2. Gare à la grille 

Devant de telles théories, de telles affirmations, quelle posture adopter ? Comment recevoir cela et surtout en parler dans le cadre d’une thèse à laquelle nous souhaiterions conférer tout de même un air respectable (c’est à dire résolument non-poétique) dans le but avoué de décrocher un ultime diplôme qui enrichira prestigieusement, citons ici Verheggen, notre « ridiculum vitae » ?

Toujours par verheggenienne plaisanterie, nous pourrions ajouter que si c’était vrai, si Novarina disait vrai, ce serait bel et bien la mort pure et simple de la critique universitaire ; or il semblerait que l’auteur du Théâtre des paroles soit finalement aussi joueur que joué et qu’il y ait peut-être même parfois un peu de pensée chez lui – « notre présence dans la parole » (P.M., p. 74) –, un certain recul (visible notamment dans ses interviews), bref toute une réflexion érudite et théorique par rapport à toutes ces questions.

Au fond, si cette dualité joueur/joué (voire joueur/jouet), déplorée en partie par l’auteur (qui va jusqu’à se traiter d’escroc dans la revue Java) n’existait pas du tout et que l’auteur soit en effet complètement vide, plaquer la grille habituelle (linguistique, structuraliste) resterait possible – et peut-être même, en partie, par un ordinateur.

Admettons en effet que l’écrivain-tuyau ne comprend strictement rien à ce qu’il écrit, joué qu’il est par les mots qui n’en font qu’à leur tête (agi, marionnettisé par eux), cela ne change rien ; le problème reste entier : les livres sont là et les figures, étudiables.

On voit ici en quoi pourrait consister la balourdise d’un étudiant en Lettres brûlant d’aller chercher la Grille (mot rappelant Grillus et son groin), ne jurant que par elle et incapable de concevoir qu’il puisse exister d’autres techniques d’approche. Or, ici, la seule approche possible est celle du jeu : jeu de l’acteur bien sûr mais peut-être aussi jeu du lecteur s’amusant à essayer de comprendre ce qu’il sait qu’il ne comprendra jamais et ce quelque effort qu’il fasse. L’autre approche, éventuellement ludique (mais, semble-t-il : pas toujours), c’est de fonctionner novariniennement en essayant de parler de ce qu’on ne peut pas dire.