce que l’interpellation de la consigne peut induire un récit à la première personne, alors que la matérialisation textuelle de la perception ne serait pas forcément différente de celle qu’on retrouverait dans un récit où la consigne est impersonnalisée. En claire, lorsqu’on demande aux élèves, pour la première production, d’imaginer une histoire d’animaux en faisant parler les personnages, il est « naturel » que les récits soient majoritairement à la troisième personne. Il est tout aussi normal que les récits soient à la première personne dans les textes de la deuxième composition où les élèves sont conduits à raconter un évènement dont ils sont témoins et acteurs. A ce propos, le déictique « votre » a pu être lu comme une auto-implication dans l’histoire. Pour autant, le narrateur a constamment une position de témoin dans les textes des élèves et, nonobstant les emplois des troisièmes et premières personnes, rien ne différencie les modes de focalisation. Dans les exemples suivants, l’élève ne prend pas en compte l’interpellation du texte procédural qui fixe les conditions de la seconde production. En l’absence de toute trace de la présence textuelle du personnage-narrateur, les deux récits apparaissent sous le signe d’une focalisation zéro

Au bout du compte, nous assistons à une sorte de confusion de point de vue où la stratégie du regard anonyme vient se substituer à celle du « je » personnage narrateur par un glissement incontrôlé.

Ce n’est pas un problème de cohérence, encore moins de logique qui est posé dans ces exemples, caractéristiques par ailleurs de la majorité des textes des élèves, mais tout simplement d’ancrage et, d’une certaine manière, d’habituation. On parlera plutôt d’incohérence dans des comme ceux illustrés par l’exemple ci-après, marqué par un manque de cohésion dans la gestion des pronoms anaphoriques.

La confusion des pronoms de reprise se situe à un double niveau. D’abord au plan séquentiel, dans le discours d’attribution accompagnant les séquences dialogales. Ensuite, au plan supra-textuel dans le discours explicatif de mise en cohérence et de prise en charge du lecteur. C’est ce niveau qui nous intéresse lorsque l’emploi des pronoms ne permet pas de distinguer le pronom personnel « il(s) » effectivement référencié et « on » faussement neutre, des pronoms neutres « il » ou « on ».

Les problèmes soulevés dans la gestion du point de vue narratif restent tout de même assez marginaux pour affecter profondément les performances des élèves. Toutefois, les gains réalisés en termes de cohérence textuelle grâce à un effort de linéarisation extérieure et une gestion relativement correcte du point de vue sont sérieusement entamés par des difficultés de mise en place d’un système temporel adéquat. Elles rendent difficile le travail d’exploitation, qui, pour cette raison, ne peut être exhaustif. Aussi nous contentons-nous d’évoquer les trois phénomènes qui nous semblent caractéristiques de ces productions parce que les plus récurrents. C’est en premier lieu, l’affectation des temps en fonctions des macro-unités du texte. On admet qu’en théorie, la distribution des temps dans le récit de fiction relève du pouvoir de l’auteur, et que s’il fallait retenir une loi, ce serait uniquement le principe de leur mélange intime. Il demeure cependant que cette liberté semble

‘«limitée par certaines structures narratives fondamentales. Au début d’une histoire, on ne peut se passer totalement d’une exposition, aussi le récit a-t-il normalement une introduction où le temps est le plus souvent de l’arrière-plan. De plus, dans de nombreux récits, la fin est explicitement marquée par une conclusion, et elle aussi a un penchant pour le temps de l’arrière-plan. […]. Dans le noyau narratif, ceux-ci sont destinés aux circonstances secondaires, aux descriptions, réflexions, et à tout ce que l’auteur désire repousser à l’arrière-plan » (Weinrich, 1973 p :115). ’

Malgré l’impact de la non maîtrise des formes modales, aspectuelles et temporelles et de leur condition d’emploi sur les contre-performances relevées dans les productions, on remarque les traces de cette construction canonique dans la presque totalité des productions.

Le présent de l’indicatif, temps le plus usité, a tantôt une fonction de narration, tantôt une fonction de commentaire. Certes, le travail paraît bien trop intuitif, encore trop près des connaissances naïves pour qu’on puisse parler d’acquisition. Ce qui se manifeste, ce sont des « aptitudes » embryonnaires et confuses, largement imputables à un déjà là que les médiations textuelle et enseignantes contribuent à affermir.

La seconde remarque qu’on pourrait faire renvoie au processus de neutralisation du passé (Ricœur, 1985), évidemment parce que le je-narrateur s’associe directement aux événements en s’impliquant en qualité d’acteur ou d’observateur privilégié, mais surtout parce qu’il choisit de les raconter en les commentant

La surreprésentation des temps commentatifs (présent et passé composé) crée un rapprochement des mondes raconté et commenté assez typique des textes fictionnels scolaires.

Notre dernière remarque porte l’absence constante de décrochage entre premier plan et arrière-plan et qui est suspensive des attentes du lecteur.

On retiendra donc de la compétence de mise en cohérence du récit chez les élèves de la 6ème C, au delà d’une insécurité cognitive d’ordre grammaticale et syntaxique, par ailleurs largement partagé par les autres classes, des formes d’altérations dictées par une faible maîtrise des transitions lexicales et syntaxiques.