2. Les psychiatres : médiateurs généralisés dans le service d’urgence

Pour terminer, nous voudrions faire référence aux observations 18 et 19 du journal ethnographique. Ces observations se situent dans les toutes dernières que nous avons menées et elles interviennent donc à un moment où nous avions une meilleure connaissance du terrain et des psychiatres avec qui nous commençions à entretenir un rapport plus « amical ». C’est sans doute cette proximité affective entre le sujet observé et le chercheur qui a permis un changement de registre dans la manière dont les psychiatres nous ont rendu compte des rapports avec leurs collègues somaticiens. Dans le premier temps de notre immersion dans le terrain, les psychiatres ont cherché à nous montrer la spécificité de leur métier, ce qui passait, notamment, par la démonstration d’une différence fondamentale d’avec leurs collègues somaticiens. A l’observation 18, une sorte de changement se produit. Alors que nous avions sans doute donné assez de signes de reconnaissance et de confiance à la psychiatre avec qui nous travaillions ce jour-là, elle nous confia avoir une « autre fonction » aux urgences, celle de « pare-excitation ». Elle cherchait par ces termes à nous signifier son rôle d’absorption des angoisses de manière générale, qu’elle vienne des patients ou des soignants. On retrouve ici, mais sous une forme positivée, ce qui était exprimé sous l’angle de l’amertume à l’observation 3 (« juguler l’angoisse des soignants »). A partir de cette confidence, nous observerons avec plus d’acuité ces moments plus informels où le psychiatre se fait la caisse de résonance du non-sens et de l’angoisse pour les patients, l’institution et ses membres. La révélation par la psychiatre de son rôle informel lui permettra alors de nous le donner à voir plus manifestement. Nous relatons ainsi à l’observation 19 comment un épisode de contention difficile a été l’occasion, pour elle, d’organiser la parole entre un interne et une infirmière qui s’interrogeaient sur le sens médical de cette pratique. Enfin, à l’observation 21, Basile livre son désarroi sur les conditions d’exercice de son métier sans doute parce que la psychiatre est reconnue comme interlocuteur potentiel pour l’élaboration des constantes d’un métier et d’une identité professionnelle incessamment interrogées aux urgences.