4. Contribution de la notion à une approche de la psychiatrie d’urgence en sciences de l’information et de la communication

Nous souhaitons ici brièvement synthétiser l’apport de la notion d’efficacité symbolique dans la construction de notre approche de la psychiatrie d’urgence en sciences de l’information et de la communication.

La remarque la plus essentielle est sans doute que cette notion ouvre une possibilité d’étude de la psychiatrie qui dégage celle-ci de tous les préjugés dont elle est imprégnée depuis un certain nombre d’études des années 70 qui la concevaient comme punitive. Rapprocher la psychiatrie d’urgence de l’efficacité symbolique est une posture théorique qui permet de l’alléger du pouvoir exorbitant qu’on lui prête pour considérer ce qu’elle déploie et construit dans le champ du symbolique. Il s’agit, alors, de se donner la possibilité d’observer la relation thérapeutique aux urgences psychiatriques comme mettant en œuvre des faits et des processus de communication qui permettent d’articuler, comme on l’a vu, la parole singulière au discours institutionnel. Sans cette approche par le symbolique et la communication, on ne se donnerait pas la possibilité de voir l’urgence psychiatrique comme une structure de médiation, comme un « laboratoire politique » ainsi que nous avons osé la qualifier. Une approche de la psychiatrie d’urgence en SIC, grâce à l’apport de l’anthropologie, permet d’envisager des rapports nouveaux entre la clinique et le politique. Si, dans les approche traditionnelles (d’inspiration foucaldienne ou goffmanienne) de la psychiatrie, la clinique est politique en tant qu’elle est instrument de pouvoir, dans notre approche, en revanche, la clinique est politique en ce qu’elle contribue, dans certaines conditions, à la structuration et à l’interrogation du contrat social, à l’élaboration de la médiation singulier / collectif. De plus, l’apport fondamental d’une approche en SIC est de pouvoir se rendre sensible et attentif à une construction de cette médiation au cas par cas, via l’observation de la mise en place de processus de signification : l’exemple, ci-dessus, de la transformation du signifiant de fleur en signifiant institutionnel, rend bien compte de l’opportunité de récréer du lien social là où il semblait perdu à jamais. L’intervention clinique, qui réinterprète le signifiant à travers un regard institutionnel, est ici politique car elle parie sur la possibilité d’une place du patient dans le collectif à partir d’une place de sa parole dans le discours institutionnel.

Au-delà, sur un plan épistémologique plus général, la rencontre de l’anthropologie et des sciences de l’information et de la communication, via la notion d’efficacité symbolique, nous semble féconde. En effet, l’exemple d’application heureuse qu’on peut en faire pour l’analyse de la relation thérapeutique aux urgences psychiatriques indique que les SIC peuvent se saisir d’objets dont elles refoulent la possibilité qu’ils appartiennent à leur champ d’étude : nous pensons au manque et à l’énonciation dans la communication. L’efficacité symbolique est bien le processus social, qui se produit dans le présent de l’énonciation, et qui consiste à apporter, à un sujet, un signifiant qui lui manque pour faire l’expérience symbolique de son identité et de sa place dans le collectif. La recherche que nous proposons consiste ainsi à inviter les SIC à étudier les situations de communication qui donnent à voir la place du manque dans la communication, ce qui revient, in fine, à s’interroger sur la place du désir et de la catégorie du réel dans l’étude des faits de communication. Au fond, trop de travaux en SIC, en se limitant à l’étude des discours et des énoncés, c’est-à-dire de formes « mortes » de la communication, s’interdisent d’introduire la dimension vivante – et originaire, en somme – de la communication, à savoir l’expérience de l’énonciation et du manque. Les SIC ont sans doute besoin de se donner les outils (issus d’approches anthropologiques et cliniques) qui rappellent que, derrière tout énoncé ou tout discours, un sujet a parlé. C’est cela qui a d’ailleurs fondé notre démarche méthodologique qui a consisté en une expérience des situations de communication propres à la psychiatrie d’urgence, plutôt qu’à l’étude des discours des acteurs ou des sujets que nous aurions désincarnés en les extrayant de leur situation d’énonciation. Dans notre expérience ethnographique, nous avons engagé notre corps et notre psychisme comme instances propres à révéler ce qui, dans la communication, est engagé de manière vivante et ne rabatte pas les SIC à une façon, parmi d’autres, de faire de l’analyse du discours en étudiant des formes mortes qui refoulent la place du désir dans la communication. Communiquer, ce n’est pas simplement produire du texte.