II. Pour une approche topologique de la psychiatrie d’urgence : le nouage des aspects psychiques, politiques et communicationnels du phénomène

C’est progressivement que nous allons introduire la logique d’analyse topologique de la psychiatrie d’urgence. Cette idée de penser l’urgence en termes d’espace a émergé au carrefour de plusieurs fils de réflexions. Le premier est un renversement de perspective que nous avons amorcé dans ce chapitre : si l’urgence psychiatrique n’est pas uniquement une problématique du temps, alors elle est certainement aussi intéressante à questionner du point de vue de la question de l’espace. Nous savons désormais que l’urgence présente l’ambivalence intéressante d’être de l’immédiat et de la médiation. Or, la médiation ne s’institue que dans le rapport à l’autre, soit dans cette proximité (identification spéculaire) et cette distance (l’obligation d’entrer en communication par une instance tierce, le langage) qui me lie à lui, soit dans l’espace. Mais au-delà de la logique théorique, c’est une démarche inductive et descriptive qui nous a conforté dans l’idée que la psychiatrie d’urgence pose la question de l’espace sous différents angles : espace politique, espace public, espace de l’intersubjectivité, déplacement dans l’espace (parcours de soin, errance), etc. C’est à partir de ces constats pratiques issus de l’expérience de terrain que nous reviendrons à la théorie.

Nous verrons qu’il est possible de nommer (de distinguer, de décrire) les différents lieux de l’accueil d’urgence pour explorer la différence entre leurs identités et leur fonction dans le service300. On comprendra ainsi qu’une armature symbolique, sous forme de plusieurs strates, se superpose à ce qui apparaît comme très chaotique (désorganisé, réel, dirait-on en termes lacaniens) dans les services d’urgence qui accueillent la détresse sous des formes entremêlées : somatique, psychique, sociale.

Cette démarche topologique est aussi épistémologique et méthodologique ; elle est un pari de recherche, une posture de chercheur en ce qu’elle permet de se poser les questions suivantes : qu’apprend-on du phénomène en considérant l’urgence psychiatrique en termes d’espace ? Quelle dimension du soin hospitalier est-elle mise en relief dans ces conditions ? Cela permet-il de différencier des logiques concurrentes de soin ? La spatialisation ne permet-elle pas de mettre en valeur les faits de communication qui se jouent dans l’accueil des patients à l’hôpital (communiquer, on le répète, c’est prendre acte de la nature de l’étendue qui me sépare de l’autre) ? La spatialisation ne permet-elle pas de rendre opportune et pertinente une analyse de l’urgence en termes de communication ? Nous aurons ici des ébauches de réponses à ces questions. Elles seront précisées dans les développements ultérieurs de la thèse.

Notes
300.

C’est l’objet du C. de ce chapitre