1.5. Un renforcement du sens

Cas signalé ci-avant, le verbe « s’enrhumecter » semble suggérer l’humidification d’un nez qui coule, phénomène courant lorsqu’on est enrhumé. De même quand on s’acoquine avec quelqu’un, c’est que celui-ci devient comme un copain pour vous – d’où la pertinence du verbe « s’appopiner » (plutôt formé à partir de copine et de copiner). « Durection » (L.M., p. 522), lui, se présente comme une érection bien dure qui nous indique impérieusement une sorte de direction, une espèce de marche à suivre. Le « troulabourateur » de l ’Atelier volant (p. 138) évoque peut-être les trous causés par le labour d’un laboureur-troubadour ressemblant un peu à l’auteur creusant son sillon dans l’histoire de la littérature.

Formé sans doute à partir de l’anglais – parfois plus (u)percutant que le français – « hupercuter » (D.A., p. 95) permet de renforcer le sens du verbe frapper tandis que « [balassommer] » (A.I., p. 21) suggère un assommement suivi juste après d’un balayage des miettes qui restent. Evoqués précédemment, les « myrions» et les « mirmidilliards » s’appliquent peut-être à un chiffre astronomique (cf. myriades de millions et myriades de milliards). Appliquée à « tronche », l’association scarifiée/sarcophage semble déboucher sur « sarcophiée ». « L’avanir » (B.C.D., p. 317), qui conjugue avenir et avanie, n’annonce pas des lendemains qui chantent ; autres visions fort sombres : celui d’un sépulcre qui semble renforcé par la notion de crépuscule (poulpe et pouacre n’étant pas loin) présente dans l’inquiétant « Crépoulcre » (L.M., p. 372) et d’un bouquet de mini-cerceuils ceuillis à l’occasion d’une ceuillette à caractère morbide dans « Cercuyettons ». Quant au « catafond », qui confond fond et catacombes (L.M., p. 524), c’est sans doute un endroit caverneux où Lazare touche le fond.

Autres vocables morbides : une fois l’« assassaignage » accompli (le sang de Polonius ayant « tâché les rrideux », etc.) vient le problème assez novarinien du corps qui va rester ; le « décorpage » (L.M., 371), qui suggère le découpage d’un corps, se présente comme un début de solution. Pourront toutefois revenir nous hanter nos « antédécesseurs défunts » (D.A., p. 239), qui sont par le fait les décédés qui nous précèdent, c’est à dire des « prédécédants » (D.A., p. 128) voire des « prédécédés » (D.A., p. 53) ou des « prédécessants » (D. A., p. 163) qui sont peut-être des prédécesseurs ayant cessé d’être. L’expression « langue matiernelle » (L.M., p. 342) rend encore plus concrète, charnelle, matérielle la langue maternelle ici associée au terreau natal voire au terroir des origines. Autre exemple : « nécropuscule » (C.H., p. 408) qui assombrit terriblement la nuit. Enfin, le « musculassier » pointé (voir plus haut) par Jean-Patrice Courtois renforce peut-être musclé , musculeux en évoquant d’emblée des "muscles en acier". N’oublions pas le « brandi goulot des trougloutons » du Monologue d’Adramelech (nouvelle éd., p. 56) : serions-nous en présence d’archaïques troglodythes trop gloutons se remplissant la panse et buvant comme des trous ?

Il y a des cas où le sens du mot n’est pas renforcé mais reprécisé ; ainsi, le «vertébrinaire » (D.V., p. 125) se présente comme un vétérinaire spécialisé dans les vertêbres. De même, répondre très vite correspond peut-être au sens de « répondurger » (D.A., p. 27), un peu comme s’il urgeait de répondre. Quant à « solominitude » (O.R., p. 27), ne donnerait-il pas la mesure de la solitude immense d’un homme jouant en solo et se sentant minuscule face à l’immensité du monde ?