2.2.4 Les performances des élèves en 4L par rapport à l’opération de configuration du récit

Les problèmes de gestion de la connexité rencontrés dans les productions des élèves des classes précédentes, y compris ceux du même niveau au collège, et qui peuvent aller jusqu’à altérer la lisibilité du texte sont moins fréquents dans les récits en 4ème L. Simplement, il faut dire que dans 3 textes de la seconde composition, la cohérence du récit est mise à rude épreuve par la surcharge de l’extraordinaire (entre le merveilleux et le fantastique) sans que soient aménagés des espaces d’intervention du narrateur, sous forme de séquences explicatives, pour accompagner la narration des évènements, assurer la logique du système et prendre en charge le lecteur. Nous avons évoqué ces cas de figure dans l’analyse de l’opération de structuration et de planification de l’action, liée à la sous-compétence de construction et de conduite de l’action, en nous interrogeant sur l’effet de la représentation élèves du fantastique sur leur production. A ce stade de notre analyse, nous pouvons dire, nous fondant sur l’évaluation des opérations de textualisation, qu’on ne peut juger de la compréhension par l’élève des exigences du récit fantastique, dont le jeu repose dans la rencontre organisée et soutenue par les principes de logique, de cohérence et de vraisemblance, du réel et de l’imaginaire (Todorov, T, 1976), que lorsque les outils de configuration sont bien présents dans le récit dont ils et garantissent la rationalité. Ce sont ces fonctionnalités qui manquent aux 03 productions.

Ce n’est pas seulement l’interruption brutale de l’intrigue (on ne voit ni dénouement, ni situation finale et rien ne permet de soutenir qu’il y a un suspens), qui est déroutante. Mais aussi la brusque intrusion du surnaturel associée à la disparation inexpliquée des autres personnages est des plus déconcertante. Les problèmes de logique narrative que posent ces récits et l’indisposition dans laquelle ce déficit place le lecteur donnent l’occasion de souligner le rôle important que jouent les séquences explicatives et tous les instruments syntaxiques, lexicaux de mobilisation de l’information et d’organisation de sa circulation dans le texte. Sa lisibilité dépend en grande partie de ces outils de mise en cohérence du récit et de prise en charge du lecteur. A l’exception des trois cas que nous avons évoqués, les performances montrent que les élèves ont largement intégré cette dimension dès leur première production déjà, la qualité de la seconde relevant d’un processus d’approfondissement.

La mise en regard des deux récits permet de voir les évolutions dans la maîtrise des règles de textualisation de la première à la seconde production. Plusieurs indices font d’E15-C1 un modèle du récit de fiction scolaire. Le plus évident reste le recours massif au présent de l’indicatif qui apparaît tantôt dans ses fonctions de narration, tantôt dans son rôle d’actualisation du procès. Nous avons montré que la prédominance des temps commentatifs avait comme conséquence de donner au récit l’allure d’un compte rendu marqué par un retour réflexif sur des évènements vécus. Disons tout de suite que cet exemple reste isolé, le traitement du système temporel à travers les productions des élèves aux deux compositions étant globalement correct. En revanche, il est indicatif de l’homogénéité des transitions syntaxiques, ce qui signifie un faible niveau de mobilisation et de circulation de l’information (Weinrich, 1973). Dans l’exemple qui nous intéresse, les outils de transition se limitent à quelques expressions qu’on peut regrouper en deux ensembles fonctionnels. Le premier groupe, composé des expressions « dès l’aube », « quand soudain », marquent les passages de la situation initiale au nœud de l’intrigue. Elles contribuent à la contextualisation de l’action. Le second ensemble, constitué de « A peine », « A un moment donné », « Une heure passe, une heure qui semble durer éternellement lorsque tout à coup… », favorise la focalisation sur l’évènement principal, en même temps qu’il le fixe comme seule et unique action. Les statiques de la classe révèlent que tous les textes de la première composition sont conçus sur ce modèle, tandis qu’il ne se retrouve que dans 8 récits de la seconde production. Ce qui sous-entend que dans plus de la moitié desdits textes, les transitions sont assez variées traduisant de la sorte des constructions relativement complexes. Si on revient à l’exemple ci-dessus, on peut constater que non seulement l’alternance temporelle est de règle, mais que surtout, elle