1.7. «Porc pigeon», «chien équestre» et «Carp’chien»

Pour dire la porosité du clivage homme/ bête, il y aura désormais la possibilité de se servir des vocables « amnimal » (D.A., p.317) et « amnimau » (D.A., p. 225) qui confèrent une sorte d’âme aux animaux ; dans « Aniamal », « aniâmla » et « aniamnimal » (D.A., p. 282), il semblerait qu’un animal nommé Annie ait même mal à l’âme ; quant au prénom Anna, il se retrouvera dans « anaimaux » et « ananimal », ce qui tendrait à signifier qu’Anna nie mal son animalité. Les « arnimaux » (D.A., p. 141) seraient-ils, eux, des animaux capables d’art et/ou de fabriquer des armes ? Et le « domnimal omnidé » (D.A., p. 274) ? Serait-ce un animâle dominant mâtiné d’hominidé ? Il sera aussi question d’» animaux à cerveaux » (D.A., p. 163), expression qui s’applique peut-être à Homo sapiens – et pour le mot « autrumains » (D.A., p. 272), on se prend à penser qu’il irait bien à nos amis les singes.

De même, normalement appliqué à l’animal, le mot hure se verra associé à l’homme dans « huranité » (D.A., p. 81) et « hurmanité » (D.A., p. 212). Dès Le Babil des classes dangereuses, cette ambiguïté homme/animal était présente ; Saporigène y évoque en effet son père, « cet énorme poisson », qui « avait bien fini d’miauler » (p. 219) ; et dans La Lutte des morts, il était également question de « caleçonnades d’animaux » (p. 423), et même d’un « ténor à museau ridicule » (p. 494). Bref, c’est peu de dire que, chez Novarina, la frontière n’est jamais très nette entre les hommes et les bêtes ; ainsi du « singe Liphant attiré par les femmes » (D.V., p. 159), de L’Enfant Pantomorphe » qui « barrit » (J.R., p. 97) ou de « l’essaim d’hommes » de L’Acte inconnu – et cela concerne aussi l’onomastique : « Odile Caribou », « Jean Terrier », « Jean des museaux », « Jean-François Lhérisson », etc.

Dans le bestiaire comico-monstrueux en question, il faudrait ajouter d’autres êtres bizarres tels que « le grand zèbre » (L.M., p. 406), « la baleine au cul d’osier » (L.M., p. 450), le « canard à la tronche sarcophiée par la main gauche du charcuton » (L.M., p. 487) et « l’ours énorme à trois pattes [courant] toujours la plaine picarde » (B.C.D., p. 179), sans oublier les « tapajous » évoqués précédemment, les « pingouardes » et les « pingouinnes », (L.M., p. 400), les « vermissons », « mouches à baque » et autres « conneaux oiseaux du ciel » (L.M., p. 511).

Enfin, la suppression-adjonction (de é en i) permettra la création d’un « Iliphant » dans Le Drame de la vie (p. 68), œuvre où l’on croise encore « le loup cul nu » (p. 156), « l’ours à bignolles [qui] fosse léopaud » (p. 120) ainsi que de peu ragoûtants « rats gondins » (p. 159). D’autres animaux étranges autant qu’hybrides surgiront du chapeau de ce véritable docteur Moreau littéraire qu’est Valère Novarina : mélangé à un acte ancien, un batracien accouchera d’un « actacien » dans Le Discours aux animaux (p. 219), animal paludéen dans lequel Brisset aurait peut-être reconnu Homo Sapiens. Aussi bien, on pourra estimer qu’avec le « Batrassier », on est – dans Le Drame de la vie (p. 219) – en face d’un batracien en acier voire d’un robot batracien ; dans cette dernière pièce, on croisera d’autres croisements tout aussi improbables : le « porc Pigeon » (p. 37), le « porgane », le « chien équestre » et une sorte de félin pachydermique (p. 204) nommé « Léophant » (sans doute Léopard + Eléphant). Autre rapprochement improbable voire oxymorique : celui de la « Taupe céleste » (in C.H.). Cette veine comico-fantastique (n’oublions pas le carrollien « sangoptère », mi-sanglier, mi-coléoptère) perdurera jusqu’à La Scène puisqu’y sera presque rendu possible le fameux mariage de la carpe et du lapin – annoncé par celui, évoqué dans Je suis (p. 174), « de la carpe et du néant » – à travers l’étonnant « carp’chien » de la page 113.