Partie I : Traiter de la psychiatrie d’urgence en sciences de l’information et de la communication, un défi épistémologique.

Notre thèse ne peut faire l’économie d’une réflexion épistémologique tant l’objet qu’elle traite, la psychiatrie d’urgence, est original – ou marginal, comme on voudra – dans le champ des sciences de l’information et de la communication (SIC). Bien sûr, ce n’est pas à partir de l’objet traité que l’on détermine si tel travail appartient à telle discipline, notamment dans le champ des SIC qui se caractérisent par l’appel qu’elles font à des paradigmes divers, parfois contradictoires, issus de disciplines des sciences humaines, comme la linguistique ou la sociologie, qui ont des objets très divers qui ont produit leurs rejetons en SIC. Mais il y a cependant certains objets qui parlent d’eux-mêmes et pour lesquels on ne questionne même plus le fait qu’ils relèvent d’une analyse en SIC, comme les médias, par exemple. Or, c’est peut-être quand la science ne se questionne plus qu’elle commence à se répéter et, en définitive, à s’ennuyer. Notre thèse est une proposition pour briser l’ennui, au risque de relever quelques défis difficiles dont ceux de l’épistémologie et de la méthodologie.

C’est ainsi que nous nous proposons ici de montrer qu’une analyse de la psychiatrie d’urgence, qui ne soit ni purement sémiotique, ni purement sociologique, ni purement ethnographique, est possible à mener dans le champ des sciences de l’information et de la communication. Pour montrer cela, il va nous falloir inventivité et rigueur.

Nous proposons donc un premier chapitre, qui sera plutôt celui de l’inventivité et qui rendra compte, pour le voiler ensuite, du désir du chercheur tel qu’il est en mesure de construire des hypothèses subjectivées – mais inscrites dans le discours de la science – et de produire des décalages épistémologiques, si minimes soient-ils, pourvu qu’ils ouvrent un champ de réflexions et d’analyses vivant et sans ennui. La psychanalyse dit que la répétition est le propre du symptôme, nous tenterons donc de ne pas faire une thèse « symptomatique des SIC » ni lénifiante. La psychanalyse, précisément, nous accompagnera tout au long de la thèse, dès le début. Nous souhaitons donner une place à la psychanalyse telle qu’elle puisse dialoguer avec les SIC sans que celle-là ne cannibalise celles-ci et vice-versa.

Nous commencerons ainsi à dégager ce que pourrait être un inconscient épistémologique, et notamment celui des SIC pour dire que notre travail s’y trouvait, en quelque sorte, et n’attendait que d’être mis à jour. L’inconscient, dans la théorie psychanalytique est une hypothèse. Il le sera aussi pour nous dans le champ de la réflexion épistémologique. Cela signifie qu’on ne pourra pas dire de quoi est précisément constitué cet inconscient des SIC (par définition, l’inconscient, c’est de l’insu), mais nous ferons l’hypothèse qu’il existe par les signes secondaires qu’il manifeste et par la structure même de la science dont on peut le déduire4. Les manifestations de l’inconscient sont celles, quand on sait les entendre (car le déni existe, c’est une défense psychique), qui permettent d’interroger le savoir pour qu’il n’arrête jamais de se dérober au moment même où il paraît tout expliquer et produire de l’universalité, de l’absolu5. C’est au fond une part du plaisir de la recherche scientifique que d’approcher le fantasme de l’explication totalisante en la laissant se dérober pour continuer à désirer chercher. C’est aussi le caractère sain de la recherche universitaire que d’être inquiète et en doute sur ses acquis ; cela nous semble d’ailleurs être une riche spécificité des SIC que de trouver des points de butée fréquents dans l’explication des processus de communication tant elles font appel à des paradigmes toujours pertinents mais souvent contradictoires ou partiels pour rendre compte des mêmes faits. Au fond, les SIC sont traversées par une forme de conflit de paradigmes permanent qui doit bien être au cœur de leur créativité, toute comme le conflit psychique, chez le sujet, l’anime et le contraint tout à la fois dans la dialectique du désir qui est la manifestation du vivant articulé au symbolique.

Puis nous proposerons un deuxième chapitre, consacré à la rigueur de l’articulation épistémologique cette fois. Là, nous montrerons comment à partir des présupposés anthropologiques qui fondent l’approche épistémologique de notre objet (et le construisent), nous articulons une série de paradigmes divers issus de disciplines des sciences humaines et sociales de manière cohérente pour construire une méthodologie et des résultats identifiables et exploitables dans le champ des SIC.

Notes
4.

Nous verrons comment les chercheurs à l’origine de la création de notre discipline ont parlé de « transgressions » de paradigmes issus de disciplines-mères. Ce rapport entre transgression et construction d’un lien social (la discipline, c’est la référence de l’appartenance entre différents chercheurs) a été évoqué par Freud, notamment, dans Totem et Tabou.

5.

C’est ainsi que les analyses interactionnistes qui ont connu un grand succès en SIC et en sociologie dans l’explication des phénomènes entourant la psychiatrie n’expliquent pas tout de la relation médicale et des prises en charge institutionnelles.