est centrée sur le passé simple et l’imparfait. Ce dispositif signe l’avènement et l’agencement de plusieurs évènements d’inégal statut et l’insertion de nouvelles composantes textuelles à l’image des séquences dialogales, descriptives, explicatives. Il est à noter que c’est par ces éléments que l’élève-auteur parvient à assurer la logique de son récit. En effet, il réussit à « convaincre » son lecteur de la vraisemblance de son récit par différentes méthodes. Il s’agit de l’adoption d’une posture narrative qui lui permet de lire dans les pensées du personnage, d’où les monologues intérieurs et de rendre compte de ses interrogations, des ses doutes et de ses délibérations : « Elle essayait de comprendre pourquoi ce squelette n’était pas dans sa tombe ? Pourquoi cette maison est si sinistre ? Pourquoi avait-elle atterri ici ? Comment allait-elle sortir de ce lieu ». La technique consiste en outre à faire converger les objets des séquences descriptives, c'est-à-dire les traits physiques du personnage « une jeune femme belle », leurs changements « La femme resta ébahie » avec ses sentiments « les jambes engourdies par la peur » et son état psychologique du moment « Bonté divine que m’arrive-t-il ; serais-je folle ? ». Enfin, il y a la corrélation du tout à l’atmosphère et aux évènements « Elle vit dans la cheminée, des buches qui s’envolaient et attisaient le feu… et la marmite dévers son contenu ».  Selon Todorov, le fantastique ne serait présent que dans l’hésitation entre l'acceptation du surnaturel en tant que tel et une tentative d’explication rationnelle. En cela, il se situerait entre les genres du merveilleux où le surnaturel est accepté et justifié par le cadre imaginaire et irréaliste, et de l’étrange, dans lequel les faits, apparemment surnaturels, sont expliqués et acceptés comme normaux. Un tel récit ne peut se concevoir sans une place, voire un statut spécifique du discours d’accompagnement. Sans ces incursions à valeur d’explication, d’orientation et de justification logique, le lecteur serait contraint à un travail de reconstruction quasi supérieur à celui de la construction, ce qui est paradoxal rapporté à l’enjeu de persuasion. Le rapport au lecteur prend d’ailleurs les formes d’un dialogue indirect « L’homme ou devrai-je dire le mort, ou le revenant arriva », voire direct (même s’il peut être malhabile) « Mon histoire se résume ainsi. Les morts sont-ils réellement morts ? A vous de juger de la question ». Il faut savoir que la visée demeure, en informant le lecteur, de chercher à conduire sa réception. Quand on sait que plus de la majorité des textes de la seconde composition sont ainsi élaborés, on peut en déduire que les élèves de la classe ont incontestablement assimilé les règles du jeu. Là comme dans les autres opérations concourant à l’expression de compétences narratives, on constate les effets conjugués de savoirs et savoir-faire antérieurs relatifs au récit de fictions et largement issus de leurs expériences didactiques, et des connaissances nouvelles acquises dans le cadre du déroulement de la séquence didactique. A ce sujet, il faut dire que si dans le principe, rien n’est vraiment nouveau à des élèves du niveau de la quatrième concernant les caractéristiques du récit en général, et que la classe « avait de bonnes bases » selon les mots de l’enseignant, celui-ci renseigne que les aspects spécifiques liés au genre du récit fantastique leur étaient totalement étranger. Leur premier contact en classe avec ce type de texte et à l’intérieur d’une relation didactique venait donc de s’opérer. Or, ainsi que nous l’avons précisé, les dernières séances ont été toutes entières consacrées à un travail systématique sur le genre à travers des activités de lecture, de préparation à la production écrite, de recherche et de caractérisation. Elles ont ainsi donné l’occasion au professeur et aux élèves de s’adonner à des exercices collaboratifs de définition des critères du récit fantastique, d’identification et d’explication de leur fonctionnement dans des textes, de production et d’évaluation de textes à l’aune de ces critères. A cela s’ajoute le choix de textes-modèles typiques. La concentration des activités, des textes, et du temps didactique, la proximité entre la dernière séance et l’évaluation des connaissances des élèves par une consigne de production d’un récit fantastique, l’incitation explicite de cette dernière médiation à s’inspirer de Théophile Gautier sont autant de facteurs qui entrent en ligne de compte dans l’interprétation des performances des élèves dans leurs productions du second semestre.

