II. Psychanalyse et sciences de l’information et de la communication : bâtir des ponts

Le but ici n’est pas de rendre compte d’une lecture exhaustive de la psychanalyse. D’abord parce que nous avons fait le choix de nous intéresser exclusivement aux textes fondateurs de la psychanalyse, c’est-à-dire ceux de Freud et ceux de Lacan en ce que ce dernier s’est toujours présenté comme un commentateur du texte de Freud qu’il lisait « à la lettre ». De plus, la lecture que propose Lacan des textes freudiens est particulièrement intéressante en ce qu’elle est enrichie des travaux de la linguistique et du structuralisme. Pour exprimer cette idée selon laquelle la psychanalyse est traduisible en termes linguistique tout en ne s’y réduisant pas89, Lacan utilisera le néologisme de « linguisterie ». Il désignera ainsi ses conceptions de l’énonciation, de la parole, du langage et de la communication. En cela, les notions et concepts lacaniens intéressent fort les sciences de la communication qui peuvent trouver dans la psychanalyse l’opportunité de rationaliser la question du désir et du symptôme à travers des logiques et des processus de communication. C’est un des buts théoriques de notre thèse et c’est orienté par ce pari que nous avons lu la psychanalyse.

Nous nous proposons donc de montrer la compatibilité de la psychanalyse avec les sciences sociales, en particulier les sciences de la communication. Elle peut même contribuer à enrichir leurs concepts. Bien sûr, cet exercice d’articulation théorique est orienté par les possibilités qu’il donne de rendre disponible des concepts et notions servant à l’analyse de la psychiatrie d’urgence. Notre thèse propose donc une lecture de la psychanalyse selon trois problématiques croisées : quels concepts de la psychanalyse sont-ils susceptibles d’aider à penser la psychiatrie d’urgence en tant que phénomène de communication et de médiation ? Dans quelle mesure ces concepts ont-ils une place dans le champ des SIC ? En quoi l’approche psychanalytique est-elle cependant insuffisante à élaborer une approche communicationnelle de la psychiatrie d’urgence, et par conséquent, en quoi doit-elle être articulée aux SIC ? Nous verrons ainsi les limites de la psychanalyse à rendre compte du politique, du social et de l’institution, ce qui nous amènera à aller chercher des compléments théoriques du côté de l’anthropologie, de la sociologie et de la sémiotique politique pour autant que ces compléments n’annulent pas la pertinence des notions issues de la psychanalyse.

Ce qu’il faut affirmer d’abord à l’encontre de beaucoup de préjugés qui constituent les représentations sociales courantes de la psychanalyse, c’est que, telle qu’elle est soutenue par Freud et Lacan, elle n’est pas une théorie de l’intimité ni des profondeurs de l’âme humaine. Franck Chaumon nous rappelle cela dans un petit ouvrage sur Lacan :

‘« Avec Lacan, la psychanalyse a cessé d’être une psychologie des profondeurs, pour la simple raison qu’il n’y a pas de profondeurs : le plus intime est ce qui nous est le plus extérieur. En effet, ce qui fait le « noyau de notre être » c’est ce qui nous est venu du dehors, ce sont les signifiants qui nous ont parlé avant même que nous ne parlions. Les mots qui nous ont donné notre place dans le monde, à commencer par notre nom propre, étaient là bien avant nous et constituent cette altérité radicale à laquelle Lacan a donné le nom de grand Autre »90.’

On trouve une formulation saisissante de cela dans le Séminaire 20 où Lacan indique l’inscription du sujet dans une extériorité qui le dépasse en le constituant pourtant proprement comme sujet, comme être institué dans le monde par le langage. Le langage donne consistance à la médiation entre les autres et lui-même et entre lui-même et la propre perception qu’il a de lui. Mais cela s’opère de manière biaisée, floue, à travers l’opacité et l’équivoque « naturelles » du langage :

‘« En fin de compte, il n’y a que ça, le lien social. Je le désigne du terme de discours parce qu’il n’y a pas d’autres moyens de le désigner dès qu’on s’est aperçu que le lien social ne s’instaure que de s’ancrer dans la façon dont le langage se situe et s’imprime, se situe sur ce qui grouille, à savoir l’être parlant »91.’

Cette phrase de Lacan montre que la psychanalyse peut rendre compte d’une médiation entre le singulier et le collectif, en intégrant la question du corps (« ce qui grouille »). Mais, par ailleurs, elle reconnaît une sorte de point aveugle de la psychanalyse, qui ne considère le social que comme supporté par le langage ou ce qu’il appelle ailleurs l’ordre des signifiants, l’ordre symbolique. La psychanalyse n’est en effet pas en mesure de penser le social du point de vue des pratiques culturelles ou des pratiques sociales. Elle pense la société uniquement du point de vue du langage. C’est à la fois une sorte de limite, mais aussi certainement une approche à promouvoir dans le champ des sciences sociales qui jettent parfois des zones d’ombre sur le fait que, fondamentalement, le social ne peut être instauré et exprimé que par le langage.

Ce qui nous intéresse dans la psychanalyse, c’est donc que le sujet se définit et se constitue à partir d’une extériorité qui se matérialise dans le procès de l’énonciation, c’est-à-dire dans le rapport à l’autre instauré par la parole qui subjective le langage. A partir de là se formule une série de notions et de concepts utiles pour l’interprétation de la psychiatrie d’urgence92.

