2.2. Des records de longueur

Enfin, le mot-accordéon peut aussi se déployer de façon tout à fait extraordinaire ; cela nous donnera les « ébybrachécénéticiens » (mot où il semble qu’il y ait des branchies, du batracien et du généticien) du Drame de la vie et des verbes nouveaux – cf. « la voix […] s’évabominadoluit», « Puis tout s’avabominodoluit » et « gognivassilaséculierabondalançais » (V.Q., p. 41).

Autre exemple : « Guangladéblibardégladon » (B.C.D., p. 250), « qui signifie Odette en hébreu et Léon en lapon » – mais aussi « Ductoblangévadigédon » (D.A., p. 128), « déguillegangladon » (B.C.D., p. 240) et « Matramitrapitrasson (B.C.D., p. 167), sans oublier les « îles Rangeadéblavardégladines » (D.A., p. 252) et « chaluminatissalipiaux » (A.V., p. 111) où il semble qu’il y ait un chalumeau et peut-être même des p’tits salopiots d’marsupiaux.

Moins fréquent dans les pièces qui suivent, le jeu se retrouvera notamment dans La Scène où l’on croisera une « prototurbopropulseuse » (p. 100) et un mystérieux « chrôlômonômatique » (p. 27) ; un autre mot, encore plus long, nous aura peut-être échappé mais le « record de longueur » nous semble détenu par celui de Diogène surgissant et annonçant « Explication du monde : sclormdrvitchilikitchikioucdichitribicicmjoljaguygiuiji » (S., p. 117), Trinité lui opposant plusieurs pages plus loin (p. 183) : « Explication du monde : lavalaravamanammalavanavalaramna », ce qui n’est pas plus clair. Dans L’Opérette imaginaire (peut-on encore parler de mot ?) sera écrit en majuscules « ELEMETSYSUDEGAGNALNIAMUHTNATETNEMELBAROLPEDXUAFESREVNILEJ » (p. 161) ; quant à savoir ce que cela veut dire, c’est une autre paire de manches et nous renonçons ici (l’auteur ayant réussi son coup) à proposer des interprétations. Mais pour le «  Bayadanaradanaljalanavadaranava » (D.V., p. 21), c’est peut-être un nouveau texte sacré (du bouddhisme ou de l’hindouisme).

Il y a encore (S., p. 49) la « banderole où il est écrit sur une face » (l’autre face disant  : « Ici fut échangé pour la première fois du temps d’homme contre du temps de choses ») « Emginéneteriorimnusnadsnoyovsuon » (manière de mettre en scène une autre forme de réversibilité) ; enfin, n’oublions surtout pas « anastasiparacyclométaparcisplendide » de L’Origine rouge (p. 202), mot dalinien (il en inventa de similaires : « acidodésoxyribonucléiques », « Galacidalacidesoxyribonucleicacid ») fabriqué à partir de racines grecques et qui nous paraît désigner une catégorie nouvelle qui pourrait être celle de l’hyper-beauté.

Dans L’Acte inconnu (p. 100), on invente un nouveau journal allemand ou hollandais au titre compliqué (« le Morgenrijksdagblatt ») et dans sa contribution au recueil Théâtres du verbe 18, Léopold von Verschuer, évoquant le passionnant problème de la traduction de Novarina (et du novarinien), remarque  (sa remarque valant peut-être aussi pour le hongrois, autre langue agglutinante dont l’auteur parle magnifiquement dans L’Envers de l’esprit 19 ) :

‘Il y a en allemand des structures splendides auxquelles on ne penserait jamais si l’on se limitait au champ linguistique de ce qu’on obtient par une traduction « pure », si du moins cela existe […]. Prenons l’exemple le plus connu : il y a en allemand la possibilité de former des chaînes de substantifs là où d’autres langues sont obligées d’avoir recours à des mots de liaison : « c’bricadron d’théâtruscule d’accumulation d’dépots des restes des anciennes représentations des postures des anciens hommes » dans la Lettre aux acteurs a donné un beau mot allemand bien long : dieser Kram von Theatruskel ist nichts andres als eine Anhaufung von uber-holten Menschenpositurenaltvorstellungsrestdepots ». Je pars du principe que si Novarina avait été allemand il aurait vraisemblablement crée un mot trois fois plus long !’
Notes
18.

Leopold von Vershuer, « Libre chute et danse dans la parole », Valère Novarina.Théâtres du verbe, op. cit., p. 228.

19.

Valère Novarina, « Une langue maternelle incompréhensible », L’Envers de l’esprit, Mayenne, P.O.L, p. 175 et suite.