En analysant l’opération de configuration du point de vue de la construction logique du récit, nous avons voulu aborder l’un des principaux moyens dont dispose l’élève-auteur principalement pour assurer la lisibilité de son texte et accessoirement, pour séduire le lecteur. Elle repose sur la maîtrise d’au moins trois instruments. De ceux-ci, les outils linguistiques de transition, surtout les outils lexicaux communément appelés connecteurs logiques, restent les plus apparents. En la matière, le lexique temporel de transition vient largement devant tout autre moyen linguistique dans le texte fictionnel scolaire. Il est alors suivi par ordre de récurrence, par les outils spatiaux de transition. De sorte que les usages se résument, à peu de choses près, à ces quelques expressions « un jour », « soudain », « plus tard », « depuis », pour les transitions chronologiques, « à gauche », « à droite », « en haut » , « en bas » » pour les transitions spatiales accompagnées quasiment des mêmes formules introductrices : je / il / on/ + le verbe voir et/ou un de ses dérivés conjugué au présent, passé simple ou imparfait de l’indicatif. Ce schéma induit ce que nous appelons une organisation textuelle de base. Elle est bâtie, au plan de l’intrigue, sur la succession chronologique des évènements, et au plan de la mise en texte des composantes séquentielles descriptives et dialogales, exclusivement sur le mode du vu et du dit. Ce schéma de base nous fait dire que les productions des élèves sont génériquement significatives de ce que Weinrich appelle les transitions syntaxiques homogènes. Le regard successif et légèrement croisé de temps en temps que nous avons porté sur des productions d’élèves de niveaux, d’origines, d’établissements et de classes différents à montré l’intérêt de cet approche. Ainsi, nous avons établi que l’organisation textuelle de base pouvait être une unité de mesure de compétences primaires, de discrimination des niveaux, enfin, de qualification du degré de maîtrise des compétences narratives. Pour cela, nous somme arrivé à la quatrième conclusion partielle après celles tirées respectivement du déjà là, des médiations textuelles et enseignantes, que les transitions homogène avaient une fonction puissante de textualisation. La règle, comme le soutient Weinrich, c’est de considérer qu’un maximum de transition homogène, correspond un maximum de textualité. Mais l’auteur fait remarquer que même si cet aspect est important pour la constitution du texte comme tel, étant donné que c’est à partir de lui seulement qu’il devient possible de s’interroger sur le sens du texte, la conséquence c’est qu’il conduit à produire des textes d’une grande pauvreté informationnelle. De là, la thèse selon laquelle, plus « la textualité d’un texte s’affirme, moins il livre d’informations, et vice versa. » p : 205. C’est pourquoi, nous avons cherché à apprécier la qualité des récits en relation avec la variété des outils linguistiques de transition et de prise en charge du lecteur. Les textes-référents étant strictement les mêmes par niveau de classe, il nous a semblé que les connaissances préalables des élèves, les modalités d’organisation de leur rencontre avec le savoir et les formes de l’ingénierie didactique mise en place par l’enseignant pour favoriser leur investissement sont à l’origine des différences de performances. Toutefois, le problème de la distribution du temps du texte et du temps de l’action par rapport à la partition temps commentatifs/temps narratifs est commun à tous les élèves. Il est marqué par la prédominance d’un groupe sur un autre selon le type de texte référé, cependant que la fonctionnalité de chaque groupe a des répercussions sur l’orientation du texte. Ainsi, un texte narratif dominé par les temps commentatifs a l’allure d’une fiction commentée. Or les productions laissent voir que plus l’histoire est personnelle, ou si l’on préfère, plus le personnage-narrateur est placé au centre de l’action, des évènements, des faits, de la situation évoquée, plus sont récit est dominé par les temps commentatifs et donc plus il se présente sous la forme d’un commentaire évènementiel. En revanche, plus la consigne du texte procédural est impersonnel, plus le récit dominé par des temps narratifs avec très souvent une alternance temporelle imparfait/passé simple relativement correcte. Il y aurait donc une corrélation forte entre la posture narrative (point de vue et voix narrative) et le système temporel.