Le premier concept lacanien auquel nous devons faire allusion est certainement celui du stade du miroir. C’est en effet ce concept qui explique la dialectique entre le singulier et le collectif telle qu’elle s’institue dans le rapport à l’autre médiaté par le langage et la communication. A ce titre, le concept de miroir trouve sa place dans notre thèse qui cherche à saisir le rapport entre psychisme et politique tel qu’il se manifeste dans les situations de communication aux urgences psychiatriques. La crise psychique peut s’interpréter comme une rupture de la médiation, comme l’émergence d’une singularité irréductible aux conditions d’identification à l’autre instituées lors du stade du miroir. Dans la crise psychique qui se manifeste notamment dans les situations d’urgence psychiatrique, le sujet en détresse n’assume plus sa division subjective instituée lors du stade du miroir : il n’est plus en mesure de refouler son désir, sa subjectivité, au profit de l’établissement du rapport à l’autre.

Synthétisons le célèbre texte de Lacan93. Le stade du miroir se produit à partir de l’âge de six mois. Jusqu’à cet âge, le nourrisson n’a pas conscience de son unité. Il n’est pas encore un sujet mais un amas de sensations morcelées qui ne sont pas identifiées comme venant d’un corps propre. Une continuité confuse le lie à l’autre, en particulier à sa mère sous la forme de ces sensations non symbolisées. Entre six mois et dix-huit mois, le nourrisson va faire l’expérience de la reconnaissance de son image dans le miroir, événement que Lacan qualifie de « spectacle saisissant »94. D’un coup, l’enfant prend conscience de son unité, il est représentable dans un corps propre ou plutôt dans une image renvoyée par le miroir à laquelle il s’identifie. La prise de conscience de son être, de manière « jubilatoire » par le sujet est donc, d’abord95, en quelque sorte, imaginaire. Cet événement permet de prendre conscience d’une séparation entre lui et l’autre, ce qu’il va devoir assumer en contrepartie. Il sort d’une forme d’aliénation (continuité entre son corps et celui de la mère) pour se retrouver dans une autre aliénation : imaginaire puis symbolique. En effet, l’accès de l’enfant au symbolique se fait dans l’expérience du manque éprouvé par l’identification à l’image du miroir qui ne le représente pas tout. L’expérience du symbolique est en effet bien celle-là qui met une forme à la place d’un corps ou d’un objet pour le représenter mais, du même coup, le rend absent. Dans l’expérience du miroir, l’enfant s’identifie dans une forme qui, d’emblée, ne lui appartient plus, ne le satisfait pas et introduit la perte des jouissances antérieures puisqu’elle manque d’incarnation et introduit l’expérience du manque de la pulsion à se représenter dans le symbolique. Lacan indique que le stade du miroir est une sorte d’introduction à la logique du langage où le sujet de l’énoncé (le « je » représenté dans le langage, c’est-à-dire le moi) ne correspond jamais au sujet de l’énonciation (le « je » qui parle et qui engage son corps et son désir dans l’expérience de la parole). La dialectique de l’énoncé et de l’énonciation est similaire à celle qui s’instaure entre image spéculaire et expérience de soi dans le corps :

‘« L’assomption jubilatoire de son image spéculaire par l’être encore plongé dans l’impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu’est le petit homme à ce stade infans, nous paraîtra dès lors manifester en une situation exemplaire la matrice symbolique ou le je se précipite en une forme primordiale, avant qu’il ne s’objective dans la dialectique de l’identification à l’autre et que le langage ne lui restitue dans l’universel sa fonction de sujet »96.’

Le stade du miroir introduit en effet à double titre la figure de l’autre : par le fait de la séparation éprouvée dans une image de soi ayant des frontières propres et par le fait que la médiation à l’autre passe désormais par des formes qui ne nous appartiennent pas, c’est-à-dire les signifiants qui servent à se représenter et à échanger avec l’autre : l’image spéculaire ne me convient pas tout à fait, mais c’est elle que je donne à voir à l’autre.

Notre thèse maniera donc régulièrement ce concept de miroir puisqu’il permettra de dire que les patients des urgences sont en difficulté avec, précisément, ce qu’a institué l’épreuve du miroir. Le patient des urgences psychiatrique est celui qui éprouve la détresse d’une impossible identification à l’autre lors de l’émergence d’un point de singularité qui se traduit par un passage à l’acte (tentative de suicide, faits de violence) ou d’un rapport au symbolique perturbé (délire, par exemple, qui instaure une communication impossible). De plus, la question du miroir trouve sa place en science sociales en ce qu’elle produit une définition du sujet à partir du collectif, à partir de l’ordre symbolique.

