Synthèse de l’analyse des productions écrites des élèves

Les derniers éléments d’interprétation des performances narratives des élèves confirment notre thèse selon laquelle les indices de maîtrise des compétences rédactionnelles du texte fictionnel décroissent à mesure que croissent les critères de qualité. En somme, plus les exigences de construction du récit sont techniquement élevées, plus les taux de réussite baissent. Cependant, il faut convenir que cette vision n’est valable que lorsqu’on considère les résultats sur l’ensemble des 4 classes et aux deux compositions. Ce qui signifie que derrière ce tableau général se cachent des disparités entre les niveaux et entre les classes dont l’explication tient de trois phénomènes : la culture éducative et notamment la culture éducative scolaire des élèves, les médiations textuelles, les modalités de leur mise en contact avec les savoirs narratifs, nous voulons parler des médiations enseignantes.

Certes nous n’ignorons pas la fragilité des tentatives de mise en rapport des processus d’enseignement et des processus d’apprentissage dans tous les domaines y compris dans une action didactique tournée vers le développement de compétences lecturales et rédactionnelles. A ce titre, nous admettons que l’analyse des phénomènes d’appropriation en classe de langue demande que soient résolues les questions relatives à la connaissance des évènements de la classe et en dehors de celle-ci qui entourent les actions, des styles pédagogique et de leur influence sur la construction du savoir, du comportement d’apprentissage des élèves. En sachant que malgré toutes ces précautions «on risque fort d’avoir le plus grand mal à déterminer les éléments qui, dans le dispositif instructionnel, sont déterminants et favorisent effectivement l’apprentissage. » (Cicurel, 2005). Mais comme on le sait, l’enjeu ne peut se résumer à la recherche d’indices de connaissances qu’on pourrait mettre directement sur le compte des pratiques d’enseignement. Le principe serait plutôt de constituer un faisceau d’indicateurs de performance ou de contre-performances en partant du contexte, de l’origine socioculturelle des élèves, de leurs rapports aux objets de savoir. Cette perspective ouvre alors la possibilité de postuler que la manière dont se déroule la co-action entre le professeur et les élèves constitue le facteur décisif de l’efficacité de l’enseignement (Garcia-Debanc, 2008, p : 3). En application de ce principe, nous avons choisi un faisceau composé des sous-compétences d’organisation et de structuration de la séquence narrative encadrante, d’enrichissement du récit par la construction et l’insertion de séquences descriptives et dialogales encadrées, enfin par la configuration-textualisation du récit.

Que peut-on retenir des résultats concernant la sous-compétence de configuration et de prise en charge du lecteur ? L’une des plus grandes difficultés des élèves, quels que soient la classe et le niveau, c’est de se mettre dans une perspective de communication (Weinrich, 1973), de penser leur récit en inscrivant le programme narratif dans une interaction avec un lecteur pourtant à la fois virtuellement et réellement présent. Il est réellement présent parce qu’au moment de s’engager dans le contrat de production, l’élève-scripteur sait qu’à l’autre bout de la chaine, il y a l’enseignant qui a la fonction d’évaluation. Le souci c’est de ne pas tenir compte du fait que cet « interlocuteur » réel est d’abord le lecteur virtuel, celui qui justifie que le texte soit présenté d’abord comme un message destiné à un récepteur. Que l’interlocuteur soit institutionnellement identifié et qu’il soit l’évaluateur ne fait donc que renforcer son statut de lecteur-interprète. C’est une raison supplémentaire pour que l’élève-émetteur fasse de sorte que sa production, nous devrions dire son message pour rester dans l’esprit de Weinrich, soit interprété de la manière la plus favorable à ses intérêts. Or ceci n’est possible que lorsqu’il est « lisible », que lorsqu’il a suffisamment pris en compte les réactions de son lecteur.

‘« La différence à ce propos entre l’écrit et l’oral consiste dans le fait que, lors de l’interaction oral, le locuteur peut suivre moment par moment les réactions de ses interlocuteurs, et modifier en conséquence un message qui ne demande donc pas être planifié à l’avance. A l’écrit par contre, l’interaction se produit plus qu’entre le discours et le lecteur. Le scripteur doit anticiper, une fois pour toutes, l’ensemble des difficultés, les désaccords ou « fautes d’interprétation du lecteur afin de les désamorcer autant que faire se peu » (Bouchard, 1989). ’

