2.2.2. Les performances des élèves en 6L par rapport à l’opération de configuration du récit

Les élèves doivent produire un conte dans la première composition et raconter, dans la seconde, une scène marquée par l’inquiétude qui s’empare de la famille, soucieuse du retard inhabituel d’un de ses membres. Les libellés ne laissent explicitement de possibilité qu’à un point de vue du narrateur, totalement externe dans le premier cas, témoin concerné dans le second récit, mais probablement en léger retrait pour les besoins de l’observation. Les textes produits par les élèves s’inscrivent globalement dans ces deux perspectives, ce qui nous fait dire qu’ils ont une lecture juste des consignes, à laquelle s’ajoute un emploi régulier des pronoms de reprise.

On peut toutefois relever des problèmes, non de cohérence, mais bien de logique du récit. Deux exemples retiennent notre attention. Dans le premier le personnage-narrateur est à la fois le témoin de la scène de l’attente de la famille et de la mésaventure du membre retardataire.

Dans le second exemple, le personnage-narrateur est la victime qui raconte sa mésaventure, dans le même temps qu’il veut être le témoin de la scène d’inquiétude des autres membres de sa famille.

Comme on peut le constater, ces problèmes de logique ne concernent que des productions de la deuxième composition. Ils mettent en exergue les difficultés de gestion de l’ancrage du point de vue lorsque le texte à produire est soumis à une injonction procédurale pré-définissant la posture du personnage-narrateur du récit. Cette situation peut sembler paradoxale quand on sait que c’est là une « commande » classique du contrat de production du récit de fiction scolaire. L’explication ne peut alors venir que des expériences didactico-lecturales et culturelles des élèves. La majorité des textes qu’ils rencontrent dans les activités de lectures, qu’elles soient organisées en classe sous la conduite du maître, ou personnelles, les récits qu’ils ont l’habitude d’écouter se caractérisent par une gestion du flux informationnel du point de vue du narrateur. Ce sont des récits à la troisième personne du singulier marqué par un point de vue externe, voire une focalisation au degré zéro. On comprend dès lors la difficulté à se décentrer, à construire un système narratif dans lequel le « je » s’implique à la fois au niveau thématique de l’action et modale de la narration.

Pour ce qui est du système temporel, il reste dominé par les mêmes problèmes d’insécurité identifiés en 6C, avec des erreurs de syntaxe liées à l’emploi des modes et temps verbaux.

Les répercussions de cette insécurité cognitive se lisent à tous les compartiments du texte, jusqu’à l’affectation des temps en relation avec les types de séquences. Et lorsqu’on y ajoute l’absence d’outils de marquage des transitions, d’aménagement des insertions descriptives et dialogales, c’est la lecture du texte qui devient tout simplement impossible.

Il demeure cependant que les principes de recours aux temps du monde raconté et leur alternance semblent acquis, mais la pratique est souvent altérée par les « fautes » de distribution et d’organisation de cette alternance. L’anarchie qui fait intervenir un temps commentatif là où la logique imposait un temps narratif et inversement, ou un temps d’arrière plan à la place d’un temps de premier plan crée un sentiment d’ambigüité. Comme on le sait, les transitions ou passages d’un temps à l’autre à l’image des passages de l’imparfait et du passé simple sont une loi fondamentale au récit. Aussi, ne sauraient-elles s’opérer « anarchiquement, ou selon la loi du hasard. Au contraire, les transitions sont soumises à des probabilités liées aux dimensions du système temporel […] » (Weinrich, p110). En restant avec le jeu des passages de l’imparfait au passé simple ainsi qu’il apparaît dans les deux textes de cet élève, on peut se rendre compte de ce modèle de construction canonique qui permet de mesurer les fonctions d’organisation et de structuration textuelle du système temporel, avec au passage, une nette amélioration de la qualité du premier au deuxième récit.

Ces fonctions se font remarquer à trois paliers.

Tableau 23 : Analyse des 2 productions d’E02- 6 L par rapport aux fonctions d’organisation et de structuration textuelle du système temporel
Textes
Fonct. Alt. Imp-P.S / paliers

Texte 1

Texte 2





Macro-organisation du texte
Aider le lecteur à s’orienter (qui, où, quand quoi) « Il était une fois une vilaine petite fille qui vivait chez sa grand-mère à Oussouye » « Un jour, ma sœur n’est pas rentrée à l’heure du déjeuner. Alors mes parents s’inquiétaient »
Amener le lecteur à conjecturer sur la survenue des événements « La petite fille fit voir à sa grand-mère de toutes les couleurs » « Affolée, elle eut une crise de tension mais continua de parler »

Tirer la morale de l’histoire

« Depuis ce jour, toutes les filles du village étaient sages »
« C’est depuis ce jour que si quelqu’un de notre famille est envoyé par mon oncle, il ne part pas »
Les statuts textuels et rôles communicatifs spécifiques aux parties introductives et conclusives de récit sont alors mieux marqués, en sachant que la contextualisation correspondant à l’exposition, a une double fonction de présentation du monde qui va être raconté et de préparation du lecteur à pénétrer dans cet univers étranger, alors que la conclusion referme le monde raconté et ouvre vers la morale, espace par excellence du monde commenté.