Du miroir, on glisse vers la tripartition lacanienne Réel/Symbolique/Imaginaire que nous mettrons aussi largement en œuvre dans la thèse. Comment définir ces trois instances et comment les intégrer à une pensée ancrée en sciences de la communication ? Nous allons, pour le moment nous contenter de définitions simples et flottantes qui se préciseront au fil de la thèse, à mesure que nous les illustrerons et les ferons jouer à partir de nos données cliniques et ethnographiques. Disons pour le moment, avec Bernard Lamizet97, que les instances du réel, du symbolique et de l’imaginaire forgées par Lacan, sont nécessaires pour rendre compte de tout fait de communication et de médiation dès lors qu’on cherche à les envisager à la fois dans leur dimensions psychiques et politiques, singulières et collectives. En fait, à travers l’explication du stade du miroir, nous venons de voir ce à quoi pouvait renvoyer le symbolique et l’imaginaire. Le symbolique, c’est le langage en tant qu’il institue un code et des règles qui conditionnent le rapport civilisé à l’autre. Il renvoie aux formes que s’échangent les sujets pour communiquer ; il est l’instance par laquelle passe le sujet pour s’identifier à l’autre. Il est ainsi le support de l’identité dans sa dimension collective. En outre, le symbolique a pour fonction fondamentale de présentifier l’absence. C’est ce que montre Freud, parmi d’autres choses, dans l’observation de la célèbre expérience du « Fort/Da » ou « jeu de la bobine »98. L’enfant, pour supporter l’absence de sa mère, se lance dans un jeu qui consiste à faire aller et venir une bobine reliée à un fil. L’enfant lance la bobine et la fait disparaître de sa vue en émettant un signifiant assimilable à « fort » (« parti » en allemand). Puis il tire sur le fil et fait revenir la bobine dans son champ de vision en disant cette fois « da » (« voilà » en allemand). Freud montre ainsi que l’enfant fait un usage de ce qui fait le propre de la fonction symbolique, c’est-à-dire de représenter l’absence et le retour de la mère par des signifiants et donc de s’approprier, par les mots, ce qui n’est pas saisissable ou angoissant autrement. En même temps que l’enfant fait l’expérience du manque, de la perte/absence de l’objet maternel, il le présentifie par le signifiant. Evidemment, cette présentification de l’absence connaît un reste, puisque le signifiant remplace, vient à la place de l’objet, mais n’est pas l’objet. Ce reste, c’est ce que Lacan appelle le réel, c’est-à-dire ce qui résiste au passage dans l’ordre symbolique, ce qui est ineffable, incommunicable99. Le réel du sujet, c’est la pulsion, c’est l’irréductibilité du corps à l’ordre du langage. Cette instance soutient l’idée que le sujet humain est une articulation de corps et de symbole (ce que d’autres auraient formulé en parlant d’animal politique). Le réel a ses manifestations par exemple dans l’angoisse : événement de corps qui traduit une impossibilité de représentation dans le langage. Le réel du sujet, c’est ce qui constitue son identité singulière, irréductible à toute autre. L’imaginaire, enfin, peut être entendu comme ce qui, sous la forme de la fiction ou du fantasme, vient boucher les trous laissés par le réel dans le symbolique. L’imaginaire vient suppléer à l’impossibilité à dire la vérité par le symbolique. La fonction de l’imaginaire, on la voit à l’œuvre dans le cas de Freud, Le Petit Hans 100 , repris et commenté par Lacan dans le Séminaire sur la Relation d’objet 101 . Face à l’impossibilité de dire quelque chose du sexuel et de l’événement de la naissance, le petit garçon de cinq ans développe une phobie, pare-angoisse, qui sera levée par la possibilité que lui donne Freud de donner des versions successives, imaginaires, des enjeux de la sexualité infantile qu’il ressent. Par l’imaginaire, par des fictions successives plus inventives que celle de la cigogne que ses parents lui offrent, l’enfant s’approche de la vérité du sexuel sans la nommer vraiment puisque comme cela appartient au registre du réel, sa désignation est impossible.

On le voit, réel, symbolique et imaginaire ne peuvent se définir l’un sans l’autre, c’est pourquoi Lacan les représentera sous forme de trois cercles enlacés : figure topologique qui a la propriété si l’un des cercles se casse de libérer les deux autres et de les séparer. Toute situation de communication met en jeu les trois instances et, en particulier, les situations de communication observables aux urgences psychiatriques. Nous développerons cela plus loin, mais disons à titre d’exemple que le réel de l’urgence c’est le passage à l’acte suicidaire ou, du côté soignant, la contention comme pratique venant à la place de la parole. Le symbolique de l’urgence, ce sont ses aspects institutionnels, les lieux de communication qui s’instituent entre patients et soignants. L’imaginaire de l’urgence, ce sont des représentations associées à l’hôpital avec lesquelles jouent les psychiatres, ce sont les effets de théâtralisation de leur souffrance par les patients, ce sont les images associées à l’urgence comme la peur, la mort, l’agitation, et enfin, c’est l’attente, propre au service d’urgence, qui définit la dimension imaginaire du temps.

Autre proposition lacanienne que nous saisissons pour nos analyses : « l’inconscient est structuré comme un langage ». Cette phrase fait aujourd’hui office de slogan lacanien. Il faut se méfier des effets réducteurs des formules toutes faites pour bien considérer le sens de cette proposition qui ne doit pas faire croire que le psychisme n’est qu’une affaire de signifiants. Si tel était le cas, la psychanalyse n’aurait pas un statut différent de la sémiotique. La pratique psychanalytique, en ce qu’elle se propose d’interpréter les manifestations du psychisme est une herméneutique, voire une sémiotique. En cela elle peut se trouver des airs de famille avec une partie des sciences de l’information et de la communication et c’est ce à quoi nous nous attelons. Certes, elle fait du psychisme et de l’inconscient un texte à déchiffrer, mais pas seulement, puisqu’y est introduite la question du corps (la pulsion, le biologique, le sexuel). Le symptôme a ainsi ce statut très particulier d’être une manifestation corporelle qui doit se lire comme un texte102. L’angoisse, événement de corps « qui ne trompe pas », comme disait Lacan, signifie, à un second degré, après interprétation, quelque chose. C’est en tout cas le pari de la psychanalyse que de prêter une signification, même si elle est masquée ou opaque, aux symptômes. La peur panique des chevaux chez le Petit Hans est métonymiquement liée à un désir qui subit les assauts du refoulement. Il y a un rapport signifiant, de proche en proche103, entre le cheval et les interrogations œdipiennes du petit garçon. Sa phobie le fait fuir ou le tétanise, elle est donc un événement de corps. C’est bien parce qu’on peut lire le symptôme que la parole, qui situe le symptôme dans un texte, est l’outil privilégié de la psychanalyse. Cette relation primordiale entre le signifiant et le symptôme est fondamentale pour construire une approche de la psychiatrie d’urgence en termes de communication. En effet, cette dialectique corps/parole, tenue fermement comme un postulat intangible par les acteurs du champ psy qui s’inspirent de la psychanalyse, permet de se convaincre que la médecine n’est pas qu’une affaire somatique ou biologique, mais a aussi largement à voir avec le monde du symbole.