Nous avons remarqué que cette préoccupation est quasi absente des productions des élèves en 6ème, qu’elle est faiblement perceptible dans celles des premières compositions des élèves de 4ème. En revanche, elle est plus ou moins constante dans les récits de la seconde composition au niveau de la 4ème. Un regard sur ce qui s’est passé dans les interactions en classe nous fait constater que si les outils de textualisation (le point de vue narratif et le système temporel) ont souvent fait l’objet d’un travail systématique dans les interactions en classe, d’où les performances très élevées notamment en 6L, 4C et 4L, voire la qualité exceptionnelle de certaines copies en 4C et 4L, il n’en a pas été de même des procédés de prise en charge du lecteur dans toutes les classes. En fait, cet aspect de la textualisation n’est pas apparu une seule fois dans le traitement du récit en 6C et nous n’avons remarqué que deux ou trois occurrences dans les séances en 6L avec une concentration ne dépassant guère 2mn. Le silence des deux enseignantes sur la question se justifie principalement par le caractère assez relevé du sujet vu le niveau des élèves. Le professeur en 6L ne manque d’ailleurs pas d’attirer l’attention des élèves sur le fait qu’il s’agit là d’une capacité qui leur sera exigée à un nouveau supérieur. Par contre, le sujet est régulièrement revenu dans les relations en 4C et 4L et est étroitement lié au récit fantastique. En fait, l’exploitation des textes-modèles référents des activités scolaires et les critères conventionnels dégagés pour servir de grille en lecture-écriture de ce genre de récit ont été l’occasion d’insister sur cet aspect. Aussi peut-on penser que les médiations textuelles et enseignantes auront servi à « installer » ce savoir. A notre sens, l’indexation des irruptions explicatives du narrateur comme une caractéristique fondamentale du discours dans le genre fantastique justifie son usage, jusqu’à la caricature, dans les textes des élèves conviés à produire un récit fantastique à l’exemple de l’un des auteurs étudiés. Toutefois, il y a lieu de se demander s’ils ne risquent pas de retenir cette technique uniquement comme une règle du genre fantastique et de ne l’employer que pour un tel projet d’écriture. Nous soulevons, sans la discuter, la problématique de la transposition d’un savoir par contextualisation.

Un autre indicateur de performance a été de nous intéresser à la sous-compétence d’enrichissement du récit. Face à la multiplicité des instruments linguistiques jouant cette fonction, nous avons choisi de nous focaliser sur les insertions descriptives et dialogales, qui quoique techniquement exigeantes, sont presque incontournables. Nous avons alors différencié ce que nous appelons l’intériorisation du principe du discours descriptif ou dialogal qui se limite aux immanquables mentions annotées (un groupe ou proposition adjectival, un acte de parole rapporté au style direct ou indirect), de la compétence de construction et d’insertion de description ou de dialogue dans le récit. Celle-ci tient d’abord de l’existence de séquences expansées, mais nous sommes allé plus loin en modélisant cette dernière en séquence semi-développée et développée. Là aussi, il faut préciser que ce sont des savoirs narratifs qui relèvent des connaissances premières ou intuitives des élèves, qui sont régulièrement transposé dans la relation didactique, et qui occupent une place importante dans les contenus enseignés tout au long de la séquence. On devrait donc s’attendre à de grandes performances si les processus d’enseignement devaient produire automatiquement et spontanément des effets sur les apprentissages. Malheureusement, tel n’est pas le cas. Aussi, estimons-nous que la différence extrêmement importante des taux de réussite par classe et par niveau mérite de considérer les stratégies enseignantes au cours de l’action didactique. Pour mieux faire apparaître les variétés de situations, nous revenons à nos statistiques en faisant la synthèse des résultats par classe dans laquelle nous montrons, pour ces deux sous-catégories d’expansion, le nombre d’unités présentes dans un texte et le nombre de copies d’élèves où on retrouve ce nombre. Les indicateurs vont de 0 à 3 unités et plus. Nous présentons dans deux tableaux successifs la répartition des séquences descriptives et dialogales entre les deux compositions. Ce système permet de mesurer les progressions des performances dans chaque classe entre la première et la deuxième production, de voir les dimensions où les évolutions sont plus significative et surtout de comparer les résultats par classe et par niveau.

Tableau 24 : Nombre de séquences descriptives semi développées et développées dans les copies sélectionnées des deux compositions de fin de semestre de chaque classe. C1 : composition du premier semestre, C2 du deuxième. Le nombre de séquences descriptives est 0, 1, 2, 3 et plus de trois (3+). La valeur de progression correspond à la différence entre la somme des séquences insérées dans les productions de la composition du 2ème semestre et la somme de celles insérées les productions de la première composition.

