2. Mot-accordéon, farcissures et allongeailles

2.1. Délires contrôlés à partir d’un même mot

2.1.1. « Novarina »

L’auteur semble littéralement se défouler sur un mot et s’en servir comme d’un véritable punching-ball. L’effet sera essentiellement comique – le comique ayant bien sûr à voir avec le côté répétitif de cet acharnement langagier.

Or, son propre nom pourra être concerné par ce jeu étrange et cocasse. Dans La Lutte des morts, le nom en question sera animalisé (voire porcifié) car on y croisera « l’acteur Porcharina » à la page 459 ou « Porçarina quand il souille la langue » et. » valérino dorsarina, mélodie flûtée » pour reprendre à notre compte le jeu d’opposition proposé par Etienne Rabaté dans « Le nombre vain de Valère Novarina »15. Notons à notre tour la variation en « Dorsarine » (L.M., p. 380), ou encore « novagnésie » (L.M., p. 512).

Dans La Chair de l’homme, même jeu, comme à la page 90 avec « Novoviande » (de fait, on le verra, il y a une vraie spécificité du thème de la viande dans l’œuvre de Novarina) et « docteur Novic » (p. 90) qui est peut-être, lui, un médecin débutant, un novice dans le métier. Un autre personnage s’appelle « Noverre » (p. 304), ce qui sonne comme une réduction du nom complet (prénom + nom de famille) même si le mot évoque encore le verre, la terre et l’anglais no where (ailleurs, on croise un « Enfant Ovarique », une « veuve Bovaryna », etc.).

Dans Le Drame de la vie, il y aura un « Valvarine » (p. 251) qui contient une valve (comme un renvoi à l'idée de souffle vital) mais qui ressemble aussi à Gagarine voire à Wolverine. Ailleurs le nom est associé au rien (un de ses grands thèmes), dans « Jean Rien Novarina » ; ailleurs encore, Voragine sera cité – or, les miracles permis par la parole que nous propose/raconte Novarina (cf. effets de surprise, mystique de l’incongru, situations incroyables, jusqu’au-boutisme des personnages, etc.) nous paraissent finalement assez voraginiens. Remarquons qu’avec ses deux a (et en ajoutant éventuellement des « h »), le nom pourrait presque être celui d’une nouvelle divinité hindoue, Maradona ayant quelque chose de plus chrétien (tandis que Palestrina renvoie irrésistiblement à l’idée de musique). Verheggen, lui, propose « nouveaurina », Dubuffet : « Nove-art Ana » – François Dominique : « Novarilangue » ; Francis Cohen : « rénova-langue » et Katell Floch : « Va l’air, nova rit, na ! ». D’autres ont eu l’idée des néologismes « novarinoui », « novarinois », « Novarinie », « innovarinant » et « Novarinattila » (proposons à notre tour, outre novarinades et Novarinamal, Casanovarina, Panorimarina, Novarinut, Nougarina, Novarima, Novarimaquoi, Novarimarien, Novacrimaquoi, Novacrimatou, Novacrimatouva, Ovnivoracinna, Racinovarina, Ovnivovaléria, omnivoracina, ovnivoracinien, Animorarina, pantalonarina, harmonicarina, Exétévarina).

Ce nom, surtout associé au prénom (un prénom de théâtre, que l’on trouve chez Molière), est objectivement très beau ; novation, nirvana, narine, supernova, ocarina, ovni, no, non, nira, varian, navire : voilà tout ce qu’il annonce et semble contenir. En le retravaillant encore, on pourrait aussi voir dedans des notes (la, ré) et des noms de dieux solaires (Ra, Ré) ; à l’instar de l’œuvre même, c’est aussi un nom rythmé contenant des assonances (3 a) et des allitérations (2 v, 2 r, 2 n) : ce fut peut-être fondateur, comme  un signe annonciateur de l’œuvre à venir.

Enfin, le prénom seul (à rapprocher de galère et de valeur) sera également concerné par le jeu ; il y aura par exemple « L’Homme de Valère » et « L’Homme de V. » De même, à la page 249 du Drame de la vie (ce Drame, serait-ce donc celui de la vie de V.N. ?), le prénom fonctionnera comme une apocope de Valérien dans la « Descension du mont Valère ». On pourra encore mettre l’accent sur les initiales : si elles suggèrent en effet (l’auteur nous le rappelle souvent) Voix Négative, elles sont aussi celles de la Vita Nova de Dante, œuvre annonçant La Divine Comédie.

Cette petite sous-partie montre à elle-seule à quel point l’auteur est capable d’humour et d’autodérision, lui qui s’englobe tout naturellement dans le rire qu’il cherche à susciter. Or c’est là un trait caractéristique de l’artiste comique – songeons à Rabelais/Alcofrybas, Céline/Bardamu, Queneau/Sally Mara, Chaplin/Charlot voire à Avidadollars, le surnom de Salvador Dali.

Notes
15.

Etienne Rabaté, « Le nombre vain de Valère Novarina », Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p. 49.