Dans le séminaire sur les Formations de l’inconscient 104 , Lacan propose une relecture des premiers travaux de Freud avec les outils de la linguistique. Il met au jour les intuitions freudiennes que le travail du rêve, la manière dont se forment les lapsus, les actes manqués, les mots d’esprit ou le symptôme sont des effets de signifiant. Freud, contemporain de Saussure, n’avait pas lu les travaux du linguiste et ne mobilisait donc pas son vocabulaire qui nous paraît familier en sciences de la communication tant le structuralisme a imprégné les premiers travaux de la sémiotique. Lacan est précieux pour permettre à la psychanalyse d’être familière avec les SIC. Il montre en effet que Freud a repéré deux moyens de l’appareil psychiques pour permettre au désir d’affleurer à la conscience tout en ne s’affirmant pas comme désir, c’est-à-dire en se travestissant. Ces deux processus sont, chez Freud, la condensation et le déplacement, que l’on trouve indiqués et décrits dès l’Interprétation des rêves.

Freud montre, dans l’Interprétation des rêves, dans la Psychopathologie de la vie quotidienne et dans Le mot d’esprit, que l’appareil psychique fonctionne sous le mode du compromis. Le désir du sujet, singulier, irréductible, ne peut se présenter tel quel à la conscience, soit que la civilisation l’empêche, soit que le sujet lui-même s’impose une loi qui rend, pour lui-même, ce désir inacceptable qui devient dès lors objet du refoulement. Cependant, selon un autre principe psychique, le principe de plaisir, l’appareil psychique cherche à réduire ses tensions internes et donc à obtenir des satisfactions. Ainsi, entre la censure et le principe de plaisir, l’appareil psychique produit des compromis qui, à la fois, respectent la censure et permettent de l’outrepasser en obtenant une satisfaction. C’est exactement comme cela que fonctionne le rêve qui, nous dit Freud, est un accomplissement de désir 105 pris dans les mailles de la censure : des désirs interdits se présentent à la conscience sous forme masquée et travestie, d’où l’impression de bizarrerie du rêveur qui considère son rêve. Ce travestissement s’opère donc, selon Freud, selon deux processus : la condensation (ou substitution de mots) et le déplacement (ou combinaison de mots). Lacan nous indique qu’il s’agit d’opérations sur les signifiants et que c’est la raison pour laquelle le rêve peut être déchiffré, lu comme un rébus. La condensation, c’est la métaphore ; le déplacement, la métonymie. C’est en cela que l’inconscient est structuré comme un langage. Le « comme » est d’importance. Il ne s’agit pas d’un langage, ni d’une langue à proprement parler puisque, confronté aux manifestations de son inconscient106, le sujet n’y comprend rien. Mais l’inconscient, et l’appareil psychique, fonctionnent selon des règles qui s’apparentent à celle du langage, en termes de structure (règles reliant les éléments entre eux), où un signifiant renvoie toujours à un autre par métaphore ou métonymie. En fait, l’inconscient se saisit, en quelque sorte, de la structure du langage pour y loger le désir : au gré d’une métaphore, au gré d’une métonymie, un désir est en mesure de s’exprimer, inexprimable autrement, inexprimable sans un investissement des équivoques propres à la langue. C’est parce qu’un signifiant renvoie toujours, d’abord, à un autre signifiant, que des effets de signifié se produisent. Le désir obtient des effets de signifiés en exploitant le fonctionnement du signifiant dans la langue. Cela amène Lacan à affirmer la suprématie du signifiant. Le sujet peut donc avoir accès à son désir en déchiffrant, à rebours, les déformations signifiantes dont il a été l’objet pour arriver à la conscience et créer une satisfaction psychique à l’insu du sujet. Ce démontage est montré par Freud tout au long de l’Interprétation des rêves à quoi nous renvoyons. Lacan ouvre son séminaire sur les formations de l’inconscient sur le célèbre cas du « familionnaire »107, tiré chez Freud, où ce mot, inexistant dans le dictionnaire, est une formation de l’inconscient, issu d’un travestissement métonymique et métaphorique d’un désir impossible à dire autrement pour le sujet qui prononça ce mot.

Ce qui importe ici, sur le plan épistémologique, c’est de formuler les implications de ces réflexions et de se les approprier pour construire une approche de la psychiatrie d’urgence en SIC. Une approche psychanalytique du langage fonde une approche originale de la communication. Elle permet d’introduire comme nécessaire la considération de la subjectivité dans les faits de communication. C’est en effet bien parce que l’autre existe, et qu’en cela il représente une loi (que je m’invente ou parce que l’autre est représentant du collectif en même temps qu’il est un autre sujet), que quand je lui parle et je veux lui dire mon désir, je dois le travestir par les moyens de la langue et du langage108. Autrement dit, tout sujet qui s’engage dans la communication fait l’épreuve de sa division entre sujet du collectif et sujet du désir et il laisse des traces de cette division dans les formes de la communication qu’il met en œuvre et sur lesquelles il exerce des torsions. Or, nous le montrerons, la psychiatrie d’urgence concerne des sujets en difficulté aiguë avec cette division. Ainsi, vouloir rendre compte de cette détresse, c’est adopter une posture où l’on puisse lire dans les faits de communication qui se déroulent dans l’accueil d’urgence comment se combinent, dans la langue même du sujet, son désir singulier et son désir de lien. Sur le modèle du « famillionnaire » de Freud et de Lacan, notre journal ethnographique s’est notamment attaché à dégager les inventions signifiantes des sujets en détresse face aux psychiatres ; ces inventions manifestent souvent à la fois une modalité de renouage au collectif (de médiation, dirait Lamizet) en révélant, en creux, les difficultés que ce nouage pose, au cas par cas, pour chaque sujet109. En ce sens, la psychiatrie d’urgence articule un nécessaire universel (celui de la médiation) avec un nécessaire singulier (une reconnaissance possible de l’irréductible désir de chaque sujet). On pense évidemment ici aux travaux de Freud dans Malaise dans la civilisation qui nous semblent, à condition d’en faire une lecture actualisée, adaptée, garder beaucoup de pertinence pour l’analyse de la psychiatrie d’urgence.

