1. La topologie du sujet dans la psychanalyse lacanienne

Nous allons ici proposer une relecture de concepts lacaniens déjà évoqués mais en insistant à la fois sur la manière dont ils problématisent le rapport du sujet à l’espace et sur la manière dont le sujet lui-même peut, pour partie, être envisagé comme une structure topologique. Nous ne développerons ces concepts que dans l’unique mesure où nous les estimons applicables à la psychiatrie d’urgence.

Lacan, en homme curieux, n’a jamais rechigné à aller s’inspirer de connaissances et de savoirs déployés dans d’autres disciplines que la psychanalyse pour enrichir ses propres théories. Il doit beaucoup à la linguistique et au structuralisme, ce qui a été popularisé à travers son expression « l’inconscient est structuré comme un langage » à laquelle on réduit souvent sa théorie307. On sait moins cependant que Lacan était très intéressé par les mathématiques, ce qu’on constate pourtant régulièrement dans ses séminaires quand il établit ce qu’on appelle les « mathèmes » et quand il propose des considérations sur la structure du sujet à partir de la topologie, branche de géométrie. Les plus célèbres figures topologiques dont Lacan fait usage, en tant que métaphore pour désigner certains faits psychiques, sont la bande de Moebius et les tores.

En fait, la psychanalyse a toujours adopté une conception spatiale du sujet et du psychisme : on peut penser aux topiques de Freud où le psychisme est presque pensé comme un ensemble de territoires308, mais aussi à la théorie du stade du miroir chez Lacan qui institue le rapport à l’autre comme une distance qui permet le partage et l’identification (c’est l’espace de la communication) et éloigne en même temps (c’est le mur du langage)309.

Un travail en SIC sur l’accueil de la détresse psychique ne pouvait se passer de l’apport de la psychanalyse qui, chez Lacan, met au cœur de sa réflexion les questions du langage, de la communication et de l’espace comme primordiales dans la compréhension et la représentation des faits psychiques. En somme, il y a une sorte de résonnance théorique entre approche sémiotique de l’espace des services d’urgence et approche lacanienne du sujet psychique. Mais en quoi, précisément, l’approche lacanienne du sujet psychique permet-elle de justifier notre démarche de spatialisation de l’urgence psychiatrique ? On va le voir à travers trois points.

Notes
307.

Le séminaire sur l’angoisse marque un tournant dans la théorie lacanienne où il insistera alors davantage sur la catégorie du réel après avoir cru au primat de la fonction symbolique, certainement très influencé par les travaux de Claude-Lévi Strauss.

308.

Avec le système inconscient/préconscient/conscient de la première topique puis la distinction entre ça/moi/surmoi dans la seconde topique

309.

Ce que Freud introduit à partir de l’angoisse de castration. L’enfant est séparé de la mère par le père. Pour se consoler de l’absence de la mère qui semble désirer ailleurs, l’enfant règle son absence en symbolisant sa présence par des signifiants (à traves des jeux de disparition/apparition d’objets notamment, où des signifiants distincts marquent la présence/absence de l’objet en jeu qui vaut pour la mère : ce « valoir pour » entérine la perte de l’objet maternel : il y a désormais un espace, celui du symbolique, entre l’enfant et la mère). Voir FREUD, Sigmund. « Au delà du principe de plaisir » [1920]. In Essais de psychanalyse [1915-1923]. Petite Bibliothèque Payot, 1981. Pages 42-115.