Classes

Productions
Nbre de séquences descriptives semi-développées insérées Nbre de séquences descriptives développées Valeurs de progression
0 1 2 3 + 0 1 2 3+ Absolue Relative

6C
C1(40) 40 0 0 0 40 0 0 0
10

25%
C2 (40) 36 4 0 0 34 6 0 0

6L
C1 (35) 34 1 0 0 32 3 0 0
28

82, 85%
C2(35) 19 14 2 0 18 16 1 0


4C
C1 (45) 41 4 0 0 45 0 0 0
22

48,88%
C2(45) 32 13 0 0 32 12 1 0


4L
C1 (32) 28 4 0 0 25 6 1 0
9

28, 12%
C2(32) 25 5 2 0 22 8 5 0
Tableau 25 : Nombre de séquences dialogales semi développées et développées dans les copies sélectionnées des deux compositions de fin de semestre de chaque classe. C1 : composition du premier semestre, C2 du deuxième. Le nombre de séquences dialogales est 0, 1, 2, 3 et plus de trois (3+). La valeur de progression correspond à la différence entre la somme des séquences insérées dans les productions de la composition du 2ème semestre et la somme de celles insérées les productions de la première composition.

Classes

Productions
Nbre de séquences dialogales semi-développées Nbre de séquences dialogales développées Valeurs de progression

0

1

2

3 +

0

1

2

3+

Absolue

Relative
6C C1(40) 38 2 0 0 37 3 0 0
0

0%
C2(40) 40 0 0 0 37 3 0 0


6L
C1(35) 34 3 1 0 30 5 0 0
25

71,42%
C2(35) 24 10 1 0 11 22 2 0


4C
C1(45) 35 9 1 0 41 2 2 0
23

51,11%
C2(45) 29 11 4 1 24 16 4 1


4L
C1(32) 25 5 2 0 22 9 1 0
16

50%
C2(32) 15 13 4 0 16 11 4 1

6C affiche les résultats les plus faibles. Paradoxalement, il n’y a aucune évolution au niveau des insertions dialogales entre les deux productions. Nous avons montré l’effet de la consigne de production sur le comportement des élèves de manière générale et plus encore sur ceux des classes de 6ème. Le désir de se conformer au contrat qui stipulait clairement de « faire parler les personnages » dans le sujet de la première composition explique les «performances » de la classe. Cette classe est suivie par 4L avec une représentation encore relativement des séquences descriptives expansées. En revanche, nous observons des taux d’évolution assez intéressants en 4C (autour de 50 %) et très spectaculaires en 6L où la différence entre les deux textes est clairement marquée. On est frappé par la congruence entre les différences de pratiques des enseignants et les différences de performances des classes. Aussi bien au niveau de la concentration des savoirs narratifs que de celui des stratégies pédagogiques, nous avons remarqué que les démarche en 6L et en 4C (dans une moindre mesure) avaient les modèles de concentration les plus élevés. Par ailleurs, elles sont essentiellement centrées sur le travail des élèves sachant que les opérations qui structurent l’action sont dominées par celles associées à des tâches mettant en contribution leurs capacités à repérer, à analyser, à critérier, à produire, à évaluer et à synthétiser. La disparité en faveur de ces deux classes montre donc, qu’au-delà du contexte et de la culture didactique des élèves, l’efficacité de l’action didactique repose sur des pratiques d’enseignement attractives, nourrie d’une ingénierie didactique variée.

Cette conclusion met en évidence le rôle central de la médiation enseignante. Elle ne met pas en cause les effets de la culture éducative et de la maturité didactique dans le développement des compétences narratives. Les performances des classes, tout niveau confondu, par rapport à la compétence d’organisation et de structuration de la séquence narrative encadrante suffit à illustrer ce phénomène. Certes, la problématique de l’organisation de l’intrigue dans le récit (didactiquement réduite aux étapes du schéma quinaire) est omniprésente dans les interactions en classe. Or, ainsi que le rappellent Tiberghien et Malkoum (2007), la répétition joue un rôle fondateur dans l’action didactique. Cependant, l’organisation du texte scolaire demande d’autres compétences procédurales. A ce sujet, notre analyse a démontré que l’expérience didactique était un facteur déterminant dans la manière des élèves de prendre en charge la consigne, d’interpréter le contrat de production, notamment dans ses non-dits. Mieux, cette maturité, « précipitée » par les médiations sémiotiques (particulièrement les conventions génériques), se traduit chez les élèves de 4ème par la déscolarisation du récit fictionnel scolaire qui se situe alors entre le modèle traditionnel de la rédaction et le modèle littéraire.