Dans Malaise dans la civilisation 110 , Freud rend compte d’une articulation possible entre la psychanalyse et le politique en essayant de comprendre les formes et les effets de civilisation de la pulsion. De cet ouvrage, nous retirons une proposition forte. C’est celle que nous avons déjà citée plus haut, qui établit un lien entre le symptôme et la civilisation. Freud montre comment la sublimation du scientifique, de l’artiste, ou les symptômes plus douloureux de l’hystérique ou de l’obsessionnel sont des satisfactions substitutives qui s’apparentent à des techniques psychiques de défense contre les souffrances engendrées par la société civilisée qui contraint, pour la consistance du lien social, l’épanouissement de la pulsion111. Nous nous servions de cette affirmation freudienne pour développer notre propos sur l’inconscient des SIC. Nous l’éclairons désormais sous un autre jour en faisant l’hypothèse que l’urgence psychiatrique s’inscrit comme une institution qui se met au service des effets de ratage de la rencontre entre pulsion et civilisation. Nous estimons, d’après les observations et les analyses que nous exposerons plus bas, que le rôle de l’urgence psychiatrique est, en partie, de retrouver des moyens symboliques pour orienter la signification d’un surgissement de réel (terme lacanien pour dire la pulsion) qui échappe au sujet lui-même et à la civilisation. Nous renvoyons ici au fragment clinique de Monsieur C. chez qui la pulsion sexuelle, une des formes de la pulsion, s’exprime de façon insupportable pour le collectif, ce qui mènera à une hospitalisation sous contrainte, et sans signification pour lui-même en s’intégrant dans un délire de toute-puissance112. Ce rapport entre pulsion, signification et politique que nous souhaitons travailler dans notre thèse avec les outils de la psychanalyse l’ancre en sciences de la communication de manière originale mais tout de même pleinement : il s’agit en effet de montrer que l’on peut penser le rapport entre le psychisme et le politique par la question de la communication.

C’est d’ailleurs par la question de la communication que Lacan articule, lui-même, le psychisme et le politique. Il convient cependant de bien cerner la définition du politique donnée par la psychanalyse. Nous noterons en effet qu’elle ne nous suffit pas pour la construction de l’appareillage conceptuel de notre thèse. C’est pourquoi nous nous tournerons vers d’autres disciplines des sciences sociales pour l’enrichir et la rendre plus opératoire en vue de l’analyse et de l’interprétation de la psychiatrie d’urgence. Mais que nous dit Lacan sur le rapport qui lie psychisme, communication et politique ? Jacques-Alain Miller nous éclaire sur ce point dans un moment où l’Ecole de Cause Freudienne mettait en place, dans des grandes villes de France, les Centres Psychanalytiques de Consultation et de Traitement (CPCT). Il s’agit d’institutions réunissant des psychanalystes bénévoles qui se proposent d’accueillir, sans contrepartie financière de la part des patients, des sujets en détresse psychique et en situation de précarité. Les psychanalystes proposent, sur la durée de 16 séances, d’accueillir des sujets qui n’auraient jamais pu entrer en contact avec le mode d’accueil des symptômes psychiques proposé par la psychanalyse. L’ambition de cette institution lacanienne est de faire sortir la psychanalyse des cabinets feutrés et de l’insérer dans la cité de manière à ce qu’elle puisse apporter des réponses thérapeutiques propres au « nouveau malaise de la civilisation »113. Cette ambition a poussé les analystes du Champ freudien à interroger ce qui, dans le corpus freudien et lacanien, pouvait permettre d’élaborer une clinique en prise avec des symptômes et des souffrances ayant une double dimension : psychique et sociale.

Pour montrer le rapport entre psychisme et politique, Jacques-Alain Miller indique dans un entretien114 que l’inconscient est politique dans la mesure où il n’existe pas sans l’Autre, et où on ne peut en faire ni l’hypothèse ni l’expérience sans l’Autre. Cela vient du dispositif même de la cure analytique où c’est le fait d’entrer en communication avec l’analyste qui permet au sujet de se confronter à son inconscient. C’est la formule de la communication rappelée par Lacan dès la première page des Ecrits : « dans le langage, notre message nous vient de l’Autre (…) sous une forme inversée ». Pas d’inconscient sans lien social, même minimal, pas d’inconscient sans au moins un autre, qui n’a pas besoin d’être l’analyste, pour me révéler ou rire de mon lapsus. Mon lapsus (mon message) ne me revient et n’apparaît à ma conscience que pour autant que l’autre en rie (sous forme inversée donc, comme si je voyais mon message dans le miroir) ou me le reproche en m’indiquant la torsion signifiante que j’ai opérée sur le code, c’est-à-dire sur ce qui, dans le champ du signifiant, représente le lien social. C’est ainsi dans l’expérience même de la communication, et dans ce que l’Autre me renvoie de ce que je dis, que j’éprouve le rapport qui noue mon désir au collectif. En ce sens, parce qu’il intègre toujours la question de l’Autre et du lien social, l’inconscient a une dimension politique. On s’aperçoit cependant de la définition restrictive du politique, mais c’est bien de là que part la possibilité, pour les psychanalystes, de traiter les symptômes issus du social et du malaise de la civilisation. Voici ce que dit Jacques-Alain Miller :

‘« Dire que l’inconscient, c’est politique, c’est d’abord le situer dans une dimension transindividuelle, comme l’implique le fait même de l’aborder dans la relation analytique. L’inconscient freudien n’est pas une réalité substantielle qui serait cachée dans le psychisme individuel, conçu comme un monde clos, solipsiste, qu’il s’agirait de forcer, et on se demande comment. C’est l’inconscient d’un sujet qui est structurellement coordonné au discours de l’Autre »115.’

