2. Compétences narratives et médiations textuelles

On s’en doute, la mémoire didactique a pu être déterminante dans les performances des élèves.  Pour autant, nous considérons qu’elle se dynamise à travers les différents textes, qu’il s’agisse des textes-référents des activités ou des textes injonctifs accompagnant les actions et leurs opérations ou fixant les règles du contrat de production. Il est évident que le discours didactique interviendra toujours pour assurer les régulations sans lesquelles l’apprentissage sera beaucoup trop aléatoire. Nous reprenons ici notre hypothèse secondairequi part du postulat que l’apprentissage de la lecture et de la production des textes est facilité par leur nature et principalement par leur organisation. Elle stipule clairement que plus la structure du texte-référent des activités de lecture littéraire et modèle d’écriture pour les élèves est conventionnellement normée et culturellement partagée, plus son acquisition par le lecteur-producteur non expert en est facilitée. Nous avons vu avec l’exemple des deux classes de 4ème que la volonté de s’inspirer des exemples rencontrés en classe, de reproduire les schémas qui se sont construits le long des actions peut se transformer en devoir de « faire comme » lorsque par exemple l’injonction implicite d’une consigne les y invite. Ce sentiment se manifeste par une organisation compositionnelle, générique, voire thématique du récit scolaire décalquée du modèle dont l’exploitation des « règles » génériques jusqu’à saturation des ressorts donne à « l’œuvre » de l’élève-auteur une forme caricaturale. A l’extrême, nous dirons que la conscience des critères d’évaluation des productions écrites fondés sur les normes des composantes séquentielles, configurationnelles et génériques non assimilées par certains explique les constructions maladroitement imitatives. Et nul ne saurait leur en tenir rigueur, car n’oublions pas que la seule chose qui importe aux yeux des élèves, c’est la sanction chiffrée du professeur. Alors faire ce que ce dernier leur demande, c’est faire et refaire à l’identique ce qu’ils ont vu dans le texte d’auteur. Mais si nous faisons l’impasse sur ces cas heureusement peu nombreux et qui se recensent dans les secondes productions des classes de 4ème, les récits des élèves traduisent généralement une convergence du texte fictionnel et du texte scolaire « configurée » par un texte procédural.

En effet si nous revenons sur les textes proposés en support aux activités de lecture littéraire, nous constatons que ce sont, pour l’essentiel, des textes littéraires, offrant un modèle de structuration et de configuration séquentielle typique du récit, avec un effet de dominance (Adam, A., 2005) de la séquence narrative dans la plupart des cas, et très accessoirement, de la séquence descriptive ou dialogale. Du point de vue de la construction de l’intrigue, les fictions constituées de la suite - situation initiale, nœud, péripéties (traversées d’insertions descriptives, dialogales et explicatives) et dénouement - représentent les exemples les plus récurrents. Quant aux récits produits par les élèves, même si majoritairement ils se conforment à la tradition scolaire qui établit une décomposition du texte fictionnel en phases de contextualisation, situation initiale, nœud, péripéties, dénouement, situation finale-conclusion, l’orientation du texte procédural leur imprime des formes particulières. Ces productions apparaissent sous la forme d’une composition du type « discours/commentaire » pour reprendre les catégories de Weinrich (1973). Les élèves adoptent plus souvent ce style dans les modèles de récit dont le texte de consigne impose une intrigue tournant autour d’une histoire effectivement ou potentiellement vécue. Il convient à ce sujet de reconnaître des variations en fonction des niveaux et des classes. En règle générale, les élèves de 4ème proposent des textes avec une intrigue plus développée, une action structurée autour d’un nombre d’évènements relativement importants. Toutefois, cette tendance est plus marquée chez les élèves en 4L et c’est là où les résultats par rapport à la capacité d’organisation des étapes narratives et de structuration de l’action principale sont les plus importants. Les élèves de 6ème sont plus portés vers le commentaire d’un évènement, voire une construction anecdotique. Encore que les productions des élèves en 6L à la deuxième composition sont significatives d’une nette évolution.

Ces différentes situations amènent deux lectures : d’abord que la problématique de la maturité narrative est une donnée essentielle dans ce qu’on trouve dans les textes fictionnels des élèves. Elle est à la base des différences de performances entre le 4ème et les 6ème. Mais elle ne peut expliquer les différences dans les productions des élèves d’un même niveau. Ce qui veut dire qu’il y aussi un critère de maîtrise des modalités techniques de la sous-compétence de construction et de conduite de la séquence narrative encadrante qui ne peut dépendre simplement de la disponibilité du principe de narration. Pour rester sur ce point, nous remarquons que lorsque le projet d’écriture est explicitement référé à un genre (le conte, le récit fantastique) les productions prennent la forme de textes narratifs fictionnels du type « récit/histoire ». A l’analyse, il apparaît donc très clairement que si le texte subsumé sous le contrat de production réfère à un genre littéraire conventionnellement marqué, les élèves interprètent les attentes de l’enseignant en opérant une construction paratextuelle calquée sur le modèle littéraire. Il en est ainsi de la totalité des textes de la seconde évaluation en 4C et 4L, plus caractéristiques du genre littéraire « récit fantastique» que du genre scolaire de la « rédaction ». Le souci du « faire comme » se répercute jusqu’au niveau de la distribution en paragraphes pour marquer la maturité narrative, relative donc chez les élèves des classes de 6ème, effective lorsque ces élèves arrivent en 4ème. On remarque que si les productions dans les classes de sixième, quels que soient l’établissement et le sujet, se composent de trois paragraphes correspondant aux trois parties traditionnelles du genre « rédaction », les élèves en classe de quatrième s’efforcent d’aménager une organisation plus en phase avec les caractéristiques séquentielles et génériques du texte. Cet effort est plus perceptible dans les copies de la deuxième composition. De ce qui précède, on retiendra que le processus de résolution de la tension entre les genres scolaire et littéraire du texte fictionnel diffère d’un niveau à l’autre. En s’en tenant rigoureusement à la discipline scolaire, les élèves de 6ème résolvent le problème sous le signe de l’autorité du schéma didactique institué par leur culture éducative scolaire qui consacre la tripartition du texte-produit en une introduction, un développement et une conclusion fonctionnellement et typographiquement identifiables. Au besoin, ils se servent de la phrase introductive du conte ou alors, ils aménagent une introduction artificielle pour satisfaire aux exigences protocolaires. S’agissant par contre des élèves en classe de 4ème, non seulement les productions référant à un récit fantastique, globalement affectées d’un titre, se soustraient au protocole introductif et conclusif, mais contrairement à ce qu’on a pu constater dans les copies des élèves de 6ème, l’histoire racontée n’est pas forcément soumise à une chronologie immuable. La différence de pratiques d’un niveau à l’autre amène à dire que nonobstant les modèles littéraires et les règles suggérés par les textes procéduraux, les élèves en 6ème s’en tiennent aux valeurs du genre scolaire quitte à « scolariser » des écrits pour lesquelles le contrat donne une orientation « littéraire ». Pour les mêmes raisons (effets des textes référents et procéduraux), les élèves en 4ème n’hésitent pas à « déscolariser » l’écrit pour mieux répondre aux attentes du contrat.