Organisation méso




Assurer l’organisation chronologique de l’action
« Il était une fois…qui vivait….
« Il y a deux jours de cela…elle a volé un coq, enleva
« Au bout d’un mois, … prit une décision »
« Le matin venu, … allèrent dans les bois »
« Aline p assa des heures … une semaine. Alors elle se décida à rentrer »
Depuis ce joursétaient




« Un jour…n’est pas rentrée... »
« Soudain, on sonna à la porte »
« Depuis ce jour...ne part »


Assurer la configuration des composantes séquentielles par l’alternance récurrente entre premier plan et arrière plan



« Elle convoqua  … pour leur demander »
« Sa grand-mère lui dit »
« Ma mère s’inquiétait et même ne cessait de dire »
« Ma grand-mère…avait peur, tellement qu’elle se mit à crier…
« C’était elle….
« Ma mère comprit et alla réveiller mon oncle …: »
La structuration et la planification de l’action sont rendues plus perceptibles par l’effet conjugué des outils linguistiques de transition et de l’alternance temporelle qu’implique leur présence, notamment, les permutations imparfait/passé simple. En considérant que les fonctions narratives de l’imparfait et du passé simple (Weinrich, 1973), on comprendra que ces changements de temps contribuent, aux côtés des outils paradiscursifs (les guillemets et les tirets pour l’insertion des séquences dialogales) et du discours d’accompagnement (pour l’insertion toute séquence encadrée), à signaler, puis à mettre en texte les séquences encadrées dans la trame narrative. Classiquement, ces insertions sont introduites par le passée simple. Toutefois, le schéma d’alternance passé simple/imparfait fonctionne plus systématiquement dans la relation séquence narrative/séquence descriptive. S’agissant du cas du dialogue dans le récit : Weinrich rappelle que son insertion entraine généralement des transitions temporelles hétérogènes, dirigées du groupe des temps narratifs vers le groupe des temps commentatifs.




micro organisation du récit


Corréler les informations tout en marquant leur statut : circonstances, faits, évènements essentiels/ circonstances, faits et évènements, états secondaires
« Sa grand-mère prit une décision. Elle voulait amener Aline… »
« Elles marchèrent … La petite fille se plaignait, criait, pleurer et dont sa grand-mère ne lui accordait aucune importance »
«En allant sa grand-mère avait laissé des pas, elle suivit ses pas jusqu’à rentrer à la maison »





« Soudain on sonna à la porte. C’était elle. »
Les circonstances, faits, évènements essentiels sont exprimés par des verbes au passé simple. Ils portent trace de l’intrigue. Le statut secondaire de certains circonstances, faits et évènements, états est traduit par leur évocation avec des verbes à l’imparfait à travers des insertions informatives, explicatives à valeur de justification, de préparation ou de confirmation. L’imparfait serait dès lors l’outil par excellence des interventions narratives, explicatives, informatives, réflexives destinées au cadrage de l’action et à la prise en charge du lecteur.

Un des enseignements qu’on peut tirer de cette approche, c’est de permettre de prendre la mesure du travail des élèves dans les deux cas où le texte à produire tente de rapprocher du récit de fiction tel que canonisé par l’institution littéraire ou s’ancre dans la tradition du récit de fiction tel qu’il s’est institué dans le milieu scolaire. Le souci de se conformer à des normes partagées et aux valeurs qu’il prête à l’enseignant peut être à la base de l’effort de construction que déploie l’élève dans sa seconde production. Mais l’interpellation le place dans la posture de quelqu’un qui revient sur un évènement déjà vécu. Ce faisant, il est d’avantage porté à commenter les faits qu’à reconstituer et à relater l’action. C’est pourquoi, nonobstant la présence massive de séquences destinées à enrichir le récit, celui-ci reste globalement dans le domaine du monde commenté conséquemment à la surreprésentation des temps « spécialisés ». En revanche, la place nodale du passé simple et de l’imparfait fait que le premier texte présente, de toute évidence, une narration modale dont on pourrait dire qu’il est d’une certaine manière, typique du récit littéraire.

Un autre enseignement renvoie à la gestion différenciée du temps du récit et du temps de l’action qui dépendrait du genre textuel inscrit dans le projet de production. A priori, rien ne s’oppose à ce que ces deux modalités puissent coïncider dans un texte. Le cas échéant, il s’agit le plus souvent de texte à discours performatif. Par contre, l’asynchronisme serait plutôt de règle dans le discours narratif. Il est constant en effet, que dans les récits les plus communs et les plus canoniques, le temps de l’action précède ou se situe après le temps du texte. 74, 28 % des textes des élèves, aussi bien à la première qu’à la deuxième composition, s’inscrivent rigoureusement dans ce schéma. Qu’en est-il du cas des 25, 72 % ? Là, la répartition emprunte l’un des schémas suivants.