J.-A. Miller poursuit son explication en montrant que, dès le début de ses travaux, Lacan a cherché à comprendre le rapport entre le psychisme et le politique dans le mesure où sa thèse portait sur la paranoïa qui est « la psychose où la relation sociale, ici la relation à l’Autre comme persécuteur, est de premier plan »116. La psychiatrie d’urgence constituera pour notre étude un objet où s’incarne ce rapport.

Enfin, le dernier concept que nous emprunterons à la psychanalyse et qui est susceptible de fonder notre approche communicationnelle de l’urgence est celui de demande.

Cette notion développée par Lacan nous intéresse tout particulièrement en ce que le signifiant même de demande est couramment utilisé dans le discours des acteurs du soin aux urgences psychiatriques. Il est parfois l’équivalent de « recours » qui est la version plus administrative de la demande. Mais il est aussi inscrit dans le libellé d’une procédure d’hospitalisation sous contrainte : l’hospitalisation à la demande d’un tiers. Plus fondamentalement, nous avons choisi de mobiliser cette notion en ce que chez Lacan elle désigne, dans une première approche, une articulation, une conjugaison, du désir et du signifiant. Elle nous permet de comprendre un phénomène central de la thèse qui est celui du constat du décalage entre l’offre de soin du service d’urgence (l’accueil de la crise psychique) et le profil des patients qui manifestent des difficultés qui outrepassent cette offre restrictive du fait de la (grande) précarité sociale dont ils sont porteurs et qui exigent souvent des prises en charge médico-sociales voire simplement sociales. Or, chez Lacan, la demande est précisément une formulation qui se situe toujours au-delà ou en-deçà de la satisfaction que permet l’objet visé par la demande. Nous avons ainsi remarqué que les psychiatres aux urgences se retrouvent en charge de patients dont la demande outrepasse les attentes étiologiques et nosographiques protocolisées des médecins somaticiens.

Qu’en est-il précisément de la demande chez Lacan ? En quoi la notion est-elle pertinente à articuler à une démarche en sciences de la communication qui porte sur l’analyse et l’interprétation de la relation médicale aux urgences ?

Pour comprendre la notion de demande chez Lacan, il faut revenir à celle de désir qui, elle-même, est dialectiquement liée à celle de manque. On l’a vu avec le jeu de la bobine, qui est commenté par Lacan dans le « Séminaire sur la Lettre volée », la prise du symbolique sur le sujet est, à la fois, possibilité de se séparer de l’objet, de le présentifier alors même qu’il est absent dans une forme signifiante, et expérience du manque de cet objet mortifié, en quelque sorte, par le symbolique. L’objet maternel (le sein par exemple) est dès lors maniable pour l’enfant sous forme symbolique. Du même coup, l’enfant, grâce aussi à l’expérience du miroir, peut se concevoir lui-même à l’intérieur d’une identité symbolique. La dialectique de l’identité et la division du sujet est alors mise en place. Le sujet est aliéné dans l’ordre signifiant, nous dit Lacan. Cela a pour conséquence, pour l’enfant de passer d’une dialectique de l’être pour la mère (son objet manquant, comme cela pouvait en donner l’illusion à la mère et à l’enfant tant qu’ils n’avaient pas vécus la séparation symbolique117) à une dialectique de l’avoir. Comme l’enfant perd l’objet, il devra maintenant l’avoir et sa seule possibilité sera d’en passer par le signifiant, par le symbolique en formulant une demande à l’autre. Lacan indique alors que la demande est toujours en deçà ou au-delà du désir. En effet, soit le désir se fige dans la demande : pris dans les rets des signifiants, il n’atteint pas son but de retrouver l’objet réel manquant. Soit le désir transcende la demande et il court métonymiquement, dit Lacan, sur les signifiants, jamais satisfait de ce que propose l’ordre symbolique, à la recherche d’un ersatz de l’objet perdu. On voit ici comment le manque et le désir sont dialectiquement liés et comment, par suite, le rapport à l’autre s’institue à travers la demande (pour combler le manque, pour dire son désir, le sujet étant « condamné » à avoir l’objet au lieu de l’être) qui se produit dans l’ordre signifiant, dans des formes adressées à l’autre, c’est-à-dire dans la communication.

