B. Les signifiants et les formules de l’urgence psychiatrique : une référence permanente à l’espace : recours, parcours, discours

C’est en relisant cursivement notre journal ethnographique que nous nous sommes aperçu de la récurrence de certains signifiants que nous employions pour désigner le rapport des patients à l’espace du service d’urgence. Notons que ces signifiants ne nous appartiennent pas exclusivement et son aussi largement employés par l’institution hospitalière ou les médecins. Simplement, ils n’ont peut être pas tout à fait le même signifié chez eux que chez nous.

Ces signifiants sont : recours, parcours, discours. Chacun d’eux fait référence à la fois à l’espace et à la question du sens (dans son acception de signification et/ou de direction). Voilà qui encourage encore à produire une analyse de la psychiatrie d’urgence en termes d’espace, en termes topologiques. Attention, ce ne sont pas les seuls signifiants qui caractérisent le phénomène que nous étudions, mais le fait qu’ils soient récurrents, nécessaires à la définition de l’urgence et qu’ils soient construits sur le même radical justifie qu’on les rassemble ici pour en donner une petite analyse.

Ces mots, le plus souvent, ne sont pas employés seuls que ce soit chez les acteurs du terrain ou dans la façon dont nous avons pu les mobiliser dans le journal d’observation. Nous allons voir, d’abord, ce que ces mots peuvent signifier étymologiquement pour ensuite comprendre le sens qu’ils prennent quand une extension spécifique leur est donnée dans nos descriptions ou dans l’usage qu’en font les soignants et l’institution hospitalière. Si ces mots renvoient à la question de l’espace, c’est qu’ils ont tous la même racine latine, cursus, qui signifie le chemin, l’itinéraire. Chaque préfixe indique alors une manière d’emprunter ou de marquer l’espace. Ainsi :

Parcours, discours et recours sont des signes de la présence centrale de la question de l’espace pour comprendre le phénomène de l’urgence psychiatrique. Comme toujours pour notre objet de recherche, ces trois éléments s’articulent entre eux et c’est la modalité d’articulation entre ces trois notions qui fonde la spécificité de la rencontre entre un sujet singulier en détresse psychique et l’institution hospitalière. Pour montrer cela de manière sommaire dans un premier temps, nous avons composé quelques formules avec ces trois signifiants qui nous semblent en mesure de décrire la psychiatrie d’urgence. Nous les énumérons ci-dessous de manière non exhaustive :

Notes
303.

Notons que pour des raisons financières (explosion des dépenses de santé), les patients se voient de plus imposer leur parcours de soin à travers le dispositif du « parcours coordonné » qui oblige d’avoir un médecin traitant unique qui oriente, si besoin, vers ses collègues spécialistes. Cela a pour conséquence d’ôter à la relation médicale sa dimension anthropologique ou transférentielle qui réside dans le choix du médecin comme sujet supposé savoir, c’est-à-dire comme sujet de confiance qui ait le pouvoir de permettre au patient d’intégrer son trouble dans une signification, dans le symbolique. Nous y reviendrons.

304.

Nous renvoyons ici à nos considérations ultérieures sur le signifiant flottant de l’urgence et sur les usages différenciés de l’information médicale aux observations 5 et 8. Il ne s’agit pas ici de recenser toutes les formes de discours aux urgences, mais de montrer que la question du discours, donc de l’espace est très présente.

305.

On s’apercevra de cette réalité des recours répétés, de manière quantitative, dans la liste des patients rencontrés placée en annexe de la thèse. Les observations 3 et 14 rendent compte plus qualitativement de cette réalité, reliée à celle d’errance qui caractérise un certain nombre de patients reçus aux urgences.

306.

La demande d’Hector que nous avions lue comme un usage des temporalités de l’urgence peut ainsi se lire également comme un usage de l’espace. La manière dont il a construit un itinéraire, par aller-retour, entre son domicile et le service d’urgence a tracé un chemin entre différents espaces qui a été lu, par la psychiatre qui l’a reçu, comme une métaphore de sa demande. La dimension de la répétition est aussi présente dans le cas d’Hector : il fait deux fois le chemin vers les urgences pour faire reconnaître la singularité de sa demande.