Il y a dans le cas que nous allons évoquer une véritable spécificité novarinienne ; car, si le mot-valise se forme en général à partir de deux termes, il semble que chez lui, ce ne soit pas toujours si évident. Il faut l’indiquer pour « Colomnosse » (cf. colosse, colonne, molosse voire nonosse), « orificiel » (cf. orifice, officiel et/ou artificiel), « Règlemensonge » (cf. règle/ règlement, songe et mensonge) et « mathermaticiers » (cf. thermes, maths et matrice) et on le verra pour « polichiers » (cf. chier, police et Polichinelle) mais ce ne sont pas les seuls exemples possibles – le problème posé par notre « décorpage » systématique étant bien sûr (nous en sommes conscients) une certaine subjectivité, la méthode utilisée étant un peu, dans le principe, celle de Lucas décortiquant le mot « passionnément » ou de Brisset s’interrogeant sur nos origines en questionnant le français – mais on sait que Derrida, dans son rapport au mot (inventé ou pas), avait parfois un fonctionnement similaire.
Ainsi, dans l’adjectif « déguinglandé » (B.C.D., p. 189), dégingandé, glande et déglingue nous semblent s’être donné rendez-vous. Dans « purigouinnant » (L.M., p. 345), il y a comme une purée de pingouins couinants et le vocable « Saporléomarde » (D.V., p. 216) nous paraît contenir un sapeur, un porc et un léopard à la moutarde tandis qu’Olivier Dubouclez 12voit dans « Sapoléon » (mot assez proche) l’alliance, peut-être oxymorique, de Sapiens et de Napoléon. Quant aux « cyclomoteurs ébybrachécénéticiens » (D.V., p. 49), seraient-ils enfourchées par d’hybrides généticiens ayant des branchies sur les bras à cause d’une expérience qui aurait mal tourné ?
« Charbandonnons » (D.V., p. 89) semble, lui, contenir charbon, arbre et abandon voire abandonner mais il s’agit peut-être aussi d’en finir avec un chambardement qui n’annonce rien de bon – que du chardon et du charbon. Dans « circonfié » (D.V., p. 97), on entend circonférence, fier ; confier, circonflexe, circonstancié voire circonfession (cf. Derrida) et dans « combination » (D.V., p. 176), on entend combinaison, combine et machination.
De même, il semble qu’on se répande en rires dans « répandrirent » (C. H., p. 267), qu’un laboureur copulant manipule un trou dans « troupulateur » (C.H., p. 263) ou qu’un ingénieur niais s’ingénie à nier qu’il nie : c’est l’» ingéniaiseur » de la page 330 (in C.H.). Quant au « phosphagiste », c’est peut-être un chauffagiste phosphorophage (cf. C.H., p. 309). Dans « potaufière » (C.H., p. 34), on entend certes poteau et fière mais peut-être aussi pot au feu et montgolfière ; dans « opioptiminiatiseur » (C.H., p. 330), on entend opium, optimiste, miniature et magnétiseur tandis que « dodélurgie » (J.S., p. 108) réunit sidérurgie, dodé de dodéca et douleur de l’urgence. Savant, ça va, avanie, abominable, domino, lavabo, minauder, douleur et luire s’entendent dans « s’avabominodoluit » (V.Q., p. 30) . Les mots décédés, cédille et culture s’associent pour former « décédiculture » dans l e Jardin de reconnaissance (p. 16). Dans L’Opérette imaginaire (p. 26), on croise un comanche du dimanche portant une sacoche : c’est Jean Sacomanche – "à bien faire" se présentant comme une suite logique (à moins que Jean soit sec aux manches). Dans « Jocassier » (J.R., p. 31) se trouve un joker carnassier jacassant avec Jocaste et le chanteur Chlodoacre (J.R., p. 60) est comme un clodo issu d’un cloaque mais qu’on passe au chlore et qui se met à chanter.
Des pièces encore plus récentes seront également concernées, et notamment L’Acte inconnu avec les mots suivants : « dodéclamunitaire » (p. 26) où l’on entend dodécaphonique, démuni, unitaire et déclamer ; « Docteur Violasson » (p. 49) : viole, violent, violet/violassé, viol, assez, lasso, mollasson ; « cadavrasser » (p. 122) : cada/cadavre, assez, crevasser, rêvasser ; « balbuciniades » (p. 163) : balbutier, ratiocination, charabia, arlequinade ; « babolage » : babil, babiole, bavardage, bamboche, bamboula, carrelage, carambolage ; « rectantituduludinaire » : rectangulaire, tubulaire, tubulure, rectitude, valétudinaire ; « visiportions » : visibles, Wisigotts, portions ; « sociétototologue » (p. 112) : société, logos, Toto, tautologie ; « télélévilibilisèrent » (p. 42) : visibilité, immobilisé, vil, ville, visière, lisière, l’Isère, ibid, télévisé. Quant à « Jean-François Gigodet » (p. 174), c’est un gigot qui gigote et qui boit des godets.
Un mot, enfin, annoncera parfaitement la partie qui va suivre : c’est, dans La Scène (p. 102) « Eurobysnessland » qui dit clairement le but de grosses machines comme Euro Disney et Disney Land, à savoir : faire du « bysness », vocable réécrit à la façon de Queneau (à moins qu’il ne s’agisse d’une nouveau mot-valise mélant business et Disney, le y ayant été conservé).
Olivier Dubouclez, Valère Novarina, la physique du Drame, Les Presses du réel, Dijon-Quetigny, 3ième trimestre 2005, p. 78.