Dans « La direction de la cure », Lacan nous indique que la demande est le fondement de la relation thérapeutique (et du transfert), ce qui nous amène, pour notre part, à faire l’hypothèse que, dans l’urgence psychiatrique, la relation thérapeutique est instituée et s’élabore dans la communication. Voici ce que dit Lacan de la manière dont il accueille les patients en cure, ce qui nous intéresse pour penser les recours aux urgences : « Par l’intermédiaire de la demande, tout le passé s’entrouvre jusqu’au fin fonds de la première enfance. Demander, le sujet n’a fait que ça, il n’a pu vivre que par ça, et nous prenons la suite »118. Aux urgences, la demande a un caractère particulier, car elle se « légitime », elle prend appui, sur un symptôme. Ce n’est pas le cas de toutes les demandes, mais bien celui de la demande adressée au médecin, comparable à la demande faite au psychanalyste. Quand le patient dit qu’il souffre, il appelle l’autre à lui livrer la signification qui lui manque pour donner du sens à son symptôme. Il est en attente d’une signification, d’abord, avant d’espérer une guérison. De plus, dans le champ du psychisme, le symptôme est à entendre, comme le rappelle Lacan, comme une métaphore ou une métonymie du désir, c’est-à-dire comme une forme du rapport à l’autre119, comme une manifestation de la modalité qui lie réel et symbolique chez le sujet. Le symptôme s’interprète et exige donc un Autre, un tiers symbolisant ; et le symptôme est toujours lié à l’Autre : il y a des symptômes car il y a des conflits et des compromis entre le désir et les exigences du collectif. Une demande qui se motive d’un symptôme d’origine psychique est ainsi doublement inscrite dans le champ de l’Autre. Ce constat de l’appel à l’autre (notamment comme exigence de signification) introduit pleinement le symptôme et le recours (demande) qui lui correspond dans une logique et des processus de communication et dans une logique politique. Au fond, comme le cas de Mme G. (observation n°7) nous l’enseigne, le passage du désir à la demande est le passage de l’espace spéculaire (celui où je m’identifie à l’autre) à l’espace politique (celui où je me confronte à l’autre, m’y oppose, lui suppose un objet qu’il a et que je n’ai pas et qui motive ma demande). Mme G., comme c’est le cas pour beaucoup de patients précarisés des urgences psychiatriques, construit sa demande sous une forme de colère et de révolte vis-à-vis de l’Autre. Elle a sans cesse recours aux urgences (elle est en demande) mais affirme fermement qu’on lui répond mal, c’est-à-dire que l’objet qu’elle cherche et dont elle manque (source de son désir) n’y est pas, toujours pas. Elle exige quelque chose de l’Autre dans un registre qui n’est pas apaisé, voire conflictuel, et qui est donc de l’ordre du politique. La demande est en cela une forme de médiation, une modalité de construction d’un rapport entre désir et politique, une modalité d’implication de l’Autre dans le champ de la subjectivité.

C’est dans cette perspective que nous nous proposons d’observer et d’analyser les entretiens de psychiatrie aux urgences auxquels nous avons assistés : ce que dit le sujet, ce qu’il demande au psychiatre, est une articulation de sa singularité désirante avec les formes exigées par l’autre (le psychiatre comme sujet singulier mais aussi comme représentant du collectif) ; ce que le sujet demande au psychiatre est aussi à entendre comme une forme d’expression de révolte vis-à-vis du collectif, ou d’attente d’une explication de la souffrance par le social : nous préciserons cela plus bas avec des concepts de la sociologie. Pour l’instant, nous faisons l’hypothèse de recherche, que nous complèterons avec l’appui des travaux de Bernard Lamizet, que la demande et les recours aux urgences sont des formes de réinstauration de la médiation par la communication. Dans les Ecrits, Lacan nous donne une formule de cette médiation qui s’institue par la communication, via l’observation du rapport manque-désir-demande que nous avons tenté ici d’éclaircir et d’adapter à l’urgence :

« Si le désir est en effet dans le sujet de cette condition qui lui est imposée par l’existence du discours de faire passer son besoin par les défilés du signifiant ; si d’autre part, (…), en ouvrant la dialectique du transfert, il nous faut fonder la notion de l’Autre avec un grand A, comme étant le lieu du déploiement de la parole (…) ; il faut poser que, fait d’un animal en proie au langage, le désir de l’homme est le désir de l’Autre. Ceci vise une tout autre fonction que celle de l’identification primaire (…), car il ne s’agit pas de l’assomption par le sujet des insignes de l’autre, mais cette condition que le sujet a à trouver la structure constituante de son désir dans la même béance ouverte par l’effet des signifiants chez ceux qui viennent pour lui à représenter l’Autre, en tant que sa demande lui est assujettie »120.

Notes
89.

Cela a été mis en valeur par Ricœur dans De l’interprétation, Seuil, 1965, où il montre, à la même époque que Lacan, que la psychanalyse est une théorie de l’interprétation et du sens, certes, mais toujours articulée à une énergétique de la pulsion qui ramène le sujet humain à sa condition biologique et corporelle, au-delà ou en deçà de sa condition symbolique. Ce que Lacan appelle donc sa « linguisterie » est aussi une manière de se moquer des conceptions proposées par la linguistique traditionnelle qui n’entrevoit l’énonciation que comme un ensemble de signifiant, comme du matériel linguistique, sans tenir compte du sujet qui énonce. Ce sujet qui énonce étant l’intérêt fondamental de la psychanalyse, l’objet de la clinique.

90.

CHAUMON, Franck. Lacan. La loi, le sujet et la jouissance. Paris : Michalon, 2004. Coll. « Le bien commun », p. 14

91.

LACAN, Jacques. Le séminaire. Livre 20 : Encore [1972-1973]. Seuil, 1975. Coll. « Champ Freudien », p.51.

92.

Nous allons nous contenter de les égrener synthétiquement en repoussant pour plus tard dans la thèse des explications détaillées quand une explication le nécessitera.

93.

LACAN, Jacques. « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu'elle nous est révélée dans l'expérience psychanalytique ». In LACAN, Jacques. Ecrits [1966]. Paris : Seuil, 1966. Coll. « Le champ freudien ». 923 pages. Pages 93-100.

94.

Ibid., p.93

95.

Ce « d’abord » n’est pas chronologique mais utilisé pour la décomposition analytique du stade du miroir. En fait, le stade du miroir met en place les trois instances lacaniennes (réel, symbolique et imaginaire) en même temps. En effet, l’image est là (imaginaire), mais aussi le rapport à l’autre (symbolique) et l’expérience de la parte (réel).

96.

Ibid., p.94. Notons la référence de Lacan à la notion d’universel qui suggère la possibilité de donner une dimension politique au stade du miroir, comme fondateur de la sociabilité, du rapport à l’autre. Cela est confirmé, a posteriori en quelque sorte, par la citation que nous extrayions précédemment du Séminaire XX. C’est ainsi que nous emploierons souvent l’image du miroir brisé pour désigner la souffrance éprouvée par les sujets de l’urgence psychiatrique, souvent en situation de grande précarité, sociale et psychique.

97.

Dans les Lieux de la communication, Mardaga, 1992, l’auteur développe, au sein d’une sorte de dictionnaire de concepts et de notions, l’articulation des trois instances dans les faits d’information, de communication et de médiation. Lamizet transpose ce que Lacan a dégagé pour la vie psychique et la communication intersubjective au champ du collectif et du politique. Nous appliquons cette démarche à l’urgence psychiatrique dans le chapitre 6 de la partie III de cette thèse.

98.

FREUD , Sigmund. « Au delà du principe de plaisir » [1920]. In Essais de psychanalyse [1915-1923]. Petite Bibliothèque Payot, 1981. Pages 51-55.

99.

En cela, la catégorie du réel est indispensable aux théories de la communication qui, trop souvent, ne parviennent pas à penser les impossibilités de la communication. Nous le ferons dans la thèse puisqu’une situation d’urgence manifeste souvent une impossibilité, pour le sujet, à communiquer.

100.

FREUD, Sigmund. Le petit Hans. Analyse de la phobie d'un garçon de cinq ans [1909]. PUF, 2006. Coll. « Quadrige », Grands textes.

101.

LACAN, Jacques. Le séminaire. Livre 4 : La relation d'objet [1956-1957]. Seuil, 1994. Coll. « Champ Freudien ».

102.

« Il est tout à fait clair que le symptôme se résout tout entier dans une analyse de langage, parce qu’il est lui-même structuré comme un langage, qu’il est langage dont la parole doit être délivrée », LACAN, Jacques. « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse ». Ecrits [1966]. Paris : Seuil, 1966. Coll. « Le champ freudien », p.269.

103.

C’est à partir de ce constat d’une signification qui prend son sens de manière métonymique que se justifie la règle de l’association libre en psychanalyse.

104.

LACAN, Jacques. Le séminaire. Livre 5 : Les formations de l'inconscient [1957-1958]. Seuil, 1998. Coll. « Champ Freudien ».

105.

« Le rêve n’est pas un chaos de sons discordants frappé au hasard, il n’est pas dépourvu de sens, il n’est pas absurde ; pour l’expliquer, il n’est pas nécessaire de supposer le sommeil d’une partie de nos représentations et l’éveil d’une autre. C’est un phénomène psychique dans toute l’acception du terme, c’est l’accomplissement d’un désir », in FREUD, Sigmund. L'interprétation des rêves [1899]. Traduit en français par I. Meyerson. PUF, 1980, p.113.

106.

Au contenu manifeste du rêve, par exemple.

107.

Op. cit., pp. 9-25.

108.

Cette idée de déguisement du désir doit être comprise comme une métaphore qui explique que le réel du désir s’habille des formes et des structures disponibles dans le symbolique. Nous gardons cependant l’idée du travestissement pour exprimer l’idée que quand le désir s’inscrit dans le symbolique il n’apparaît pas toujours au sujet qui en est porteur en tant que désir. C’est ce qui se passe dans le rêve où le rêveur doit faire l’hypothèse, pour l’interprétation, que son désir se cache dans les signifiants du rêve et dans leur articulation spécifique. Par ailleurs, ce que les psychanalystes appellent les résistances, ce sont ces moments où le sujet n’est pas en mesure de reconnaître son désir, comme on ne reconnaît pas quelqu’un sous son déguisement.

109.

Nous insistons sur le fait que sans abord psychanalytique de la communication nous n’aurions pas été en mesure de nous rendre attentifs aux faits de subjectivité à l’œuvre dans les entretiens de psychiatrie aux urgences.

110.

FREUD, Sigmund. Malaise dans la civilisation [1929]. PUF, 1971. Coll. « Bibliothèque de psychanalyse ».

111.

« Le terme de civilisation désigne la totalité des œuvres et organisations dont l’institution nous éloigne de l’état animal de nos ancêtres et qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la réglementation des relations des hommes entre eux », FREUD, Sigmund. Malaise dans la civilisation, p.37.

112.

Qui est réponse à l’absence de sens mais n’est pas suffisant pour établir un rapport civilisé à l’autre, c’est-à-dire qui puisse donner l’illusion d’un sens pour tous.

113.

Le projet des CPCT est notamment exposé sur le site du CPCT de Lyon : http://cpct.lyon.online.fr/

114.

MILLER Jacques-Alain, CLERO Jean-Pierre, LOTTE Lynda. « Lacan et la politique ». In Cités. Philosophie, politique, histoire. Avril 2003, n°16, Jacques Lacan. Psychanalyse et politique. P.U.F. Pages 105-123.

115.

Ibid.

116.

Ibid.

117.

Cette séparation symbolique se fait par plusieurs moyens : le stade du miroir, le jeu de la bobine, mais aussi l’intervention du père, ou ce qui en tient lieu, et qui signale qu’il est possesseur du phallus. Cette question de la possession montre qu’on n’est pas le phallus, comme l’enfant pour la mère, mais qu’on l’a ou pas et que, du coup, on peut désirer l’avoir. Le mode de l’avoir implique la question du manque qui permet le rapport à l’autre et la dynamique du désir. Notons, pour éviter toute mésinterprétation, la valeur symbolique du phallus qui met en rapport un signifiant avec un manque, qui met en place une dialectique de la présence/absence, garante du rapport à l’autre par le symbolique. Ceci est la version lacanienne, exposé trop rapidement ici bien sûr, de la castration.

118.

« La direction de la cure », in LACAN, Jacques. Ecrits [1966]. Paris : Seuil, 1966. Coll. « Le champ freudien », p. 617

119.

Puisque la dynamique du désir s’institue, on l’a vu, depuis le stade du miroir qui est l’entrée dans le champ de l’autre, c’est-à-dire dans le champ de la perte.

120.

Ibid., p.628